5 chansons, 5 disques par Besoin Dead

Publié par le 14 février 2017 dans 5 chansons, 5 disques, Interviews, Notre sélection, Toutes les interviews

C’est avec Pascal Benvenuti, directeur du label Et Mon Cul C’est Du Tofu? et membre unique du groupe Besoin Dead que nous inaugurons un nouveau style d’interview : d’abord, nous posons des questions à un artiste sur 5 chansons choisies dans sa discographie, puis c’est lui qui nous parle de 5 albums de son choix.

C’est chez lui, autour d’un thé, que Pascal s’est prêté au jeu, au cours d’une discussion où il est à la fois question de l’éducation des années 80, d’enregistrement analogique et du marché de la cassette audio en Pologne. Entre autres choses…

 

 

5 Chansons

 

1 – Rock’n Roll (Micropenis – À Peu Près Comme Ça – 2005)

Ce n’est pas ton premier groupe, si j’ai bien compris, mais pas loin?

Pas loin… Le premier groupe vraiment avec de la composition. Les autres étaient essentiellement des groupes de reprises. Enfin, c’est un peu inexact car j’avais aussi deux groupes au lycée avec lesquels on composait : Sloth et Teenage Riot.

 

Le morceau est sur votre live, mais je n’ai pas trouvé de titre officiel. 

Il s’appellait « Rock’n Roll », mais il n’est pas crédité sur le disque. Il apparaît en morceau caché. Il est un peu à part. Le riff de base, c’est une copine, Julia du groupe Missfist, qui l’a écrit mais elle n’en faisait rien donc à un moment je l’ai récupéré. C’était un riff tout bête. Le morceau peut sembler un peu débile, un peu second degré sur ce qu’est le rock’n roll. C’est à la fois ironique par rapport au DIY et surtout très sarcastique par rapport au monde mainstream du rock et ses contradictions.

 

Qui chante dessus ? Car ça ne chante pas tout le temps, sur votre album.

C’est moi. Quand ça chantait, c’était souvent moi. Sur le disque il y a aussi des invités, car on était quand même un groupe à moitié instrumental.

 

C’était par choix ?

C’est surtout venu d’une réflexion d’arrêter de chanter en anglais. D’ailleurs, je crois que ce morceau est le dernier que j’ai écrit en anglais.

La première fois que je suis allé aux États-Unis et que j’ai fait écouter une démo de Micropenis à des amis, ils m’avaient dit « c’est vachement bien, mais pourquoi tu chantes en anglais ? On ne comprend rien à ce que tu dis. » Et puis, j’ai pas mal réfléchi, je me suis aussi demandé pourquoi on reproduisait la domination culturelle anglo-saxonne nous aussi alors qu’on était déjà assez sous-exposés comme ça par rapport à tous les groupes anglo-saxons. Si en plus on se mettait à chanter en anglais… Du coup, cette réflexion a commencé, sauf que ce n’était pas si évident car le français à des exigences spécifiques. Après, je me suis mis à composer davantage de musique instrumentale, donc ça m’a moins dérangé.

 

J’ai eu l’impression qu’il y avait une grosse influence Fugazi… 

Ça faisait partie de mes influences à l’époque, oui.

 

Ça m’a aussi fait penser aux Replacements.

Non, on n’écoutait pas ça à l’époque. Mais Fugazi, ouais. Et j’étais un dingue de NoMeansNo, donc le coup de la basse mise en avant, c’était beaucoup ça.

 

Le côté chanson blague peut faire très punk californien, aussi. 

Ouais, sachant que, ado, quelques trucs me plaisaient dans ce style-là. Je crois qu’il y avait aussi une blague par rapport à ça. Tu vois, c’est quand même vieux. Ce morceau-là, j’ai dû finir de le composer vers 2003, donc ça fait un petit moment. J’essaie de me remémorer. De toute façon, c’était une blague. Après, c’est possible, justement, que ce morceau ait été une blague par rapport au skate punk. Mais on faisait plein de conneries, à l’époque, c’était toujours à moitié des blagues. Il y avait quelques trucs un peu sérieux, mais beaucoup de clins d’oeil, aussi. Ceci dit, celui-ci était un morceau assez à part. D’ailleurs, c’est le seul morceau blague qu’on ait enregistré, car, par contre, on n’enregistrait que les trucs plus sérieux. On l’avait mis en chanson cachée tout au bout pour cette raison.

 

2 – Funk La Police/Tu L’as Dans L’Kyuss/Michael Jojo (Louise Mitchels – Trop Bon Trop Con – 2011)

J’ai mis trois morceaux car ils s’imbriquent, on a l’impression que tout est d’un seul tenant. On a d’ailleurs cette impression sur tout le disque.

Comme pour le disque précédent, « Es hat uns spass gemacht », il me semble que j’avais composé toute la face A et que la face B avait été composée par Geoff (NDR : Geoffroy Laporte aka Jessica93). Du coup, tu as choisi la face que j’ai composé.

 

Avec l’aide de Michael Jackson…

(rires) Oui, ça, c’est un truc qu’on a commencé à faire avec les Louise Mitchels quasiment dès le départ, à savoir d’insérer des petits thèmes, soit de morceaux qu’on aime, soit de morceaux qu’on n’aime pas, d’ailleurs.

