5 chansons, 5 disques par Thalia Zedek

Publié par le 16 janvier 2022 dans 5 chansons, 5 disques, Interviews, Notre sélection, Toutes les interviews

© Mark Shaw

Tous les ans, Thalia Zedek rajoute un ou deux nouveaux albums venant enrichir une discographie déjà admirable. Quelques mois après la sortie de Perfect Vision et alors que deux de ses disques majeurs sont réédités, nous l’avons interrogée longuement, une fois n’est pas coutume, non pas sur 5 chansons, mais sur 5 albums qui ont forgé son immense carrière avant qu’elle n’évoque à son tour 5 disques qui ont compté pour elle.

Uzi – Sleep Asylum (1986)


Ce groupe était très important pour moi. J’ai d’ailleurs démarré un nouveau projet appelé TK l’an passé avec Phil Milstein qui s’occupait des boucles de cassettes au sein de Uzi. Sleep Asylum a été enregistré à Newton, une ville de la banlieue proche de Boston, au studio White Dog, car c’était dans la cave de la maison d’un mec qui avait un chien blanc. Je ne me rappelle pas bien de l’enregistrement mais j’étais ravie car il s’agissait de ma première expérience dans un studio un peu plus sophistiqué même si c’était un home studio. On était très excités. Malheureusement le groupe n’a pas existé suffisamment longtemps pour connaitre la sortie du disque. Trop d’incompatibilités d’humeur ! (Rires) Mais je me suis éclatée avec ce groupe. 

Cet EP sonne très post punk mais aussi expérimental. Quelles étaient alors vos principales influences ? 
J’étais vraiment à fond sur Birthday Party mais on ne sonnait pas vraiment comme ça. Il y avait clairement une combinaison de mes influences et de celles de Bob Young, l’autre guitariste, qui était plutôt branché Cocteau Twins par exemple. Il faisait des trucs intéressants avec les effets, notamment. Et Phil ajoutait les sons des K7, lui était dans Half Japanese et des trucs plus noise rock. Danny Lee, ce batteur fantastique, avait des inspirations similaires aux miennes. On a eu plusieurs bassistes, le dernier était Craig Federhen, un mec très axé jazz. Avant cela, on avait eu Randy Barnwell plutôt influencé par The Cure. C’était le début des années 80, on était un étrange mélange de goth (ce que je n’étais clairement pas !) et de trucs plus agressifs comme Birthday Party. Ça me rendait dingue que Randy joue avec du chorus sur sa basse, tous ces trucs atmosphériques ! 

Regrettes-tu désormais que le groupe n’ait duré que trois ans et enregistré seulement 27 minutes de musique ? 
Oui, on avait plein d’autres morceaux. Phil dispose de beaucoup d’autres enregistrements mais ils sont si crades… Des lives aussi où on entend plus parler les gens du public que la musique. Il me dit qu’on devrait les sortir, on le fera peut-être mais ce sont vraiment des enregistrements sales. J’ai toujours pensé que la qualité était insuffisante. Comme on était un nouveau groupe et que Homestead était un label encore jeune, ils préféraient sortir des EPs à l’époque mais on avait suffisamment de morceaux pour un album. 

Come – Don’t Ask, Don’t Tell (1994)


Le titre était très politique et vous avez fini par « gagner » dix ans plus tard avec Obama (NdR : cette législation discriminatoire intimait l’armée de ne pas se renseigner sur l’orientation sexuelle des recrues, avec pour contrepartie la discrétion des intéressés. Elle a été abolie en 2011 par Obama).
Ce titre était à la fois politique et personnel. Le concept global de Don’t Ask Don’t Tell était tellement bizarre. Aucun problème si on n’en parle pas… Ça reflétait aussi ce qui se passait dans ma vie et en tant que musicienne. C’était l’idée. Les morceaux, eux, ne sont pas vraiment politiques. 

