Throwing Muses – Moonlight Concessions

Posted by on 22 mars 2025 in Chroniques, Toutes les chroniques

(Fire Records, 14 mars 2025)

Throwing Muses est enfin de retour aux activités après le remarquable Sun Racket en 2020. Entretemps, Kristin Hersh a réactivé 50 Foot Wave avec Black Pearl (2022), sorti un magnifique album solo Clear Pond Road (2023) et même écrit des livres (Seeing Sideways: A Memoir of Music and Motherhood en 2021, The Future of Songwriting en 2024). La première impression de ce Moonlight Concessions est que chaque morceau est bien à sa place, dans la meilleure version de lui-même.
L’expérience parle, il n’y a pas besoin d’étirer les débats inutilement. Il ne suffit que de trente minutes à peine pour faire décoller l’auditoire et le sustenter. Car cette musique a du caractère, elle est racée et déterminée, malgré l’abandon des velléités électriques d’antan. Une musique à l’ancienne comme on savait si bien le faire dans les années 90, un temps où la production ne dénaturait, ni ne changeait complètement l’écriture souhaitée à la base. Il y a de la proximité à l’écoute, un sentiment d’immédiateté, de transmission directe, un résultat qui ne triche pas. Les divers arrangements s’accordent à merveille, tout est harmonieux, plein d’énergie et d’allant, témoignant d’une belle maîtrise acquise au fil des albums et des épreuves de la vie.

Dès le premier titre « Summer Of Love », on évolue en terrain connu. Malgré cette dimension électrique quelque peu délaissée, les guitares sont bien présentes et trouvent le moyen de remplir l’espace, secondées par le délicat contrepoint d’un violoncelle bienvenu, dans ce qui est déjà l’un des sommets de l’album. La suite est du même acabit, « South Coast » ne fléchit pas, c’est à la fois bruyant, puissant et distingué. « Theremini » est d’une intensité moindre, c’est une belle chanson douce, contemplative, dont les secrets restent encore à percer longtemps après. « Libretto » revient à un rock plus revêche, tranchant, dans lequel on gratte les cordes au sang, en mode semi-acoustique. C’est très entraînant, voire décapant, sans forcément chercher à l’être. « Albatross » présente deux visages, une sorte de cavalcade weird country agitée en préambule qui s’apaise soudain pour présenter alors un profil radouci. « Sally’s Beauty » rejoint le groupe des chansons calmes avec une petite ritournelle lancinante qui fait office de respiration, mais reste un peu en deçà des autres morceaux, malgré un très joli motif de guitare robinguthrien et un violoncelle encore une fois inspiré. « Drugstore Drastic » retourne à plus de légèreté, comme si Violent Femmes avait soudainement remplacé Throwing Muses au pied levé, avec un son clair presque unplugged, un côté enlevé et un amusement de tous les instants. Si le disque se conclut par le titre qui lui donne son nom, « Moonlight
Concessions », chronique douce-amère empreinte de poésie et d’humour désabusé, il est important de s’attarder sur l’avant-dernier morceau, le magnifique « You’re Clouds », véritable point d’orgue de l’album. Tout le talent des TM est ici (du moins dans sa formation la plus récente), avec des paroles à la fois gorgées de sens et complètement intrigantes, une capacité à intensifier un titre sans utiliser d’anabolisants musicaux et la profondeur et le vécu de la voix de Kristin Hersh. Avec le temps, sa voix est devenue une véritable gemme, du genre de celles, magiques, que l’on fixe sur le Gant de l’Infini pour devenir un être divin. On disait souvent de Mark Lanegan qu’il pouvait chanter n’importe quoi, même les choses les plus banales, ça resterait quand même passionnant, il semble que ce soit également le cas pour Kristin. Son timbre et son phrasé sont tellement enivrants qu’ils peuvent nous parler du quotidien et de son monde intérieur ou nous faire voyager dans un lointain ailleurs par-dessus les nuages, sans changer de braquet, avec la plus grande des simplicités. Car, c’est sans doute quelque part ici qu’une telle musique se crée, dans la consistance des choses simples. Cette collection de chansonnettes à la fois belles et rêches n’a pas besoin de briller outre mesure, juste de paver la voie de la manière la plus gracieuse possible, histoire d’avoir un compagnon d’âme pour ne pas se perdre en chemin.

Julien Savès

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