Le plus drôle, c’est qu’on insérait des thèmes mais que les gens ne les reconnaissaient même pas. Le nombre de fois qu’on a pu jouer ce thème de Michael Jackson devant les gens et que personne ne capte rien… Alors qu’il y a tout le thème de “Thriller” ! La ligne de basse, le thème de chant qui est fait par la guitare. On finit quand même par Metallica, je crois, et Slayer… ça nous faisait rire d’avoir Metallica, Slayer et Michael Jackson sur le même morceau, car ça n’avait aucun sens ! De toute façon, ça allait avec le titre de ce disque.

On avait eu l’idée du titre car on rentrait d’un week-end de dates et on avait vraiment eu l’impression de s’être fait avoir, ou en tout cas d’être des bonnes poires. Pour rigoler de tout ça, on s’était dit « on n’a qu’à faire un album qui s’appellerait ”Trop Bon Trop Con” », donc on avait déjà le titre, puis on a tout de suite réfléchi au dispositif qui était d’avoir une seule prise par face. On avait six morceaux, trois pour la face A, trois pour la face B qu’on enchaînerait. D’où cette impression de continuité, c’était une seule prise.

 

Mais chaque morceau était composé comme un morceau à part entière ?

À la base, ouais, mais il se trouve que dans le set ils étaient mis bout à bout comme ça. Je ne sais plus si on avait adopté ça avant l’enregistrement ou après, possiblement avant car on était quand même relativement calés sur le disque.

 

En effet, on sent que c’est en place.

Oui, c’était en réalité le moment où ça jouait le mieux dans le groupe. Il y a eu beaucoup de line-up différents, mais là c’était Geoff, Boris et moi, on bosse super vite et du coup tout se mettait en place rapidement. Ensuite on les testait directement en concert. Ça allait vite. Dans les autres formations, il y avait toujours quelqu’un qui avait des difficultés à assimiler les trucs, alors que Geoff, Boris et moi ça nous semblait aller de soit, comme faire du vélo ou respirer. C’est pour ça qu’on avait décidé de le faire en live, en une prise, pour que ça vive un peu.

 

Là encore, l’instrumental c’était par défaut ou un choix ?

C’est encore dans cette réflexion de ne pas chanter en anglais. Il y avait la volonté de mettre du chant sauf qu’on n’y arrivait pas, ni Geoff, ni moi, alors que Geoff met normalement du chant dans tout ce qu’il compose. Moi, c’était plus compliqué parce que je n’avais pas encore réussi à passer le cap du français. J’ai fait 2-3 morceaux en français pour les Louise Mitchels dont je ne suis pas satisfait, donc j’attendais d’être vraiment prêt pour proposer autre chose. En plus, on bossait un peu à l’envers car on bossait tout l’instrumental puis on se demandait si on allait rajouter du chant une fois que c’était prêt… On avait une manière de composer trop instinctive qui n’était pas liée à des structures couplet-refrain-pont, on ne faisait pas du tout ça. Du coup, pour insérer du chant, ce n’était pas évident et on n’y arrivait pas, donc on les a laissées comme ça.

 

Les références dans le titre des chansons c’était lié à une optique de travail (« on va faire un morceau dans le genre de »), parce que le morceau vous évoquait ça une fois fini ou juste pour la connerie ?

Un peu des trois. Des fois, on commençait un truc puis on trouvait que ça sonnait comme quelque chose, alors on mettait le riff pour déconner juste après, des fois on décidait de mettre une reprise à l’intérieur, et des fois on avait juste trouvé un bon jeu de mot. Par exemple, « Tu L’as Dans l’Kyuss », ça me faisait rire, mais je ne pense pas particulièrement grand-chose de Kyuss puisque je n’ai jamais écouté.

 

Même pas après ?

Même pas, tu vois, je manque de curiosité.

 

Ceci dit, les morceaux n’étaient pas improvisés, c’était de la compo ?

Ah oui, il y avait finalement très peu de liberté dans les Louise Mitchels. Ça donne cette impression, pourtant c’était extrêmement calibré. Il y avait quelques petits moments de liberté mais n’importe quelle personne qui fait de la musique improvisée trouverait ça ridicule. Par contre, on avait une manière de composer assez bizarre, avec une certaine recherche de liberté par rapport à certaines conventions. Je pense aussi que mettre plein de références à des groupes extrêmement calibrés, c’était une manière de s’en détacher. Mais là encore, ça remonte, c’est marrant de se replonger dedans.

Pour le détail, Trop Bon Trop Con a été enregistré en une soirée, en six ou sept prises. On était dégoûtés parce qu’on voulait vraiment le faire en une ou deux prises au départ, mais avec les prises tests on a un peu perdu en spontanéité. C’était rigolo, dans l’ensemble, une soirée détente avec les copains qui se bourraient la gueule dans la même pièce.

 

3 – Bombaklatt (Besoin Dead – Split With Jessica93 – 2012)

C’est en anglais ?

C’est du chant en anglais, mais c’est Geoff qui s’occupait des paroles, je sais juste que « Bombaklatt » est une insulte. Moi, je m’occupais de la batterie et de la guitare préparée, lui des paroles et de la guitare mais on avait tout bossé ensemble, souvent sur des bases improvisées. Ça s’est fait en quelques après-midis. Pour le coup, c’est moi qui ramais comme je ne suis pas vraiment batteur. J’avais déjà fait quelques enregistrements à la batterie avec les Louise Mitchels, mais en deuxième batterie, avec Boris à côté qui est un batteur incroyable, donc je me sentais soutenu. J’en faisais un peu ado, mais ça n’a jamais vraiment été mon instrument de prédilection ou quelque-chose que j’ai bossé, comme la basse par exemple. Et puis quand je m’y suis remis pour Besoin Dead, je n’avais plus 20 ans. Plus jeune, je frappais n’importe comment mais j’avais toujours la force qu’il fallait. Là, mon corps ne suivait pas. Du coup, le plus dur c’était pour moi. Et puis, il y avait ce truc de tricher avec la guitare préparée.

