Wet Leg – Wet Leg
Au printemps 2021 sortait comme de nulle part l’excellent single « Chaise Longue » : un très bon riff, des paroles absurdes en parfaite concordance avec la furieuse envie de ne rien branler qui animait le monde entier après des mois de crises sanitaire et existentielle, et voilà le titre de Wet Leg dans toutes les playlists du moment.
Wet Leg est né sur l’île de Wight et réunit Rhian Teasdale et Hester Chambers. Depuis le premier single, la success story comme les titres entraînants s’enchaînent dans une hype lancinante à laquelle nul ne peut échapper. « Wet Dream », le deuxième titre sorti, a de quoi énerver un peu : des jolies filles en pleine incantation masturbatoire, n’est-ce pas un peu facile, vraiment ? Mais il faut reconnaître que le tournant est plutôt bien négocié et que si l’on s’arme de l’ironie nécessaire pour ne pas les détester, on est plutôt curieux de découvrir ce que les Anglaises ont à proposer.
Présenté comme le nouveau phénomène britannique indie, le duo signé par Domino Records est rapidement encensé par la BBC, multi-nominé aux NME Awards ; après un tour dans l’émission de Jools Holland, un joli Tiny Desk, Wet Leg traverse l’Atlantique pour arriver chez Jimmy Fallon, fait une tournée américaine à guichets fermés, jusqu’à, consécration s’il en est, faire la couverture en mars 2022 du NME.
À la vue de cette trajectoire sans faille et de l’emballement médiatique qui s’ensuit, une question taraude : la volonté affichée par les deux musiciennes de ne pas se prendre au sérieux n’est-elle pas antinomique avec la perfection marketing du projet ? Car de duo indé à machine à tubes, il n’y a qu’une pirouette assez vite franchie. On les dit influencées par l’underground 90s, mais tout cela manque un peu d’authenticité. L’esthétique est jolie (polaroids et Fender Jazzmaster vert d’eau, selfies ironiques, skate boards et houla hoop), les références impeccables (« I’ve got Buffalo ’66 on DVD » », susurrent-elles sur « Wet Dream »), mais l’attendu premier album, qui sort ce 8 avril, laisse une sensation étrange.
Enregistré et produit en partie par Dan Carey, de Speedy Wunderground (le producteur de Franz Ferdinand ou Bat For Lashes, connu pour ses enregistrements express), le disque s’annonce au premier abord dans la lignée du Tigre : des riffs qui font danser, une voix originale… Tout cela est si rodé, si propre, que l’on ne peut s’empêcher d’être un peu suspicieux sur la fondamentale spontanéité de la démarche artistique du projet.
Il faut reconnaître que l’écoute est agréable et que le disque agrège beaucoup de choses que l’on a aimées, des influences tubesques de The Dø à d’autres réminiscences plus inattendues : « Being in Love », le titre sur lequel s’ouvre l’album sonne un peu comme un « My Favourite Game » de The Cardigans, version millenials. « I Don’t Wanna Go Out » fait bizarrement écho, aussi bien dans la voix que dans les effets, au son de « Dreams », de The Cranberries. Pour autant, l’album Wet Leg compte plusieurs très bonnes chansons comme « Piece of Shit », presqu’anti-folk, avant de se conclure sur l’excellent « Too Late Now ». Dommage que le tout soit entrecoupé de bluettes un peu trop mainstream (« Ur Mum »). L’ensemble du disque est plaisant, on dansera sans aucun doute sur certains titres pour l’after, mais rien de tout cela ne paraît véritablement impérissable.
On ne saura si l’histoire parfaite (meilleures copines pendant dix ans, elles fréquentent l’Isle of Wight College puis décident de former un groupe après avoir vu Idles sur scène – et prennent cette décision en haut d’une grande roue) n’est pas un peu trop belle pour être vraie. Après quelques recherches (car Internet n’oublie jamais), on retrouve en effet aussi bien Rhian Teasdale que Hester Chambers dans nombre de projets musicaux où elles font preuve d’un charisme assez relatif (dont Rhain, sous-Björk un peu mièvre tout juste sauvé par le très beau timbre de voix de Rhian Teasdale).
À défaut donc de la fulgurance artistique bien marketée promise, l’originalité de Wet Leg est toutefois d’avoir permis à un public qui en est fort éloigné de se tourner vers la pop indé, et réconcilie ainsi la médiatique Gen-Z avec ses aînés qui y trouvent eux aussi leur compte. Ce qui devait être d’une imparable modernité a ainsi un petit goût d’adolescence suranné. En attendant, après avoir créé des désirs d’oisiveté au grand air en sortie de confinement 2021, Wet Leg réussit le pari de susciter une vraie envie de danser au printemps 2022, et franchement, ce n’est déjà pas si mal.
Marie Garambois