DISCO EXPRESS #1 : Sonic Youth

Publié par le 1 juillet 2020 dans Chroniques, Disco express, Notre sélection, Toutes les chroniques

À l’opposé de notre rubrique sobrement intitulée « discographies » qui se veut objective, exhaustive et documentée, nous avons choisi ici de vous résumer chaque mois des discographies avec concision, après une seule réécoute (quand ce n’est pas la première !) de chacun des disques. Des avis tranchés, des écrits spontanés, plus ou moins argumentés avec une bonne dose de mauvaise foi et d’amateurisme. Cause hey, this is just music!

Sonic Youth (1982) : je suis toujours surpris de me rappeler que les débuts du groupe sonnaient très post punk. Les lignes de basse de « The Good and The Bad », « Burning Spear » et « I Dreamed I Dream » (peut-être le meilleur morceau), on pourrait prendre ça pour du PIL ou du early Cure. À part ça, ça ne déborde pas de mélodies (doux euphémisme) et le chant est peu présent. Il y a un côté cauchemar hitchcockien sur « I Don’t Want To Push It » avec des grattes hyper intenses et anxiogènes qui passeraient volontiers pour des violons. Ça triture, ça divague, ça fait mumuse avec les tournevis, ça se paluche sur Glenn Branca et Andy Warhol… Intéressant, c’est le mot. Pas non plus captivant. L’album ne comporte que 5 morceaux mais j’ai écouté la version rallongée avec les lives et on ne va pas se mentir, j’ai eu un peu de mal à réfréner les bâillements.

Confusion Is Sex (plus Kill Yr Idols EP) (1983) : « (She’s In A) Bad Mood » est d’emblée plus percutante, les guitares s’affirment davantage. « Protect Me You » est assez hypnotique avec une Kim qui chuchote. Ils arrivent aussi à faire plus crade que des enregistrements pirates de « I Wanna Be Your Dog » et Iggy passe pour Elvis à côté des vociférations de Kim. La basse de « Inhuman » matraque, le chant est sous-mixé comme pas possible. Ce n’est pas toujours une partie de plaisir (morceau-titre assez éprouvant). J’ai relevé la tête et l’ai agitée compulsivement sur « Brother James » (on est donc passé à l’EP Kill Yr Idols) mais il est probable que ce soit parce que j’ai poncé 1991, The year punk broke.
En résumé, moi : « Je peux entrer ? » Le groupe : « non, mon petit, il va falloir encore patienter ».

Bad Moon Rising (1985) : pas (encore) de révolution. Longs errements de Thurston pendant que les guitares tricotent autour de lui (« Society Is A Hole »), c’est toujours très expérimental et couvert de bruit, de la musique quasi hallucinogène sur « I Love Her All The Time ». Cela reste très arty mais on entrevoit des éclaircies mélodiques (« I’m Insane » bien qu’un brin sinistre avant de se perdre dans les larsens finaux, « Flower »). Et puis, il y a la géniale « Death Valley 69 » avec une Lydia Lunch remontée à bloc (et son pont qui va crescendo « Hit it, hit it, hit it, HIT IT! HIT IT! » ). Grand morceau ! « Satan Is Boring », so is Sonic Youth (a bit) but not for long!

EVOL (1986) : c’est déjà beaucoup plus ma came. Les mélodies s’invitent, la formule s’affine et l’aspect bruitiste n’est pas délaissé pour autant. « Tom Violence », « Starpower », « Expressway To Yr Skull » c’est du caviar. Tout autour, de longues divagations, dissonances, échanges de bons procédés bruyants… L’album de la transition. Vous êtes prêts ? Après on enquille les chefs-d’oeuvre.

Sister (1987) : MONUMENTALE « Schizophrenia » en ouverture. Thurston nous parle ensuite de son blocage catho, on se perd dans les guitares, c’est merveilleux. C’est plus structuré, beaucoup plus accrocheur (les superbes « Beauty Lies In The Eye » et « Cotton Crown »). Le jeu de Steve Shelley est renversant, le final de « Tuff Gnarl » peut rendre fou les plus sains d’esprit. Alors moi… Entre celui-ci et EVOL, SY aime brouiller les pistes (pas de tracklisting sur la back cover ni dans le livret, celui sur la back cover d’EVOL diffère des macarons du vinyle…), probablement une volonté de nous faire lâcher prise, de nous perdre dans les méandres du disque, ce qui marche formidablement. La génération Spotify n’est pas tout à fait le cœur du cible.