 

Ça a été là dès le départ, ce n’était pas pour compenser le départ de la guitare ?

C’était là dès le départ. L’idée, c’était de rajouter comme une basse, mais on a mis une guitare pour offrir plus de possibilités, vu qu’il y a toujours moyen de trafiquer une guitare pour que ça sonne plus grave. Je ne me souviens plus exactement comment c’est venu, mais en discutant on s’est dit que ce serait cool que ce ne soit pas juste un duo guitare/batterie classique. On voulait ajouter un truc un peu spécial, sachant que j’avais déjà vu pas mal de gens faire ce genre de choses, ne serait-ce que Nico de Headwar ; à l’époque Usé n’existait pas mais il avait déjà fait des tentatives de mélanger guitare et percussion. Et bien sûr, j’avais vu Sonic Youth et compagnie le faire depuis des années, même si l’idée pour eux n’était pas de faire plusieurs choses en même temps mais plutôt d’obtenir une texture de son particulière.

 

Ce sont des morceaux moins personnels, puisque vous étiez deux ?

Oui, et puis le sens est moins fort. On n’y a pas tellement réfléchit. Le seul sur lequel on s’était concertés, c’est le dernier de la démo, « Georges », qui parle d’un pote à nous. Pour le coup, c’était un projet plus grunge, à cette époque-là.

 

Ce que tu as l’impression de moins avoir maintenant ?

Ouais, parce que je peux moins développer des structures comme ça, c’est techniquement compliqué. Après, je ne cherche pas tellement à faire de style. Je dis « grunge » parce que les gens nous collaient cette étiquette-là, mais je comprends qu’on nous dise ça. Ça a un peu moins de sens quand on me le dit aujourd’hui, je trouve.

 

Pour les gens, tu as une guitare distordue, une chemise à carreau, c’est grunge. 

Et puis il y avait le sosie de Kurt Cobain dans mon groupe ! (rires) Du coup, ce disque avait été enregistré en analogique à Amiens par Nico de Headwar, Usé. C’était la démo, on devait enregistrer ça avec d’autres morceaux, on ne l’a finalement jamais fait. Ça correspondait au moment où Geoff travaillait sur ce qui allait devenir Who Cares, l’album qui a été encensé par tous les magazines ensuite, et ça ne l’intéressait plus donc il a laissé tomber. Normalement, ça devait sortir chez Music Fear Satan, il était motivé, et quand je lui ai renvoyé ma version tout seul, il ne m’a même pas répondu ! (rires) C’était annoncé sur son site et ça a disparu après que je lui ai envoyé la démo. Mais bon, c’est pas grave, je lui avais dit « franchement, ça va être autre chose, je ne t’en veux pas du tout si ça ne te parle plus. » Il n’y avait pas de lézard. De toute façon, je peux faire les choses par moi-même. D’ailleurs, tout le monde peut le faire, au final ! Le Micropenis, on l’avait sorti tous seuls, c’était pas encore Mon Cul, tout comme le premier Louise Mitchels. De toute manière, je ne cherche pas de surexposition, ça m’est complètement égal de le sortir sur tel ou tel label. Si ça me disait de le sortir sur Music Fear Satan, c’est parce que j’aime bien Nico. Et puis, je n’avais pas encore développé toute cette réflexion sur la non-promotion.

 

Malheureusement, c’est surtout avec la promotion que ça fonctionne.

Je crois plus au contact direct qu’à détacher les choses de leur propre réalité pour faire du spectaculaire. Il y a des contre-exemples qui montrent que ça peut fonctionner sans promotion. Avec Mon Cul, je suis complètement autonome financièrement, même si ça ne me rapporte pas d’argent à titre personnel et que je ne peux pas encore rémunérer les gens, mais c’est la preuve qu’on peut tenir un label et produire des groupes sans faire de promotion. La seule promo, finalement, c’est la newsletter. La seule critique légitime, c’est qu’il faut en avoir entendu parler, c’est pour ça que j’accepte de faire des interviews, mais pas avec n’importe qui. Je préfère que les gens comprennent bien notre démarche, qu’ils sachent de quoi il en retourne avant de se tourner vers notre label plutôt qu’ils s’en fassent une image fausse en lisant un article dans New Noise ou les Inrocks qui cherchera juste à vendre du papier en créant du phénomène.

 

 

 

4 – 9/3 Baltringue (Besoin Dead – Pair, Tu N’es Pas Impair – 2015)

C’était le premier morceau que j’ai composé tout seul avec Besoin Dead, après le départ de Geoff… Non, ce n’était pas le premier, c’était le deuxième, pardon.

 

C’était longtemps après son départ ?

J’ai essayé quasiment tout de suite après, mais je n’y arrivais pas. J’ai essayé, ça a pris vraiment longtemps. Je passais la moitié des répètes à me morfondre. Sachant que c’était une période où j’avais vraiment pas le moral. Il y avait pas mal de choses qui s’accumulaient entre la surexposition de Jessica93, qui se mélangeait au fait qu’il lâchait Mon Cul, il lâchait Besoin Dead, il avait lâché quelques mois avant les Louise Mitchels…

 

Je pensais que les Louise Mitchels s’étaient séparés avant la formation de Besoin Dead. 

