Sonic Youth – Goo

Publié par le 5 janvier 2013 dans Chroniques, Incontournables, Toutes les chroniques

goo

(Geffen, 26 juin 1990)

Ça fait drôle de se faire offrir à Noël l’album Goo de Sonic Youth par sa grand-mère. La destructuration pour mot d’ordre, le bruit comme leitmotiv… Pas trop son délire, on est assez loin de Pierre Bachelet.

Deux ans après la sortie de leur album culte Daydream Nation (que j’ai longuement hésité à chroniquer en premier), le groupe s’apprête à sortir son septième disque, le premier sur une major. Vade Retro !

On s’imagine alors que cette bande d’excités risque de mettre un peu d’eau dans son vin, balancer des gros tubes et modérer le festival de dissonances auquel elle nous avait habitués. Que nenni, peut-on s’empresser de répondre, même s’il faut bien admettre que ce disque est plus accessible que ses prédécesseurs.

Des vendus, les Sonic Youth ? N’exagérons rien ! Les grandes envolées soniques sont toujours au rendez-vous, la disto est encore largement à l’honneur mais la mélodie apparaît ici plus que jamais au premier plan avec une touche pop assumée.

Le groupe attaque fort avec la phénoménale “Dirty Boots”, son riff d’abord aérien, terriblement accrocheur et ça monte, ça monte jusqu’à l’explosion sur le refrain. Puis on laisse parler les guitares. La classe !

Évidemment, on ne s’arrête pas en si bon chemin. “Tunic (Song For Karen)” est tout aussi énorme. Kim parle, elle ne chante pas. Elle nous conte l’histoire de Karen Carpenter (chanteuse des Carpenters, qui souffrait d’anorexie mentale, décédée en 1983). Une fille perdue, mal dans sa peau, qui traine son spleen tout au long de ce titre vénéneux pendant que nous sommes cernés par les guitares oppressantes (“you are never goin’ anywhere“). Le dinosaure J Mascis vient se joindre à la fine équipe. Et ça tue.

Des perles comme celles-ci, cet album en regorge. Ça en deviendrait presque indécent. Dans un autre registre (et avec un autre invité de prestige : Chuck D de Public Enemy), “Kool Thing” porte plutôt bien son nom. Riff grungy à souhait, basse gargantuesque de Kim, “Kool Thing” nous refait le portrait à coups de burin. Thurston Moore et Lee Ranaldo se livrent un furieux duel électrique et on a bien du mal à désigner le vainqueur.

Mais Sonic Youth, c’est bien plus que d’anciens ados boutonneux qui ont morflé à l’école et crachent leur haine à pleins décibels à la face du monde. Ce sont avant tout de grands musiciens jamais avares en expérimentations capables de nous conter des histoires lors de longs passages instrumentaux qui transpirent l’aigreur, la rancœur tenace (“Disappearer”, “Cinderella’s Big Score”), la lente agonie (les interminables larsens finaux sur le mélancolique “Mote” dompté avec classe par Ranaldo).

Le fabuleux “Titanium Expose”, morceau typiquement Sonic Youth, plein de variations de rythme aussi déroutantes que jouissives, vient conclure en beauté cet album qui frise la perfection.

À l’époque de sa sortie, le groupe, mécontent de sa production, choisit de proposer à ses fans les démos dans le bootleg officiel Goo Demos. Des démos au son résolument plus rêche cela va de soi, que l’on peut retrouver aujourd’hui sur l’indispensable réédition de cet album (merci mamie).

Sans se renier le moins du monde, Sonic Youth signait avec Goo l’album idéal pour contenter à la fois ses vieux fidèles craignant un revirement douteux et de nouveaux adeptes aux oreilles pas encore suffisamment formées pour tolérer le déluge sonique des efforts antérieurs. Un an plus tard, sortait Nevermind (également chez Geffen, venant d’accueillir le jeune power trio de Seattle… sur recommandation de Sonic Youth) sur lequel un nombre incalculable de gamins a trippé comme des dingues (et continue, à juste titre). Et ces gamins dont je faisais partie ont grandi, pris de la hauteur pour réaliser que si on gratte un peu, il y a d’autres groupes que ceux qui passaient en boucle à la radio et sur MTV, comme ce fameux groupe new-yorkais, auteur d’une série d’albums fondamentaux. Pour ceux qui n’ont pas encore franchi le pas, ce disque peut constituer – vous l’aurez compris – un excellent point de départ. Il n’est peut-être pas trop tard pour le faire découvrir à ma grand-mère…

Jonathan Lopez

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