Daydream Nation (1988) : tout a déjà été dit, écrit, scandé, y compris par moi, tous les superlatifs y sont passés. Leur indiscutable chef-d’œuvre. Le dosage parfait entre bruit et mélodie. Impossible de ne pas s’exciter sur l’indie tube parfait « Teenage Riot ». Et puis, « Cross The Breeze », « Eric’s Trip », la trilogie finale… Mes aïeux ! Avant j’avais tendance à penser qu’il a ses moments un peu plus chiants mais non, il tue d’un bout à l’autre. Et à chaque écoute, j’en tire de nouveaux motifs d’émerveillement. Quand mon fils sera en âge de comprendre, j’espère qu’il le fera…

The Whitey Album (sous le nom de Ciccone Youth) (1988) : mon dépucelage avec Ciccone. Quand un groupe expérimental prend un autre nom pour se permettre d’expérimenter encore plus… Ça peut faire peur. En résulte un spoken word chelou de Kim (« G-Force ») quand elle ne se prend pas carrément pour Chuck D (« Making The Nature Scene »), du faux Beastie Boys (« Tuff Titty Rap »), du bruit zarbi (« Platton II »), du faux Hendrix (« Me & Jill /Hendrix Cosby »), de la disco craignos (« Addicted To Love ») et quelques bonnes choses : le groove de « Burnin’ Up » (j’apprends que c’est une reprise de Madonna, c’est sans soute mieux que l’originale) et quelques excellents titres aux accents indus « March of The Ciccone Robots », « Macbeth », « Satan Children ».

Goo (1990) : allez, pour les médisants dont je suis qui osaient critiquer certains albums précédents : distribution de tubes ! « Dirty Boots » d’entrée de jeu, ça calme. « Kool Thing » (avec le vrai Chuck D et des riffs de la mort), ça foudroie. À côté de ça, de très grands titres moins évidents comme « Tunic » qui m’a toujours fasciné (« you aren’t never goin’ anywhere » !) ou « Disappearer ». Mon copain Goo est d’une fiabilité à toute épreuve, il nous suivra jusqu’au bout !

Dirty (1992) : Sonic Youth épouse la vague grunge et ça lui va très bien. Les irrésistibles « 100% » et « Sugar Kane », la fabuleuse « Shoot » et sa basse rampante, « Drunken Butterfly », « Chapel Hill », « Purr » pied au plancher… Peu de temps à perdre, la formule gagne en efficacité ce qu’elle perd en audace et expérimentation. Étant un gros bourrin crado, je dois bien admettre que ça me convient parfaitement.

Experimental Jet Set, Trash And No Star (1994) : « je suis le mal aiméééé ». Ce disque ne jouit pas de la même cote que la série de classiques qui l’a précédé. Moi-même, je l’ai toujours un peu snobé. À juste titre semblerait-il, même s’il y a de bien bonnes choses comme « Bull In The Heather », « Screaming Skull », et un bon gros kiff pour la lancinante « Self-Obsessed And Sexxee ». Les morceaux sont assez courts (pas mega « experimental » pour le coup) et ne laissent pas un souvenir impérissable. Jolie « Sweet Shine » (o’ mine) à la fin, notez bien !

Washing Machine (1995) : moins accrocheur que Goo et Dirty (les ballades plus inoffensives « Saucer-Like » et « Unwind », « Panty Lies » un peu lourdingue) mais la maitrise dans les entrelacs de guitares est ici éclatante (interminable final apocalyptique de « Junkie’s Promise », break over cool du morceau-titre) et Kim est au taquet, tantôt désabusée avec des guitares qui se chamaillent autour d’elle (« Becuz ») ou touchante à la limite du niais (« Little Trouble Girl »). Apothéose avec « The Diamond Sea » qui mérite bien une face à elle seule et dont la mélodie sublime ne gâche rien. Ah, on n’a pas fini de chialer à l’enterrement d’Emmanuel Boeuf (guitariste de Emboe, Echoplain, feu Sons of Frida)… J’espère au moins qu’on pourra lui piquer des raretés de SY !