Non, on avait fait Besoin Dead parce qu’on nous avait proposé de venir aux États-Unis avec les Louise Mitchels, c’était la deuxième année consécutive que les autres nous disaient qu’ils ne pouvaient pas et avec Geoff on avait vraiment envie d’y aller. On s’est dit qu’on allait faire ce projet juste pour ce voyage-là et c’est comme ça que Besoin Dead est né.

Du coup, le moment où j’ai commencé à bosser tout seul, c’était pas un moment facile. C’était le début du buzz de Jessica93. Tous les jours, pendant à peu près un an, je recevais au moins un message qui mentionnait Jessica93. Souvent pour me dire en substance que c’était la seule bonne chose que j’aie pu sortir. Pour arriver à passer à autre chose, c’était pas très évident… Sachant qu’on est pas mal de musiciens à reconnaître les similitudes entre le fait de faire un groupe et le fait d’être dans une relation amoureuse, si on te parle tous les jours de ton ex, au bout d’un moment tu pètes un câble. Donc j’ai eu vraiment du mal à prendre confiance en moi. Puis, je suis arrivé à faire des trucs, le premier c’était « Perdre La Tête », et « 9/3 Baltringue» était le deuxième.

 

En tant que banlieusard, c’est une chanson qui me parle. Peux-tu expliciter le message et en quoi il est lié à ta propre expérience ?

J’ai grandi en banlieue, je suis né dans le 11e mais je n’ai jamais habité Paris intra-muros. Je n’ai aucune attache familiale en région parisienne. Ma famille vient de Marseille et ma mère a été mutée dans le 93 à sa première année d’enseignement, comme beaucoup d’enseignants. Moi, j’y suis resté. Du coup, ce morceau évoque des sentiments contradictoires. À la fois, c’est chez moi, mais je n’y ai aucune attache à part mes quelques potes encore là. C’est un endroit qui par moments m’énerve à un point assez hallucinant, et en même temps je n’arrive pas à en partir. C’est chez toi, et en même temps tu n’es chez toi nulle part.

Et il n’y a rien à y faire, surtout aujourd’hui. Il y avait plus de choses dans les années 80 avec des gens qui se bougeaient. Aujourd’hui, c’est la mort. Et même quand il y a des lieux, personne n’y va. Je pense aux Cuizines à Chelles (77), personne ne va là-bas ! Même quand il y a un bon concert, les jeunes n’y vont pas ! C’est hyper triste ! Ils ne sont pas dans la construction de quelque chose localement. On avait essayé de faire ça au lycée avec toute une bande de gens, en formant un petit collectif de groupes. Après, ils sont tous passés à autre chose, mais je me suis mis à rencontrer d’autres gens qui faisaient des choses. Notamment les personnes qui formeront plus tard Sex Drugs & Rebetiko. On a vraiment essayé d’organiser des concerts localement, mais à part nos potes ça n’intéressait personne. On a cherché à organiser des choses sur Paris, sachant qu’en étant en banlieue, c’était pas évident. C’était comme débarquer de la cambrousse et ne pas comprendre comment ça se passe en ville. Moi, j’ai mis longtemps à me connecter aux personnes qu’il fallait pour pouvoir organiser des concerts d’une manière qui me convenait. Ça a été long ! Et encore, je suis plutôt sociable, je n’imagine pas les gens un peu timides comment ils peuvent s’en sortir.

 

Ils s’en sortent pas, en général. 

Ouais, c’est ça. Soit t’es sociable, soit t’as un égo un peu démesuré et tu arrives à te mettre en avant, soit tu connais les bonnes personnes. Pour ça, faut le capital social qui va avec. Et c’est un peu toujours les mêmes qui accèdent à ce capital social : soit les gens des beaux quartiers, soit les gens des beaux quartiers décident que quelqu’un d’un quartier plus pauvre va pouvoir accéder à la médiatisation. C’est malheureusement comme ça que ça marche.

 

Qu’est-ce qui t’a poussé à mettre ce titre en ouverture du disque ?

Ça correspondait à ce que je faisais en live. C’est à partir de Trop Bon Trop Con que j’ai commencé à garder le même ordre de morceaux qu’en concert. Et puis c’est aussi la manière dont il commence, comme une introduction.

 

Ce côté crescendo… Qui est aussi le cas de « Perdre La Tête », d’ailleurs.

C’est vrai. Et au final, en y réfléchissant, la plupart de mes morceaux sont construits comme ça, avec une espèce d’intro qui dure plus ou moins longtemps puis le morceau commence. C’est peut-être le point commun entre tous mes morceaux.

 

5 – Camille Claudel (Besoin Dead – Pair, Tu N’es Pas Impair – 2015)


C’est un morceau qui ne fonctionne pas comme ça.

