The Black Angels – Wilderness of Mirrors

Publié par le 15 septembre 2022 dans Chroniques, Toutes les chroniques

(Partisan, 16 Septembre 2022)

Dans quelques années, au souvenir de cet été 2022 caniculaire, nous reviendrons peut-être (sûrement ?) en tête quelques paroles marquantes de « El Jardin », le premier (brillant) single issu de ce Wilderness of Mirrors, sixième album des Black Angels.

Dès juin 2022, on eut en effet l’occasion d’écouter un titre  qui commençait par « A forest burns… » et terminait par « We were deaf until now ». Le clip superbe, qu’on n’espère pas trop prophétique quand même, confirme que le groupe d’Austin a sans doute vu passer quelques rapports du GIEC. Et reste un observateur avisé de l’état de notre monde. Il y a cinq ans, avec le puissant « Currency », le quintet texan nous avait déjà joué la carte du single parfait… en somme… Money, root of all Evil. Il revient avec 15 titres composés à domicile et sur une période d’une année… disons tourmentée (pandémie, élection US…). Avec quelques nouveautés quand même. Un membre déjà, puisque le multi-instrumentiste Ramiro Verdooren a rejoint le groupe. Mais aussi quelques trouvailles musicales bienvenues pour varier le rock psyché (habituel) du groupe. 

Car il faut bien l’avouer, malgré un Death Song (2017) plutôt réussi, on se doute bien que le groupe texan aura du mal à surpasser le magistral et surpuissant Directions to See a Ghost (que je vénère depuis bientôt 15 ans, change my mind). Les mouvements de line-up du quintet (notamment aux guitares) ont modifié la teneur des compositions du groupe. Moins soniques et tonitruantes (remember l’incroyable et noisy « Deer-Ree-Shee » qui décrochait le papier peint), les titres se sont raccourcis privilégiant des riffs fuzzy efficaces et des structures plus classiques délaissant les divagations instrumentales au long cours (un seul titre dépasse ici les 5 minutes). Mais la voix incantatoire et presque spectrale d’Alex Maas fascine toujours autant. Et ce Wilderness of Mirrors conserve cette vibe psychédélique et hypnotique chère au groupe. On retrouve évidemment un nouvel artwork graphique… et labyrinthique… qui pique un poil les yeux. Mais l’inquiétude est diffuse dès l’inaugural « Without a trace » au son d’un gimmick fantomatique. L’ambiance est pesante.

We need commanders
Who don’t feed disasters

Le début de l’album ne surprend pas beaucoup entre guitares fuzz et refrains efficaces dans le plus pur style du quintet (« History of the Future »). Tout juste peut-on souligner l’ajout inattendu de lyrics en espagnol sur les chœurs lors des refrains de « El Jardin », une basse ronflante sur le redoutable « Empires Falling » ou un instrument à la sonorité étrange (un clavier ?) sur « La Pared (Govt Wall Bues) ». On navigue donc en terrain familier. Et les titres des morceaux renseignent assez bien sur les intentions du groupe, toujours aussi critique sur les travers impérialistes de son propre gouvernement ou l’état (délabré) du monde actuel. 

Et alors que le premier tiers de l’album est déjà passé, commencent à poindre quelques surprises. Légèrement dévoilées avec un des singles, sorti en juillet, l’étonnante pop vintage de « Firefly » où LouLou Ghelichkhani (Thievery Corporation) déclame quelques vers en français entre des riffs entêtants. Et si divers claviers infestent régulièrement les arrières-plans (« Vermillion Eyes »), l’ajout de guitares acoustiques sur plusieurs titres apporte un vent de fraîcheur bienvenu. Comme sur le sublime et mélancolique « The River », un des sommets de l’album, aux guitares entrelacées. Ou « 100 Flowers of Paracusia », qui sans les incursions d’une guitare lead, évoquerait presque un Calexico. Le trop court mais emballant folk de « Here and Now » rappelle le récent album solo d’Alex Maas. Toujours pas prêt pour les folk-songs une fleur dans les cheveux certes, mais pour peu qu’on apprécie le traitement sonore particulier autour de sa voix (paye ta reverb), il reste un chanteur au timbre étrangement addictif. Sur « Wilderness of Mirrors » auparavant, un inhabituel collage sonore d’environ une minute évoque vaguement Godspeed You! Black Emperor mais rapidement un riff hypnotique vient installer un climat anxiogène plus familier. Et alors que l’on pouvait craindre quelques longueurs au gré des 15 titres (pour presque 1 heure), il n’en est rien. Si « Make it Known » ou « Walk on the Outside » rappellent les travaux plus anciens du groupe, le dernier tiers de l’album s’essouffle à peine. « Icon » multiplie les riffs et voilà notre cerveau à nouveau hypnotisé. Que ce titre soit l’anagramme de Nico n’est pas un hasard, tant le quintet d’Austin rappelle souvent le Velvet Underground (a priori cités tous les deux, si j’entends bien). Mais le climat restera lourd et la menace toujours diffuse sur l’évocateur et final « Suffocation » dont les arpèges noyés dans le chorus (ça m’a rappelé « Lady of the Flowers » sur le premier Placebo, je vais me prendre quelques quolibets de la foule en passant) distillent une ambiance de fin du monde. L’espace d’une seule minute pourtant, la lumière semble balayer enfin les ténèbres au son d’une guitare lead miraculeuse. Un des plus beaux moments discographiques de 2022. 

Fausse alerte. Le titre s’éteint ensuite dans l’obscurité. Vous êtes toujours sur Terre en 2022. Ça crame de partout. Une grande partie du monde semble s’en foutre pendant que l’autre en subit déjà de plein fouet les conséquences. Entre les deux, les Anges Noirs (et moi, et nous, et vous ?), qui essayent de se faire entendre. Et de tracer un chemin au milieu du Chaos.

We were deaf until now

Sonicdragao

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1 commentaire

  1. Très beau commentaire.

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