A Thousand Leaves (1998) : 1h13 qu’il dure ! 5 titres au-delà des 6’30 ! Excellente « Sunday » en ouverture, double miam pour « Female Mechanic On Duty » et sa longue phase d’observation avant une interminable montée finale. Fantastique « Wildflower Soul » ! 9 minutes hyper intenses, mélodiques, ça part en joyeux bordel et atterrit sur ses pattes ! « Karen Koltrane » qui pète bien les oreilles comme il faut. Je pourrais toutes les citer car ça s’enchaine remarquablement. Mais ne serait-il pas grand en fait ce disque ? La réponse est dans la question.

NYC Ghosts And Flowers (2000) : je l’ai toujours un peu snobé (bis). Bon, j’ai fait n’importe quoi, au moment d’écouter Experimental, j’ai mis celui-là (me demandez pas pourquoi) donc pour l’écoute chronologique, on repassera… Écoute plaisante mais peu marquante. Kim semble singer PJ Harvey sur « Nevermind » (« come on down, down to the river… »), Thurston se lance dans la poésie et c’est pas toujours fulgurant (« Small Flowers Crack Complete » po mal, « StreamXsonic Subway » assez chiante). En revanche j’aime beaucoup le morceau-titre entre spoken word (encore !) à la Lou Reed et chant mélodique. Bon, juger un disque de Sonic Youth (et pas le plus accessible…) après une écoute, on touche ici aux limites de l’exercice. À retenter.

Murray Street (2002) : c’est déjà bien plus accessible. Petite ritournelle de Thurston sur « The Empty Page » où le chant suit gentiment le riff. C’est tout mignon et délicat. Trop ? Peut-être bien. De ces disques dont j’avais un bon souvenir sans en avoir un seul précis (de souvenir). Mais on est contents hein, globalement. Citons « Rain On Tin » qui s’évade en terrain connu mais toujours inhospitalier et ce final quasi apocalyptique de « Karen Revisited » confirme qu’on n’est pas là pour blaguer non plus. Comme ça, je me souviendrai (à peu près) de ça.

Sonic Nurse (2004) : très accrocheur dès le début (« Pattern Recognition ») et Kim est très présente. Elle chante toujours comme un pied quand elle veut (« Kim Gordon and The Arthur Doyle Hand Cream », pas sa meilleure) mais sait aussi s’appliquer (« Dude Ranch Nurse », mieux ou « I Love You Golden Blue », largement mieux). Et puis, il y a la fantastique « Stones »… On pourrait entendre ces deux-là dialoguer pendant des heures. Quelques morceaux sont un peu plus quelconques mais pour un 15e (14 ?) album, c’est du solide.

Rather Ripped (2006) : chouette « Reena » en ouverture, fort ensoleillée. Sonic Youth se prend pour les Beach Boys ou bien ? Ça surprend mais ça marche. Le virage pop enclenché depuis plusieurs disques est assumé pour de bon. Excellente « Incinerate » aussi accrocheuse qu’audacieuse, remarquable « Pink Steam » avec des guitares qui s’adonnent aux joie du déconfinement. Joli chant de Kim sur « Jams Run Free ». Un bon disque, assez sage mais qui ne manque pas de s’envenimer de temps à autre comme sur ce « Turquoise Boy » bien orageux.

The Eternal (2009) : varié et globalement bon, manque peut-être un peu de vrais morceaux de bravoure. J’abuse, il y a bien « Anti Orgasm » (qui porte très mal son nom) où les voix de Kim et Thurston se répondent et les guitares s’affrontent. Et après les coups de boutoir, l’atterrissage en douceur, la clope au bec. « Leaky Lifeboat » et ses harmonies vocales tout en lalala, Kim bien vénère sur « Calming The Snake », la punky « Thundercap For Bobby Pin »… Non, il y a de quoi s’amuser. Lee avait commencé à se prendre pour REM sur « Walkin Blue » mais ses potes remontrent (heureusement) les muscles en fin de morceau. Kim en errance sur le dernier titre très lent et rêveur « Massage The History ». Et voilà comment Sonic Youth avait bouclé son histoire. Éternel, il n’y a pas d’autre mot.

Jonathan Lopez

Playlist un morceau par disque (version Spotify plus bas). Enjoy!

Tous nos articles sur Sonic Youth (un vaste papier beaucoup plus riche sur la première partie de leur discographie, des chroniques à la pelle et une interview passionnée avec Lee Ranaldo)

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