Eleven:Eleven avait été acclamé. Qu’est-ce qui a changé entre les deux disques ? 
Avec la réédition, on discutait justement de la composition de ce disque. Tout le processus a été vraiment douloureux ! Beaucoup de choses nous ont dépassés. On a démarré dans un nouveau studio à New Jersey, la console d’enregistrement avait sans arrêt des problèmes. Après trois jours là-bas, notre ingénieur du son nous a dit qu’on devait partir. On n’avait rien enregistré d’exploitable, un vrai désastre. Le studio était très énervé contre nous, il voulait conserver les bandes et nous disait « il n’y a pas de problème, vous délirez ! ». On a ensuite eu du mal à trouver un autre studio disponible, on est allé à l’Easly Studios de Memphis et, arrivé là-bas, il y a eu une énorme tempête et la ville entière a perdu le courant. Ça a dû mettre une semaine à revenir. On voulait tout enregistrer là-bas mais on n’a pu se charger que des pistes principales. On a rapporté tout ça près de Boston, pour essayer de finir au petit studio d’Outpost. On a donc fait les voix et overdubs, essayé de mixer mais l’ingé-son nous a plantés… On a finalement terminé à New York avec Bryce Goggin. Et puis, Kurt Cobain s’était suicidé peu de temps avant alors qu’on venait de faire une tournée avec Nirvana. Ça a été très dur à accepter. Faire ce disque a donc été un vrai traumatisme. Les morceaux étaient composés en amont donc ils n’ont pas été impactés mais ce fut un supplice d’y venir à bout. C’est comme si tout s’était parfaitement déroulé pour Eleven:Eleven et ce fut totalement l’inverse pour celui-ci. Il n’a pas été super bien accueilli par la presse, en plus. On devait démarrer une tournée en Europe et notre booker nous a plantés… C’était vraiment une succession de galères. 

Toutes ces difficultés étaient-elles aussi dues à la pression que vous vous êtes mis avant de composer ce fameux deuxième album ? 
En partie oui car on a clairement ressenti de la pression au niveau du timing. C’était allé très vite pour Eleven:Eleven, il a très bien été accueilli et on a énormément tourné. On n’a donc pas vraiment répété, on passait notre temps à jouer les morceaux d’Eleven:Eleven. On a manqué de temps pour composer. On a aussi sorti des singles. Mais la plupart des problèmes étaient indépendants de notre volonté.

Avec Chris Brokaw, l’alchimie s’est-elle produite immédiatement ou l’avez-vous perfectionnée au fil du temps, et notamment lors de cet album ?
Ça s’est fait assez immédiatement. On avait déjà joué ensemble plusieurs années avant les débuts de Come, juste avant que je rejoigne Live Skull. J’étais dans un groupe avec un très bon ami à lui et il l’avait invité lors de sa venue à Boston. Et tout de suite je lui ai dit « on devrait jouer ensemble à l’occasion », j’ai ensuite déménagé à New York et rejoint Live Skull et il est venu me voir là-bas. Je l’accueillais régulièrement et forcément on jouait ensemble le soir. Très vite, on a envisagé de monter un groupe ensemble. Il avait déjà été dans un groupe avec Arthur (NdR : Johnson, le bassiste) et Sean (NdR : O’Brien, le batteur) juste avant Come. Ils m’ont ensuite proposé de les rejoindre quand j’ai quitté Live Skull et me suis rendu à Boston. Je connaissais déjà Arthur qui était dans Bar-B-Q Killers d’Athens, Georgia. Live Skull a pas mal tourné avec eux. Plutôt que de jammer et voir ce qu’il en sortait, comme du temps d’Eleven:Eleven et ensuite travailler les arrangements, on avait tendance à jouer tous les quatre, enregistrer puis écouter, garder des éléments sur lesquels travailler, Chris et moi. Je pense que ça s’entend sur les parties de guitare de cet album, notamment « German Song ».

Une démo de ce morceau figure d’ailleurs sur la réédition. Tu te souvenais de cette version ? 
Oui ! Christina Files l’avait enregistré et avait conservé le fichier digital. Elle a joué avec Shannon Wright, Mary Timony, Swirlies… Mais à l’époque elle étudiait dans une école de musique à Boston et est venue nous voir après un concert pour nous demander si elle pouvait nous enregistrer pour un projet de son école. On a accepté. Chris avait composé la musique et j’ai apporté des parties de guitare et le chant. Chris a également joué la batterie, mais on ne sait plus qui a joué du piano… Certainement un gars qui s’entraînait dans le hall. Et je ne me souvenais pas de ce solo de clarinette complètement fou. Mon dieu ! 

Thalia Zedek – Been Here and Gone (2001)


À part pour la réédition, c’est un disque que tu écoutais parfois ? 
Je ne l’avais pas écouté depuis un moment mais je joue dans des concerts solos plusieurs chansons qui y figurent, notamment “1926”. Ça faisait des années que j’espérais la réédition car il n’est jamais sorti en vinyle et le cd était épuisé depuis 2008. Il n’était même pas sur les plateformes de streaming donc il était quasiment impossible de l’écouter. Il a été enregistré en analogique dans un très beau studio. J’ai toujours pensé que le format idéal était le vinyle. Ça faisait un moment que j’en parlais à Thrill Jockey mais ce n’était jamais le bon moment et là, pour le 20e anniversaire, je leur ai dit que je trouverais quelqu’un pour le sortir s’ils ne le faisaient pas. C’était donc un rêve de le sortir enfin. On l’a remasterisé avec Sarah Register. Elle s’était déjà occupée de Fighting Season et Perfect Vision. Le mastering d’origine était déjà bon mais elle a rectifié certains points. Ce n’est pas un disque que je réécoute souvent mais j’y reviens de temps en temps. Les autres musiciens, Chris à la guitare, le piano, ils ont fait un super boulot. Tout le monde a superbement joué et il était bien enregistré. Je suis fière de cet album.

