Tricky – Maxinquaye (Island)
« Le disque le plus bizarre sur lequel j’ai travaillé » Mark Saunders (co-producteur de l’album).
Le Grunge, né à Seattle, s’éteint à la mort de Kurt Cobain, et laisse entrer un courant (d’air) glacial aux sons répétitifs et aux beats épileptiques. À Bristol, tout commence. Le groupe Massive Attack sort son premier album, dans lequel figure ce petit être bizarroïde malin et roublard, Adrian Thaws. Ce type est issu d’une famille très métissée (ghanéen, jamaïquain, indien, anglais), et a vécu toute son enfance dans le quartier de Knowle West, à Bristol. Ses influences du coup sont mixtes : de Public Enemy à The Cure en passant par Siouxsie & the Banshees, Motörhead ou Michael Jackson…
Surnommé Tricky pendant sa brève apparition dans un groupe de rap (Tricky veut dire malin, débrouillard), il va ensuite se lancer dans une carrière solo remarquée (et remarquable) après la rupture avec ses collègues de Massive Attack.
Ce premier album Maxinquaye sorti en 1995, est un mélange acide entre le Hip Hop, le Rock, et des sonorités Reggae, le tout mêlé à des samples et des scratchs, pour le plus grand bonheur des collectionneurs de vinyles. De l’électronique et du Hip Hop, ça donne le Trip Hop et Tricky pose le brevet avec ce premier opus, dont le titre est un hommage à sa mère (Maxine Quaye) qui s’est suicidée alors qu’il n’avait que 4 ans.
Tricky est un “Sequencer Kid”, il navigue sur les touches à l’instinct, et dès qu’un truc en sort, il l’isole, le triture, le fait tourner en boucle, fout un sample de Marvin Gaye ou de Smashing Pumpkins, et trip dessus en fumant de l’herbe. Les musiciens suivent et improvisent sous l’oreille arbitraire du chef d’orchestre en herbe (sic). Tricky n’est pas un musicien, c’est un type qui fait de la musique, nuance, tout comme ces musiciens blacks qui ont propulsé le Jazz alors qu’ils n’étaient que des sous-prolétaires ne sachant déchiffrer une partition. L’instinct et l’énergie sont les deux vecteurs de Tricky, qui, tel un chef cuisinier curieux, mélange tout ce qu’il trouve : basse-batterie Hip Hop, riffs de guitares bien Rock, de très discrètes notes au piano, un rythme répétitif, un téléphone qui sonne sur “Abbaon Fat Tracks”,un flingue qui se recharge sur “Strugglin”…
Le noyau dur de l’album est le “titre à la flûte” : “Aftermath” où figure un sample de Marvin Gaye (“That’s The Way Love Is”). Ce titre descend, tourbillonne, totalement hallucinogène. Il dure 7 mn, mais aurait pu durer 15, voire 30 mn de plus, tant le rythme est prenant, à la limite de la transe. Malheureusement il se termine en fade out, et il faut martyriser son bouton replay pour maintenir la température et retarder la redescente et le bad trip. Ce morceau avait été proposé par Tricky à Massive Attack, mais rejeté.
Tricky sur ce premier opus fait chanter Martina Topley-Bird. Sur les albums de Tricky, la présence féminine aux chants est très fréquente, secondée en arrière-plan par la voix érayée du “Gourou vaudou” vicieux, telle une ombre murmurant des paroles malsaines.
Le premier titre de l’album s’ouvre sous un épais brouillard : “Overcome”, tournant autour du sample de “Moonchild” des Shakespears Sister. La voix de Tricky épaule celle délicieuse de Martina, tel un Gainsbourg raggamuffin. Ensuite, “Panderosa” (“I drink till I’m drunk. And I smoke till I’m senseless”) avec un piano répétitif, et une rythmique tribale. Sur tout l’album, Tricky et Martina sont à mille taffes des Puff Daddy et autres poseurs pseudo-racailles.
“Brand New You’re Retro” avec un sample de “Bad” de Michael Jackson, est un échange énervé entre Tricky et Martina. “Pumpkin” chanté en duo avec Alison Goldfrapp sur un sample de “Suffer” des Smashing Pumkins, est un morceau plus lent, plus ambiant avec des descentes plaintives et inquiétantes.
Il y a également une reprise, celle de Public Ennemy, “Black Steel” customisé Rock avec quelques bizarreries électroniques. “Hell Is Around The Corner”, le single de l’album contient des paroles déjà utilisées sur le titre “Eurochild” de Massive Attack. La musique samplée est celle d’Isaac Hayes (“Ike’s Rap II”), utilisée également par Portishead sur “Glory Box” (cf l’album Dummy). Sur le clip Tricky y apparait en une sorte d’insecte-androgyne.
Bref en somme, et pour ne pas faire une critique “track-by-track” qui serait laborieuse et sans intérêt pour ce genre d’album, il faut aller à l’écoute de ce disque indispensable qui aura marqué toute une décennie, celle des années 90.
CB