Ah ouais, effectivement, c’est plus un morceau pop. Je ne me souviens plus comment je l’ai composé. C’était un morceau important pour moi. Mon histoire avec Camille Claudel commence vraiment petit. Première expo que je vais voir, c’est au musée Rodin avec l’école maternelle, c’est le moment où ils commencent à réexposer le travail de Camille Claudel. C’était le tout début des années 80, elle était complètement ignorée depuis sa mort. Elle est morte pendant la seconde guerre mondiale après 30 ans d’enfermement en asile. Il faut se renseigner sur les conditions des patients pendant les guerres, c’était terrible ! Déjà qu’en temps normal, c’est désastreux… Puis, il y a ce film de Bruno Dumont, Camille Claudel 1915, qui est venu réactiver tout ça. Il se focalise sur un moment de la détention de Camille Claudel où son frère vient lui rendre visite, ça s’étale sur je ne sais plus combien d’années. Le film évoque cette relation à son frère et le fait qu’à chaque fois elle le suppliait de la sortir de là. C’était au même moment où mon père en claquant des doigts a mis ma grand-mère en maison de retraite alors que c’était vraiment le tout premier stade de son Alzheimer. J’arrivais pas à comprendre ça, j’arriverais pas à faire ça à ma sœur, à ma copine ou à ma mère. Jamais je ne laisserai mes proches dans un HP ou quelconque institution totalitaire. J’ai donc composé ce morceau qui mélange mon ressenti personnel, et à quel point l’histoire de Camille Claudel m’avait touché.

Et puis artistiquement, son travail m’a bercé depuis mon enfance. J’en ai un souvenir fort de ce musée ! J’ai vu d’autres trucs quand j’étais petit, mais ça, je m’en souviens très très bien. Ça me fascinait autant que ça me faisait peur. Je trouvais ça beau, mais il y avait quelque chose de flippant dans cette reproduction de la réalité, et finalement dans la beauté, tout court. Je la trouvais hyper torturée. Je retrouvais ça dans le travail de Rodin et de Camille Claudel, sachant qu’à l’époque, je devais avoir quatre ans, je ne faisais pas trop la différence. Je sentais une intensité, une tristesse.

 

C’est étonnant, cette perception si jeune. On n’imagine pas un enfant aussi jeune s’intéresser à l’art.

Je ne sais pas. Quand un travail est fort… Je disais que ma mère est prof, quand je suis rentré de là, a priori j’étais super excité, j’en ai parlé à ma mère et j’avais vraiment envie d’y retourner. Donc on y est retournés, elle m’avait chopé des cartes postales de trucs que j’aimais bien et elle m’en avait fait un petit classeur, que j’ai encore, d’ailleurs. Elle m’a permis de prendre conscience de ça et de m’en souvenir. C’est pas que je suis particulièrement précoce ou surdoué, c’est qu’en l’occurrence j’avais eu la chance d’avoir ma mère et sa bonne volonté culturelle. Du coup, je me suis souvenu de ça. Mais je suis certain qu’il y avait bien d’autres gamins qui ont ressenti les mêmes choses que moi mais qui n’ont pas eu l’accompagnement ensuite pour pouvoir s’en souvenir et que ça ait un impact sur leur vie.

 

Je trouve surtout génial mais étonnant de prévoir ça comme sortie pour des élèves de maternelle ! C’est la preuve que les profs ne sont pas bons qu’à changer des couches.

(Rires) Ouais, je sais pas pourquoi ils avaient fait ça… Comme quoi, là, ils m’avaient permis trente ans en avance de trouver le sujet d’un morceau !

 

En plus, c’est typiquement cette école post-soixante-huitarde qui est censée ne rien nous apprendre et nous avoir rendu illettrés en laissant trop de place au bien-être de l’enfant.

(Rires) Voilà, on ne peut pas dire mieux.

 

 

5 Albums

 

 

 

 

 

1 – Sonic Youth – Sister

C’est l’édition originale sortie par SST et que j’ai achetée à New York vers 2008, pas si cher que ça, une vingtaine de dollars. J’étais assez content ! Bref, je ne vais pas parler que de ça, mais mine de rien, quand on parle du disque, ça a toujours un lien avec le moment où tu l’as eu. Sachant que ça, c’est un disque que j’avais d’abord récupéré en copie cassette. La première fois que j’ai dû l’entendre, ça devait être en 1994-1995 et à l’époque, surtout quand on aimait, on écoutait les cassettes en boucle. On avançait rarement d’un morceau à l’autre parce que ça niquait les piles, et en plus c’était galère, donc en général, même le morceau pas bien, on l’écoutait et au bout d’un moment on se mettait à bien l’aimer ! C’est une pratique que j’ai vachement perdu, à part quand je mets les cassettes dans la voiture, mais je remarque, et je pense que je ne suis pas le seul, quand il y a un mp3 qui me fait chier, bim, je passe au morceau d’après.

 

C’est aussi le cas avec le vinyle, sauf si tu jongles tu dois écouter une face entière.

Ouais, les deux sont possibles. En tout cas, c’est un disque que je connais sur le bout des doigts, les moindres petits détails, je les ai tous entendus. J’adore la texture du son, on sent que c’est de l’analogique et j’ai aussi choisi celui-ci car mon morceau « Camille Claudel » est un peu un clin d’œil à « Schizophrenia », qui est un morceau qui me fascinait. Pas seulement parce que je le trouvais bien musicalement, mais parce que le thème était intéressant et abordé d’une manière assez cynique. Les paroles sont assez ironiques. C’est un album qui m’a énormément marqué quand j’étais ado. Je ne comprenais pas du tout comment ils arrivaient à faire ces sons de guitare, c’était tellement abstrait… Ça laissait beaucoup parler l’imagination, si tu veux.

Aujourd’hui, on te cadre ton imaginaire et finalement on choisit même ce que tu vas aimer, pourquoi tu vas l’aimer, ce que tu vas penser des groupes, et on choisit telle image pour que tu penses à telle chose. En l’occurrence, Sonic Youth avait certes une certaine exposition en France, mais pas si énorme, moi j’en entendais pas parler, les magazines n’en parlaient pas ou peu… J’étais un plouc de banlieue de toute manière.

