Zenzile – Totem (Small Axe)
Un beau jour le frangin se pointe avec un petit disque comme ça l’air de rien et le glisse sournoisement dans mon lecteur au moment où on entame une partie de PES. Entre deux frappes en lucarne des 25 mètres, je me laisse distraire par cette musique qui ne ressemble à pas grand chose que je connaisse. Et ma foi ça ne me déplait pas, je viens de découvrir High Tone il y a peu (merci frérot) et ce disque de Zenzile sera le coup de grâce. Mon initiation au dub est bien lancée, je suis conquis et vais bientôt explorer toutes les richesses (inépuisables) de ce genre si particulier.
Originaire d’Angers, le groupe Zenzile se forme en 1995 et choisit son nom en référence à un poète sud-africain engagé contre l’apartheid. Grâce à deux excellents premiers albums (Sachem in Salem et Sound Patrol), le groupe s’impose comme un des pionniers du dub made in France. Un dub épuré, calme faisant la part belle aux instruments et explorant moins les territoires électroniques qu’affectionnent les amis lyonnais de High Tone.
Avec ce troisième album, Zenzile décide d’aller plus loin, s’appuyer sur les bases solides venues tout droit de Kingston qu’ils ont su s’approprier mais s’ouvrir aussi à d’autres univers pour donner une autre ampleur à leur musique. Pour ce faire, ils convient deux voix, deux fidèles acolytes : Jamika (qui finira par rejoindre le groupe de façon permanente) et Sir Jean (dont on a déjà parlé ici).
Cette première apparaît sur trois morceaux de l’album, notamment “Smell The Roses” sur lequel elle fait des merveilles. L’alchimie est parfaite entre son phrasé, plus proche du spoken word que du chant à proprement parler, et la musique concoctée par Zenzile si apaisante. Morceau sublime, un classique de la discographie de Zenzile qui vous rendra accro, tremblant tel un junkie qui n’a pas eu sa dose.
Zenzile ne renie jamais son dub originel qui a fait sa force. Le morceau d’ouverture “Pandora’s Box” et “Morning Daylight”, typiques du groupe, sont remarquables de maîtrise et nous transportent dès les premières secondes. Décollage immédiat pour un atterrissage à Zion.
Vous l’aurez compris ce disque est un voyage. Un voyage dans l’univers singulier de Zenzile, un monde merveilleux mâtiné de basse profonde et obsédante, de rythmiques hypnotiques, de bruitages atmosphériques, de saxo ensorcelant. Un son qui te rentre dans le cerveau et ne te lâchera plus.
Comme toujours dans le dub, la basse est au premier plan et porte les morceaux sur ses solides épaules. Elle est parfois même gargantuesque comme celle d'”Anti Bass Neighbourhood” qui fait vibrer les murs et, comme son nom l’indique, fera fuir les voisins.
Mais le chef-d’oeuvre de l’album est sans conteste le morceau surpuissant “Axis of Evil” entre dub, hip hop et rock. Finies les atmosphères lentes, apaisées, la batterie bastonne, les guitares électriques sont de sortie, la basse d’une intensité folle nous prend à la gorge et le saxo vient nous achever. Sir Jean éructe, prend sa grosse voix qui fait peur aux mioches et égratigne les ricains en guerre permanente contre “l’axe du mal” (“they talkin’ about the axis of evil but tell me who is the real evil ?“). Monumental.
Jamika n’est pas en reste sur “She Landed Here”, superbe titre acoustique à la fois mélancolique et planant. Le disque s’achève sur “Lacrima”, merveilleux titre de près de neuf minutes aux montées fulgurantes (portées encore par une basse phénoménale), redescentes avec quelques notes de piano. Rideau ! Fin de la leçon.
Avec Totem, Zenzile signe un grand disque dub, riche en émotions, indispensable dans la discothèque idéale de tout amateur de bon son. Ce groupe, à la carrière remarquable, continuera sa route, jamais là où on l’attend, se remettant toujours en question, flirtant avec des influences diverses au gré de leurs rencontres, de façon à parvenir à surprendre toujours. Et pour ne rien gâcher, ils sont énormes sur scène.
JL