C’était la première fois que ton chant était aussi exposé. Étais-tu plus anxieuse ?
Pas tant que ça car ça faisait un an que je donnais quelques concerts en solo. Je souhaitais vraiment sortir quelque chose de plus calme. J’avais le sentiment que mon chant à la fin de Come était tellement dans un registre puissant… Je ne pouvais rien faire de subtil ou de très expressif, je devais simplement me faire entendre avec toutes ces guitares jouées si fort. Je n’étais donc pas nerveuse, j’étais heureuse de me prêter à ce nouvel exercice et d’entendre ma voix ! 

Come venait alors de splitter et tu sortais aussi d’une relation amoureuse. Ce disque était cathartique pour toi ?
Oui cela arrivait après des années très tumultueuses pour moi. Et c’était le début de quelque chose de nouveau, mon premier disque sous mon propre nom. J’avais jusque-là toujours été dans un groupe. 

Cet album contient de nombreux arrangements. Es-tu partie de demos beaucoup plus épurées avant de les enrichir avec toutes ces cordes, le piano… ? 
J’avais déjà tout ça en tête. J’avais joué avec Dave Curry au violon, notamment un gros concert dans une salle de théâtre en ouverture d’Evan Dando des Lemonheads. Je ne voulais pas jouer toute seule dans une salle si grande. J’avais donc proposé à Chris Brokaw, à Daniel Coughlin, l’ancien batteur de Come. Bryce Goggin, avec qui j’avais travaillé sur Don’t Ask, Don’t Tell, enregistrait le concert d’Evan Dando et il m’a donc enregistré également puis envoyé la cassette. J’étais très impressionné par le son qu’on avait produit à 5. Je l’ai remercié, il m’a dit qu’il avait un nouveau studio et m’a proposé d’y enregistrer. J’étais carrément partante ! J’avais donc en tête des versions live avec le groupe au complet de ce qui allait devenir l’album. 

Le disque comprend trois reprises, notamment la fameuse de “Dance Me to the End of Love” de Leonard Cohen. Il a compté pour toi ? Etait-ce un défi de reprendre un chanteur si charismatique ? 
En 2001, il n’avait pas encore effectué son grand retour. Il était connu évidemment mais c’était plutôt un personnage culte. Le morceau a ensuite été repris par Norah Jones et d’autres artistes célèbres mais j’ai sans doute été la première à la reprendre. J’étais à l’aise avec le fait de reprendre sa musique car j’avais le sentiment de bien connaître sa musique et son univers. 

E – Complications (2020)


Avec E, on compose vraiment tous les trois, il n’y a pas de compositeur principal. C’est devenu plus compliqué avec la pandémie et Jason (NdR : Sanford, guitariste-chanteur, également chez Neptune) habite désormais au Colorado, ce qui est très loin de chez Gavin (NdR : McCarthy, batteur-chanteur, ex-Karate) et moi. On a malgré tout réussi à travailler ensemble. Complications a été composé quand il était dans les parages.

Vous avez une belle complémentarité tous les trois, vous vous connaissiez depuis un moment ?
Merci ! On vient d’ailleurs d’enregistrer un nouvel EP. On espérait tourner pour Complications, ça n’a évidemment pas pu se produire. On croise les doigts pour l’été 2022 et on a enregistré un EP de six morceaux. Complications s’est révélé être un disque parfaitement dans son époque, avec de nombreux morceaux qui parlent de problèmes de santé. On l’a enregistré en décembre 2019, avant le début de la pandémie…

Oui, il est sorti pile au moment où ça explosait avec le single « Contagion Model » et son fameux « It’s contagious, spread it around! » !
Et oui ! Gavin voulait en fait parler de l’information virale qui se propage. À cette période, la situation politique était vraiment pourrie, ça ne désignait donc absolument pas un vrai virus ! Mais c’est sorti fin avril donc on était en plein dedans…

Vous vous interdisez de le jouer en concert maintenant ?
(Rires) On n’a pu jouer qu’une seule fois depuis sa sortie. Pour ce nouvel EP, Jason est venu à Boston au mois de juin. On a alors fait un concert… et on l’a joué ! (Rires)

Thalia Zedek Band – Perfect Vision (2021)