 

Oui, c’est une légende urbaine qu’avec le succès de Nirvana au début des années 90 des groupes comme Sonic Youth étaient surexposés. 

Bah pas tant que ça en France, en tout cas. Il y a eu quelques articles, je me souviens d’un article sur les Melvins dans Hard Rock Magazine, un article nullissime ! Tout ce que je lisais sur Sonic Youth dans les années 90 était écrit n’importe comment. Du coup, ma vision de ce groupe relevait de mon imaginaire, qui s’est aussi développé via la vidéo 1991 The Year Punk Broke, un simili de documentaire qui suivait Sonic Youth en tournée quand ils faisaient la tournée des festivals en Europe avec Nirvana, Dinosaur Jr, Babes in Toyland et tout ça. Cette vidéo donnait pas mal envie de partir en tournée, ils avaient l’air de tellement bien se marrer… Ça avait l’air hyper chouette, quoi.

De mémoire, je crois que les bandes de Sister avaient été repassées dans une table analogique sur laquelle les Beatles avaient enregistré. Je crois qu’ils avaient fait un truc comme ça car ils trouvaient le son trop propre. J’avais lu ça à l’époque et je n’avais alors pas du tout compris l’intérêt de faire un truc pareil. Mine de rien, on en intériorise des choses, et notamment cet espèce d’eugénisme musical. Pourquoi on rendrait crado quelque chose ? Ça n’avait aucun sens pour moi à l’époque, alors qu’en fait tu peux rendre quelque chose beaucoup plus beau avec des textures plus fragiles. C’est le cas de ce disque, je crois.

(Il regarde la pochette) C’est pressé en DMM, c’est-à-dire directement à partir du mastering d’origine. De toute façon, il n’y avait pas le choix, à l’époque. Mais tu vois, cette copie, ça n’est jamais passé par des 0 ou des 1. (Il regarde encore) C’est pas précisé, donc je ne peux pas dire si c’est pour cet album-là ou pour Goo que l’enregistrement est passé sur cette fameuse table.

 

Goo est quand même un peu plus propre.

Oui, c’est le moment où ils partent de SST, et sortent leur premier disque sur Geffen. C’est le début de leur succès commercial, en fait. Pour un groupe, disons arty, de toute cette scène No-Wave, ce sont les seuls qui aient réussi à obtenir un succès commercial. C’est pas DNA ou les groupes de cette époque qui auraient signé sur major. Là où ils ont été forts, c’était de mélanger le nihilisme de la No-wave avec l’accessibilité de la pop.

D’ailleurs c’est rigolo, j’avais fait un concert avec Martin Bisi, qui avait enregistré Bad Moon Rising, on discutait et je ne sais plus comment on en est venu sur le sujet mais il nous a expliqué qu’à cette époque-là, Sonic Youth lui paraissait un groupe relativement conventionnel, par rapport à l’émulsion de la scène New-Yorkaise. Du coup, il ne trouvait pas ça si étonnant que ce soit eux qui soient passés sur une major. C’est quelque chose qu’ils recherchaient. J’avais retrouvé de vieilles interviews où tu vois Thurston Moore prenant des airs très sérieux, expliquant qu’ils étaient en train d’essayer de professionnaliser la chose. On sent qu’ils sont malins et qu’ils savaient ce qu’ils faisaient. Il le fallait pour qu’un groupe faisant ce type de musique puisse signer sur une major en 1989.

Je me souviens aussi que j’avais lu qu’ils avaient viré Bob Bert, le batteur, et j’avais trouvé ça dur ! (rires)

 

Bienvenue dans la vie professionnelle des musiciens.

(rires) D’ailleurs, j’aurais peut-être dû prendre un disque des Minutemen à la place, c’est vraiment une aventure humaine, une histoire d’amitié, le groupe n’existe pas s’il en manque un. Je ne sais pas si Sonic Youth aurait arrêté si l’un des 4, enfin l’un des 3, était mort. Ça dépend lequel. Peut-être qu’ils auraient continué sans Lee Ranaldo ou Steve Shelley ! (rires)

 

 

 

 

 

 

2 – Pixies – Surfer Rosa (1988)

Surfer Rosa sans Come On Pilgrim (l’édition CD contient les 2).

C’est ça, enregistré à l’époque par Steve Albini. Là, on est encore dans du pur analogique, ça se sent. Quand on met la galette un peu fort, je trouve que ça sonne incroyablement bien. On trouve un nombre de tubes sur ce disque… En l’occurrence, je connaissais tous les morceaux mais dans un ordre différent parce que j’avais surtout entendu des compils à l’époque. J’avais une copie cassette avec une tracklist qui n’était pas la même et j’avais finalement peu de gens autour de moi qui écoutaient les Pixies…

 

C’était avant Fight Club, c’est pour ça.

Ouais, voilà, c’est ça. Mais j’adore ce disque, vraiment. Je ne suis juste pas hyper fan de « Vamos ». J’accroche pas trop à l’espagnol en musique, ça m’a jamais trop parlé.

 

C’est parce que tu as fait Allemand deuxième langue ?

Voilà, première langue d’ailleurs ! C’est ma défense inconsciente du travail de ma mère (rires). Sinon, j’adore. Et j’adore le début de « Broken Face » où on a l’impression que c’est un montage, ou qu’ils se sont un peu plantés ou que le vinyle saute.

