The Cure – Songs of a Lost World

Publié par le 6 novembre 2024 dans Chroniques, Notre sélection, Toutes les chroniques

Tout immense qu’il est, The Cure est avant toute chose un groupe unique pour sa faculté à développer une relation particulière, une certaine proximité avec ses fans qui le chérissent pour diverses raisons (il y en a tant) et ont le sentiment (factice, évidemment) qu’il lui appartient. Généralement, on n’aime pas modérément The Cure, on y est indifférents ou on l’aime passionnément. Un tel phénomène ne manque pas de susciter des réactions épidermiques, nous allons y revenir. Pour ma part, j’ai fait de cette sortie une affaire personnelle. N’ayant à peu près que de l’amour à l’égard de la bande à Smith tant elle m’a apporté de bonheur, j’ai tout fait pour donner sa chance à ce disque, songeant que, quelque part, ce serait rendre la pareille au quintette anglais que je n’avais rien fait de particulier pour aimer mais qui a su me cueillir plusieurs fois, très jeune d’abord ouvrant ainsi les portes à certains de ses disciples moins exposés, puis en vieillissant et en découvrant bien des merveilles plus difficiles d’accès, mais aussi (enfin !) en live, dont la première expérience s’est tant fait attendre et s’est révélée inoubliable (d’ailleurs jamais égalée par la suite, mais au moins effleurée à plusieurs reprises).

J’ai donc choisi de faire de cette sortie un évènement à part (mais je crois que je ne suis pas le seul) et lui ai réservé un accueil digne des plus grands, quitte à retarder le moment de poser l’aiguille sur le sillon, pour pouvoir enfin m’y consacrer pleinement au moment jugé le plus opportun. Malgré tout, l’attente n’était pas immense, la faute à l’âge (le mien, le leur) et à un 4:13 Dream qui ressemblait à un mauvais rêve ou plutôt un dont on ne retient rien. L’accueil se devait donc d’être digne et mesuré.

Tout l’inverse de ce que nous réservent les réseaux sociaux, en somme. Ces derniers ont ceci d’agaçant qu’ils offrent une tribune à des gens qui n’ont rien à dire et font dans la surenchère pour être mieux entendus. Il vaut mieux la fermer que débiter des conneries plus grosses que soi, enterrer ce disque à peine déballé et tirer à boulets rouges sur un groupe aussi gigantesque juste pour faire le malin. À vrai dire, on n’avait pas besoin de ça mais lire que des morceaux sont trop longs dès qu’ils dépassent le format radio edit et qu’une intro comme celle d’ « Alone » est interminable a tendance à nous donner follement envie de l’écouter trois fois d’affilée pour bien s’assurer que, non, elle ne l’est pas, et que, oui, The Cure est de ces groupes qui excellent quand il s’agit de poser une ambiance. Et ce n’est pas Stuart Braithwaite (Mogwai) qui nous contredira sur ce point, lui qui, avant d’en faire de même, a longtemps pris des notes en admirant les maîtres.

Le hater ne goûte guère la langueur mais trois minutes de lent déploiement avant d’attaquer pour de bon était déjà classe s’agissant d’un premier single, il l’est peut-être encore davantage pour ouvrir un album. Que sont trois minutes à côté de 16 ans d’attente ? Et n’est-ce pas là la meilleure façon d’amplifier l’éclat de l’arrivée de Sir Smith au micro ? En tout cas, on se l’était déjà assuré « en vrai », on en a la confirmation ici : sa voix ne bougera jamais, défie le temps qui passe et c’est là tout le paradoxe d’un disque qui ne cesse d’évoquer ce combat vain face à Chronos.

Au-delà du talent intact de ces (plus très) jeunes gens, il y a là une sincérité évidente dans cette œuvre que l’on devine très personnelle puisque les angoisses que chacun de nous connaît très bien et hantent son auteur depuis le début de sa carrière deviennent, chaque année qui passe et chaque être cher qui part, un peu plus concrètes. En témoigne le sublime « I Can Never Say Goodbye », ce piano terrible et son bouleversant « something wicked this way comes, steal away my brother’s life » qui émeut aux larmes notre Bob adoré à chaque interprétation live. Ceux qui se gaussent n’ont pas de cœur, pas d’âme ou simplement pas de goût. 

