Traitrs – Horses in the Abattoir

Publié par le 17 décembre 2021 dans Chroniques, Notre sélection, Toutes les chroniques

(Freakwave, 19 novembre 2021)

L’enthousiasme s’est tassé progressivement. Comme lorsqu’on nous pondait une nouvelle révélation garage/psyché tous les 15 jours, sans trop que l’on sache ce qui les distinguait les uns des autres. Il y en avait de bons évidemment dans le lot. Et d’autres assez génériques et interchangeables. Après les guitares fuzzées, est venu le temps des basses-batteries glacées. Avec un peu de gouaille par-dessus le marché pour mieux vendre son produit “il est bon mon post punk, il est bien frais“. C’était faux bien entendu la majeure partie du temps mais on voulait y croire. Quand la nostalgie vous prend, il n’y a pas lieu de lutter. Il y en avait de bons évidemment dans le lot. Et d’autres assez génériques et interchangeables. Disons qu’au bout du 56e, on ne sait plus vraiment. Récemment, une partie de la discographie de The Sound a été rééditée. Ça aide à prendre du recul. Dire qu’un groupe fabuleux comme The Sound n’a jamais bénéficié du quart de l’engouement médiatique d’un Idles ou Fontaines D.C. ou Murder Capital ou Dry Cleaning ou Shame (complétez chez vous, on en a oublié la moitié) est d’une tristesse insondable. Mais les disques restent. Et la musique ne ment pas. 40 ans plus tard, elle met à l’amende tous ces jeunes gens sympathiques. Pourquoi je vous raconte ça alors que je m’apprête à vous vendre, plein d’enthousiasme, un groupe post punk/cold wave ? Un peu schizo le garçon ? Déjà parce que je n’avais pas d’intro. Ensuite, et surtout, parce que ce groupe-là, personne n’en parle. Et il ne faudrait pas tomber dans l’excès inverse non plus. Balayer d’un revers de main tout ce qui évoque de près ou de loin les années 80 tel un vulgaire Blackcondorguy. On ne l’envie pas le pauvre, il en vient à s’enthousiasmer pour les derniers Weezer telle une moule accrochée à son rocher 90s envers et contre tous les infâmes envahisseurs de la décennie précédente.
S’il est davantage question ici de cold wave plombée que de post punk teigneux, Traitrs évoque sans détour les années 80. Inutile de tenter de le présenter autrement, on est en plein dedans. Une boite à rythmes martelant implacablement, six tonnes de synthés, une basse aux avant-postes, un chant hanté parfois proche de l’emphase. Peu importe. On aura beau disserter des plombes sur l’éthique des uns, l’opportunisme des autres, la seule chose qui compte au fond, c’est le plaisir éprouvé à l’écoute d’un disque et l’émotion qu’il suscite. De ce point de vue-là, les canadiens font Traitrès* fort. Il séduit subrepticement dans un premier temps, puis irrémédiablement lorsque les écoutes se multiplient. C’est extrêmement référencé mais remarquablement agencé. À quoi bon tenter de se dépêtrer d’un refrain aussi ultime que celui de “Magdalene” ? “And I feel sooo far away, without youuu“. C’est ici que l’emprise s’est raffermie pour la première fois. L’imparable “All Living Hearts Betrayed” aux synthés lumineux nous pousse également à donner de la voix pour soulager nos cœurs meurtris. Il est pourtant davantage question d’ambiances soignées, d’avancées à tâtons dans le brouillard, que de refrains épiques. À l’instar du magnifique “Sea Howl” en ouverture, habilement introduit par quelques notes de piano avant que ne retentisse pour la première fois la voix ensorceleuse de Shawn Tucker (aux faux-airs de Robert Smith, cela n’échappera à personne). À 2’28, basse et boite à rythmes entrent en scène à l’unisson. Et nous plongeons. Évidemment la pop sombre et élégiaque du duo de Toronto s’adresse en premier lieu à ceux vêtus de noir capables de réciter l’intégralité des poèmes de Baudelaire à l’envers. Les cœurs fragiles, les sensibles, les amoureux de belles mélodies devraient déposer les armes face aux sommets de mélancolie atteints par “Last Winter” et l’énergie teintée de désespoir de “Oh Ballerina”. Évidemment cela colle remarquablement avec ce ciel laiteux et ces arbres dégarnis que j’observe depuis ma fenêtre et je ne ferais peut-être pas preuve du même enthousiasme en plein mois de juillet aux Caraïbes. Quoique. Il y a quelque chose d’étonnamment chaleureux dans cette apparente austérité. Quelque chose de réconfortant derrière lequel se réfugier. Et ce “don’t you say goodbye” entonné en bout de course par Shawn Tucker est proprement déchirant. Mais il faut bien s’y résoudre. Comme de dire adieu à ces chevaux qu’on abat lorsqu’ils nous jettent un dernier regard.

Horses in the Abattoir est donc un disque hautement recommandable passé totalement sous les radars quand d’autres moins marquants ont été montés en épingle, portés par une équipe marketing redoutable. La musique ne ment pas, disions-nous. Et fort d’un bel enthousiasme faussement naïf, on a envie de croire que la bonne musique, celle capable de véhiculer un tel panel d’émotions, triomphera toujours.

Jonathan Lopez

*Si plus de la moitié des lecteurs de l’article nous adressent une plainte, j’en tirerai les conséquences et présenterai ma démission.

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