 

Comme le début de « Something Against You » qui fait un peu bancal.

Et ouais, mais des fois c’était vraiment bancal ! C’est la différence avec aujourd’hui, c’est-à-dire qu’aujourd’hui, un artiste qui va faire un truc un peu bancal, on va tout retoucher après sur l’ordinateur. À l’époque, tu peux rien retoucher du tout ! Si, tu peux couper entièrement la bande par endroits ou refaire une prise, mais tu peux rien retoucher au niveau mise en place ou justesse et du coup, tu gardes les imperfections, mais tu gardes aussi une certaine authenticité. En règle générale, les gens bossaient juste beaucoup plus leurs morceaux. On ne faisait pas vingt prises pour un morceau. De toute façon, Steve Albini privilégie qu’il y ait peu de prises : entre une et cinq tu gardes une certaine spontanéité. En analogique, tu es un peu obligé, tu ne vas pas faire trente prises et réécouter après. Tu fais une prise, tu vas écouter, et soit tu la gardes soit tu l’effaces. Une bande, ça coûte tellement cher que tu vas pas faire un seul morceau sur toute ta bande pour ensuite sélectionner quelle prise est la meilleure !

Voilà, c’est un disque que je trouve assez parfait. Et puis des morceaux assez différents les uns des autres. C’est pas la même quand y a une dominante de la voix de Frank Black ou de Kim Deal. J’adore la complémentarité des guitares, aussi. C’est un disque super, et le son est parfait, c’est du pur Albini avec une batterie qui résonne dans une grande pièce. J’adore.

 

 

 

 

 

3 – Shellac – At Action Park (1994)

Pour rester dans le travail d’Albini. J’ai le vinyle, là, mais à l’époque je l’avais chopé en cassette en Pologne, je m’en souviens. En Pologne, ils ont toujours eu des cassettes pas chères. Ça devait être en 1999 ou 2000. Mais j’ai connu tard Shellac, de toute façon.

 

C’est un groupe qui n’avait pas une grosse exposition en France…

Et qui ne la cherchait pas. Pour le coup, le propos de Steve Albini est beaucoup plus passionnant que les interviews de Sonic Youth ou des Pixies. Je me sens pas mal d’atomes crochus avec ce type-là, en tout cas par rapport aux thèmes qu’il aborde dans ses interviews ; ce sont des choses qui me parlent. Justement, sur son refus de la promotion. C’est conscient et ça fait longtemps qu’il développe l’idée du circuit court que les bobos remettent au goût du jour. Travailler avec peu de gens pour limiter les intermédiaires et en fin de compte, si tu achètes l’objet, l’argent va aller aux quelques personnes qui ont contribué à ce disque-là, pas à des gens qui n’ont rien à voir.

Du coup, comme Surfer Rosa, ce n’est pas enregistré au studio de Steve Albini, car il ne l’avait pas encore. Il avait été enregistré en partie en France ! En partie à Londres et en partie au Black Box, à Noyant la Gravoyère, je crois que c’était vers Angers. Un studio assez mythique.

J’aime bien les détails dans les albums de Shellac, tu as toujours des choses liées à la technique du son, des petits clin d’oeils. Là, par exemple, c’est un extrait d’un bouquin sur la mort par électrocution. C’est son côté fils d’ingénieur.

 

Il y a toujours une attention portée à l’objet…

Ce sont de beaux objets, c’est pas fait n’importe où… Tu vois, il y a marqué « ce morceau d’emballage a été fabriqué et imprimé par de fiers citoyens de ce formidable état de Californie ». En plus, il y a toujours une forme d’ironie, à la fois il est content d’avoir fait ça localement et en même temps il se fout de la gueule du patriotisme. C’est toujours de très beaux objets et on peut être sûrs qu’il n’y a jamais eu d’encodage numérique.

Ça a été imprimé à deux endroits différents, en fait, la sous-pochette en Californie et le gatefold à Chicago. A priori avec des gens qu’ils connaissent. Typiquement, on voit la culture punk là-dedans. Plus que dans Sister de Sonic Youth.

 

C’était SST quand même.

C’était SST. Mais il faut voir comment ils ont renié SST après dans toute leur démarche de professionnalisation. Après, je ne connais pas tous les tenants et aboutissants, mais je crois qu’il y a quand même eu des histoires d’avocats, parce qu’il ne devait pas y avoir de contrats à l’époque…

 

 

 

 

 

 

4 – Litovsk – Litovsk (2016)

Il faut quand même un disque typiquement punk dans ma sélection. J’aurais pu prendre The Feeding od the 5000 de CRASS, mais je n’ai même pas sélectionné un groupe français, la honte. Alors, allons-y pour Litovsk. C’est certainement un des disques que j’ai sorti que j’ai le plus écouté. Avec peut-être le disque de Taulard et quelques autres. Je l’ai vraiment énormément écouté, jusqu’à me mettre les mp3 dans mon téléphone « de Ben-Hur », comme dit mon ami marseillais qui se moque de la non-modernité de mon téléphone… N’empêche que je peux lire les mp3, ce qui est déjà pas mal et une assez grande déviation de ce qu’est censé faire un téléphone à la base.

Une partie du disque est en néerlandais, je ne connais pas la raison.

 

Tu n’en as pas discuté avec eux ?

En fait, je n’ai pas assez traîné avec eux pour avoir discuté de ça. Je ne les ai vus qu’une seule fois en concert et on s’écrit un petit peu, mais je n’ai jamais abordé cette question.

