The Poison Arrows – War Regards
Un nouvel album du trio chicagoan, The Poison Arrows, est toujours un micro-événement pour nous. Il fait partie de ces groupes dont nous suivons l’évolution depuis leur premier album. First Class, and Forever, en l’occurrence, en 2009. Le deuxième, Newfound Resolution, ne s’était pas fait attendre en sortant l’année suivante. En revanche, il a fallu patienter pas moins de sept ans avant d’avoir vent d’une troisième fournée avec celui que nous considérions comme le meilleur album du groupe à ce jour, No Known Note. Aujourd’hui, War Regards sort enfin et les cinq ans qui le séparent de son prédécesseur doivent être pondérés par le fait qu’il aurait dû sortir voilà deux ans. Mais avec la pandémie tout ça… bref… C’est aujourd’hui.
Un des reproches qui a pu être formulé le plus fréquemment à l’encontre du groupe concerne la complexité, presque la froideur, de sa musique. il a toujours eu du mal à se situer entre le math rock, le post hardcore, le post-rock, etc, ce qui rend la lecture de son œuvre souvent laborieuse. Les deux premiers albums, pourtant excellents, péchaient par une opacité et une raideur par trop difficiles à sonder. Un début de réchauffement s’était fait sentir sur No Known Note et nous étions curieux de découvrir si cette tendance allait se confirmer sur War Regards.
On ne va pas faire durer le suspense exagérément (d’autant plus que nous sommes d’accord que vous n’aviez jamais entendu parler de ce groupe ?) et la réponse est… oui, clairement. Peut-être parce que le titre de l’album provient d’une erreur dans la formule de politesse d’un email reçu par Justin Sinkovich ; War Regards au lieu de Warm Regards, et qu’il fallait se mettre en règle avec le karma ou ce genre de chose, mais l’explication est surement ailleurs, pardonnez la digression presque grotesque.
Sur ce nouvel album, les Poison Arrows se montrent plus unis que jamais et aussi plus sûrs de leurs forces qu’auparavant. D’où certaines prises de risques inattendues autant que salutaires, et une impression d’efficacité, de concision, et de maîtrise qui ne nous lâchera pas de tout le disque. Sur le surprenant « Mood Swing, I Don’t Know », le trio déroule un riff houleux qui nous fait immédiatement tendre l’oreille tant il s’éloigne des guitares sinueuses auxquelles il nous avait habitué. Peu après, c’est au tour de « Night Coffee » de venir nous flatter les sens avec ses réminiscences fugaziennes et son refrain, paradoxalement nonchalant, qui découvre un Justin Sinkovich plus percutant que jamais. Sa voix fait désormais merveille avec sa tessiture toute en morgue, à peine contenue, qui laisse quelques fois entrevoir une sourde menace qui maintient une tension haute en permanence, tout en donnant l’impression que c’est ailleurs que les choses se passent.
Les trois musiciens de The Poison Arrows ont toujours été au-dessus de la moyenne, pour le meilleur et pour le pire, comme nous le sous-entendions plus haut. Sur War Regards ils ont eu la (toujours) bonne idée de simplifier leur méthode, ou plutôt de rendre le chemin moins ronceux et nous n’avons plus à le parcourir à grands coups de machette. La basse de Patrick Morris (ex-Don Caballero) est toujours un exemple d’élégance, et la paire qu’il forme avec le batteur Adam Reach est redoutable de solidité et d’éloquence.
Le fait qu’ils aient allégé leur musique, ne veut pas dire qu’ils n’expérimentent plus, ou qu’ils se reposent sur leurs acquis-slash-lauriers. Bien au contraire. Sur « We Are Collateral », l’intervention du rappeur de Chicago, Sterling Hayes, surprend, et emmène The Poison Arrows dans une dimension qui n’était pas la leur jusqu’alors. L’album, dans son ensemble, ne s’appréhende qu’après plusieurs écoutes opiniâtres, car les titres prennent leur temps avant de s’insinuer durablement dans notre cortex, et ce malgré le fait que le groupe ait aiguisé son propos, comme nous l’avons dit plus tôt. Une fois qu’ils y sont, par contre… c’est là que les choses deviennent sérieuses et que nous prenons la pleine mesure de l’immense qualité de War Regards.
Nous espérons toujours qu’un groupe que nous apprécions reste toujours pertinent, albums après albums. Parfois même, nous espérons qu’il s’améliore, quand bien même nous savons pertinemment que c’est souvent l’inverse qui se produit. Les Poison Arrows ont le grand mérite d’avoir sorti leur meilleur album à ce jour, contre toutes les probabilités.