Certains chipoteront ad nauseam sur une production trop ceci ou pas assez cela (pour notre part, Paul Corkett réitère le beau boulot effectué sur le bien mésestimé Bloodflowers), sur la discrétion (il est vrai remarquée) de la basse de Simon Gallup qui avait si souvent montré le chemin auparavant, voire de la guitare de Smith au profit de claviers omniprésents. Nous préférons retenir une œuvre qui brille pour sa cohérence bien que cela lui vaille, en contrepartie, un aspect monolithique un brin repoussoir notamment quand le spleen automnal sera derrière nous. L’exubérant « Drone: Nondrone » vient confirmer que faire beaucoup de bruit ou faire dans le démonstratif peut nuire à la cohérence d’une chanson et amoindrir ainsi sa force de frappe (le pauvre Reeves Gabrels se fait suffisamment allumer à longueur de temps sur ce sujet précis, ce que l’on a tendance à trouver très exagéré). 

Ce n’est toutefois sans doute pas le plus grand des hasards si « A Fragile Thing » duquel émargent plus nettement la basse de Gallup et la guitare de Smith figure parmi les titres les plus simples à retenir, mais peut-être aussi les plus éphémères. Ce ne sont pas des refrains inoubliables que vous viendrez chercher sur Songs of a Lost World, ou alors vous repartirez tête basse. Ce gros bloc qu’on ne sait trop par quel bout saisir ressemble un peu plus à chaque écoute à un cocon réconfortant dans lequel il fait bon se lover. 

Il serait totalement vain de tenter de situer cet album dans la hiérarchie d’une telle discographie et si des relents de Disintegration peuvent être entendus ici (tant la douce mélancolie et le romantisme désuet dominent), il ne peut décemment rivaliser avec ce chef-d’œuvre inatteignable.

Mais l’orageux et presque indus « Warsong » ne peut que séduire, l’intro so-MBV de « All I Ever Am » (si tant est que les claviers seraient des guitares…) intrigue a minima, avant de laisser place à un titre de bonne facture sans figurer parmi les sommets. Même un morceau comme « And Nothing is Forever » à l’emphase fort prononcée (celle-la même qui m’avait fait fuir à toutes jambes sur le dernier Nick Cave) finit lui aussi par faire son bout de chemin. Un titre dont le thème est, une fois encore, le deuil, la lutte face à l’inéluctable, le combat perdu d’avance au devant de la fatalité. Personne ne s’étonnera ainsi que l’album s’achève par « Endsong », comme un évident miroir à « Alone » en ouverture (dont les premiers mots étaient « this is the end of every song that we sing »). Ce qui en sidèrera plus d’un, en revanche, c’est la beauté ensorcelante de ce titre qui s’autorise cette fois plus de six minutes instrumentales (de quoi mettre bien du monde en PLS dans notre ère moderne), à grands renforts de batterie fataliste et de tourbillons guitaristiques pour panser les âmes meurtries, avant l’arrivée du patron. 

Ces chansons d’un monde perdu sont aussi celles d’un autre temps, incompris par certains, trop daté pour d’autres, ravivant une nostalgie savoureuse pour ceux que nous sommes, qui ne sont jamais restés insensibles à ses charmes. On ne peut s’empêcher de penser que ce serait une belle manière pour le groupe de partir. Un peu comme David Bowie avec Blackstar, à ceci près que lui se savait condamné. Peut-être que Robert Smith, à qui l’on souhaite encore de loooongues années remplies d’allégresse, n’a plus sous la semelle d’autres albums de cette trempe même s’il affirme ne pas avoir dit son dernier mot discographique. En tout cas, on ne saurait lui en vouloir s’il s’agissait là de son au revoir.

Jonathan Lopez

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