 

Ils viennent d’où ?

C’est un groupe de Brest, je crois qu’ils ont tous grandi là-bas, mais ils habitent dans des endroits assez différents les uns des autres, je crois qu’il y en a un qui est à Leipzig en Allemagne, notamment. Ils sont assez jeunes, en tout cas plus jeunes que moi. Et puis, c’est pas des hipsters, pour des gens qui ont sorti un disque de post-punk en 2016. C’est pas non plus des gens qui recherchent la notoriété, ni à copier un style en vogue. Ils disent « les gens disent qu’on fait du post-punk ». J’aime bien cette idée, car eux s’en foutent complètement. Ils font du punk et ils ont un propos, contrairement à la plupart des groupes post-punk actuels.

 

Et punk aussi, d’ailleurs.

Oui, et punks aussi, si on veut, mais c’est quand même plus général dans le post-punk. Le vide des interviews des gens en vogue dans ce style-là, ça me déprime. Là, ils ont vraiment un propos. En fait, je dis qu’ils sont jeunes mais c’est peut-être parce que je sens une sorte de naïveté de la jeunesse sur ce disque. D’ailleurs, j’ai envie de le mettre ! (il met le disque)

Bon, là pour l’enregistrement, on n’est plus du tout sur de l’analogique.

 

En fait, tu ne sais pas spécialement comment les disques ont été faits quand tu les sors ?

Sauf s’ils me le précisent, ou que je connais bien les gens. De toute façon, aujourd’hui enregistrer en analogique, c’est un luxe. C’est moins démocratisé et c’est une démarche consciente. A l’époque, tu n’avais pas le choix, aujourd’hui quand tu le fais, c’est que tu as une idée en tête. Après, j’en sais rien, si ça se trouve il a bien été enregistré en analogique, mais je pense que ce serait dit fièrement, comme je l’ai fait moi-même ! (rires) En tout cas, ça a été enregistré à Brest, par Jacky, et le master à Leipzig.

 

Ce qui fait post-punk, c’est le traitement de la voix et le son des guitares.

Ouais, le chorus. C’est pour ça que le disque a vachement parlé au public post-punk.

 

Quand un groupe te plaît, tu demandes simplement s’ils ont un truc à sortir, ils t’envoient les bandes et tu sors le disque ?

En général, ils sont vraiment autonomes, c’est vrai. Et je préfère travailler comme ça.

 

Du coup, ça t’est arrivé que le disque te déçoive un peu ?

Ouais, ça arrive. T’as pas toujours la même énergie sur le disque. Parfois, je sors quand même le disque car si j’ai ressenti une émotion en live, j’ai envie de participer à l’archivage de ces morceaux-là. C’est normal, ça arrive d’être déçu d’un disque par rapport à une prestation live et inversement, même si c’est plus rare. De toute façon, c’est deux boulots différents, donc ce n’est pas évident de passer de l’un à l’autre. La plupart des groupes que je sors en disque, ce sont des groupes que j’aime voir en live, pas nécessairement écouter à la maison. Mais j’aime participer à l’archivage de ces pratiques en marge. Ce sont des groupes que j’aime vraiment mais dont la musique me parle plus sur scène. Typiquement, les trucs très noise, je ne les écoute plus trop chez moi. J’écoute de plus en plus de trucs calmes, peut-être parce que je suis en train de devenir vieux ! (rires) Non, je l’ai toujours un peu fait par périodes. Peut-être aussi parce que tu te mets tellement plein de sons dans la tête quand tu pars en tournée que quand tu rentres chez toi, t’as envie de te poser un peu.

 

 

 

 

 

 

5 – Dezurik Sisters – Yodel And Sing Their Greatest Hits (2014)

Fallait qu’il y ait un peu d’humour dans ma sélection, sachant que c’est un disque que j’adore vraiment. C’est une compilation de leurs meilleurs morceaux faite par Mississippi Records. Ça doit être un pirate, à mon avis, car c’était quand même des artistes assez connues. Deux sœurs américaines, peut-être d’origine suisse ou c’était peut-être pour la légende.

En yodel, je trouve que c’est ultime, car ça mélange les techniques vocales du yodel suisse-allemand, avec de la musique country, du coup tu as l’impression d’entendre des poules chanter, c’est hallucinant. Il y a un humour dans cette musique que je trouve incroyable, et surtout une technicité… pour le coup, elles, tu peux être sûr que tout est enregistré en une seule prise et c’est au millimètre ! Elles chantent soit à l’unisson, soit harmonisé. C’est d’une justesse incroyable alors que la technologie de l’époque – car ça doit être les années 40 – ne permettait pas de tricher.

Après, les paroles, c’est cucul la praline ! C’est un disque pour se détendre.

 

On comprend les paroles, même en yodel ?

C’est enregistré en une piste direct sur master, ça s’entend. Les originaux devaient être en 78 tours. Donc tu comprends un peu parfois, au moins le thème, mais c’est toujours des thèmes un peu cucul. De toute façon, c’était de l’humour. Elles étaient relativement connues, à l’époque, faisant même des apparitions à la télé. On trouve une vidéo d’elles sur internet. Je trouvais ça pas mal de finir sur du yodel.

 

Je pense effectivement que c’est le seul disque du genre qu’on aura dans cette rubrique.

(Rires) Et encore, j’aurais pu aller beaucoup plus loin !

 

Entretien réalisé par BCG, un grand merci à Pascal Benvenuti pour le temps qu’il nous a accordé.

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