J’ai été un peu surpris par le choix du premier single, « Cranes », un morceau finalement assez lumineux avec sa pedal steel guitar, alors qu’on est plutôt habitués à des compositions mélancoliques et tourmentées de ta part.
Je tenais à ce que ce morceau soit le premier single, j’adore la façon dont il démarre (elle chantonne le riff). C’est Karen Sarkisian qui joue la pedal steel, je la connais depuis un moment mais on n’avait jamais joué ensemble. On se connaissait via des amis en commun et quand Fighting Season est sorti, elle m’avait dit qu’elle pouvait jouer pour moi si besoin. Quand j’ai composé ce morceau, je me suis tout de suite dit que c’était parfait pour elle. Cette chanson est un peu différente, assez enlevée, mais les paroles sont assez déprimantes. (Rires) La pedal steel apporte presque une touche country.

« From The Fire » ressemble en revanche à un classique de ta part mais à mi-morceau cette trompette apporte une touche balkanique inattendue.
Durant la pandémie, j’ai fait quelques collaborations. J’ai notamment chanté une reprise de Rowland S. Howard et maintenant j’ose plus qu’avant demander à des musiciens de collaborer. J’ai connu Brian Carpenter par Gavin, il a un groupe balkanique appelé Beat Circus. Il est aussi DJ de radio, fait des arrangements pour le Kronos Quartet, il est très talentueux et intéressant. J’ai joué plusieurs fois avec son groupe Brian Carpenter & The Confessions et je voulais vraiment travailler avec lui. Il joue plusieurs instruments différents. Je lui ai demandé ce qu’il voulait jouer et il a choisi la trompette, son instrument privilégié. On avait en tête une direction à emprunter mais c’est lui qui a composé sa partie.

Quelle est la signification de la pochette ?
J’avais pris la photo à un musée très cool de Harvard, le musée d’histoires naturelles. J’avais été frappé par ces yeux lors d’une exposition, comme des yeux de verre. Je réfléchissais à comment nommer l’album… Personne ne l’a remarqué pour l’instant et tu es le premier à qui je le dis, je l’ai appelé Perfect Vision car quand on a une vision parfaite aux Etats-Unis, on a 20/20. Et une grande partie de ce disque a été affectée par l’année 2020. Mais c’est super que personne ne l’ait remarqué parce qu’il a plusieurs significations. Les yeux, c’est donc pour ça aussi.

Ah, en France, c’est sur 10… et je dois avoir 2.
(Rires)

Fighting Season a été composé pendant une période très conflictuelle avec Trump au pouvoir. Après la Fighting Season, c’est le « Revelation Time » (du nom d’un des morceaux) ?
En fait, quand j’ai composé Perfect Vision, il était toujours au pouvoir. C’était même encore plus fou ! On l’a d’ailleurs mixé le 6 janvier, le jour de l’invasion du Capitole… Donc je n’étais pas plus apaisé au moment de Perfect Vision. « Revelation Time » est plus personnel que politique. « Binoculars », « Cranes », « Smoked » ou « From The Fire » sont vraiment politiques. Ça a été composé durant une période très intense. Certains morceaux étaient plus anciens, comme « Queasy » ou « Overblown ». Je devais en avoir la moitié et j’ai petit à petit complété. J’étais initialement plutôt concentré sur E avec l’album et la tournée prévue derrière… Je me suis ensuite consacré à terminer l’album.

5 disques : les choix de Thalia Zedek


Sans hésiter Junkyard de Birthday Party, un disque très important pour moi. Quand il est sorti, ça m’a plongé vers un genre de musique plus orienté sur la basse, j’était plus garage et rock’n roll à l’époque. Et les textes aussi m’ont marqué.
Je citerais aussi Radio Ethiopia de Patti Smith, Desire de Bob Dylan, After The Gold Rush de Neil Young, un disque court en plus, absolument parfait.
Enfin, un groupe moitié américain moitié français, entre Louisville et Dijon : Circle X, dont l’album Prehistory est sorti sur Sordide Sentimental (NdR : en fait, la réédition), un vieux label 80s qui sortait des trucs très cool. C’était un groupe très intéressant qui s’appuyait sur des boucles de cassettes et rythmes répétitifs. Ils ont eu une grosse influence sur moi au moment de Uzi notamment. Je voulais vraiment m’affranchir du garage et de la musique pop, ils m’ont ouvert l’esprit. Coïncidence : Gerard Cosloy de Matador est aussi un grand fan et il a sorti leur second album, Celestial, bien plus tard (NdR : en 1994).

Interview réalisée par Jonathan Lopez

Article paru initialement dans une version légèrement raccourcie dans notre fanzine #1, toujours disponible sur commande et dans quelques disquaires.

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