Still House Plants – If I don’t make it, I Love u

Publié par le 19 mai 2024 dans Chroniques, Toutes les chroniques

(Bison, 12 avril 2024)

Le hasard fait parfois bien les choses, comme quand il vous fait trébucher sur la chronique de If I don’t make it, I love u au moment même où l’album arrive dans votre boîte mail. Avant ça, vous n’aviez jamais entendu parler de Still House Plants, ni de ses deux précédents albums. La coïncidence a suffi à attiser votre curiosité et si la lecture du dossier de presse ne vous a pas appris grand chose, l’article sur The Quietus était déjà plus intrigant. Il suggérait un groupe aux influences surprenantes vu son jeune âge (This Heat, Swans, Glenn Branca, Scott Walker, mais aussi le slowcore et le midwest emo), avec une appétence pour l’expérimentation et un talent d’interprète carrément pas dégueu… De l’intérêt d’écrire encore des chroniques. D’autres comparaisons, moins flatteuses, n’en seront pas moins pertinentes (Spoiler alert! Lauryn Hill est citée… objet, elle et son groupe, d’une détestation profonde et de longue date de la part de l’auteur de ces lignes…1) pour savoir peu ou prou où situer le groupe musicalement. 

Ces éléments en tête, la première impression est trompeuse. L’intro de batterie de « M M M » nous a fait penser à celle de God’s Country de Chat Pile sur le titre « Slaughterhouse », mais cette impression s’étiole aussi rapidement qu’elle est apparue lorsque la guitare surgit et fait, cette fois-ci, remonter en nous le souvenir du riff de « Back & Forth » (le titre de clôture du fantastique album Emergency & I du Dismemberment Plan). À peine cinq secondes de musique et déjà nous nous retrouvons avec une toute nouvelle grille de comparaison. Le fil devient d’autant plus difficile à suivre alors que la voix de Jess Hickie-Kallenbach nous arrive par saccades, déconcertante, nous saute à la gorge et nous plonge dans un univers qui n’est pas le nôtre. Cette voix est la raison pour laquelle nous écrivons cette chronique, la raison pour laquelle il ne se passe plus un jour sans que nous écoutions ce disque. Voilà ! Quand elle chante « I wish I was cool », il y a comme un vide qui se crée en nous. Quelque chose de vertigineux et d’un peu douloureux. C’est la première fois depuis des années que nous avons relancé un titre immédiatement après la première écoute, afin d’être tout à fait sûrs d’avoir bien entendu ce que nous croyons avoir entendu. Alors que nous nous imaginions avoir affaire à un petit groupe trop éduqué pour être honnête, nous nous retrouvons dans un orient nervalien dont nous ne souhaitons plus partir. 

La voix de Jess Hickie-Kallenbach, disions-nous, est étonnante. Étonnante aussi, la batterie de David Kennedy, étonnante la guitare de Finlay Clark. Nous avons parfois l’impression que chacun joue sa propre musique en dépit de celle jouée par les autres. Quand l’un ralentit, l’autre accélère et quand ils se rejoignent enfin sur le même plan astral, c’est la chiale qui nous prend aux tripes.

Nous avons toujours instinctivement rejeté tout ce qui était soul, à commencer par le terme qui est d’une prétention sans nom. Les grandes voix du genre remplissent les bacs des brocanteurs de la rue Gambetta et peuvent être citées aussi bien par votre tante alcoolique que par votre patron libidineux ou votre ex beaucoup trop jolie pour votre intégrité de mélomane. Ces voix nous irritent au plus haut point et le consensus qu’elles suscitent nous les rend plus insupportables encore. Pourtant, soyons honnêtes. Il y a quelque chose de définitivement soul dans la voix de Hickie-Kallenbach, de soul et d’oriental. Pas la soul Sephora à la Amy Winehouse ou la soul de poissonnière à la Aretha Franklin, mais quelque chose de plus beau et de plus vrai. Elle nous a immédiatement saisis et envoutés là où les autres nous ont sommés d’aller nous faire foutre. Ne nous y trompons pas, Still House Plants navigue sur des eaux expérimentales et tortueuses et il y a fort à parier que If I don’t make it, I love u agisse comme un répulsif pour la plupart des gens qui se gargarisent à l’eau plate en écoutant… de tout. Mais il y a ce sentiment diffus, caché dans le chant, qui à défaut de nous sortir de notre zone de confort (nous n’en avons pas) nous pousse vers quelque chose que nous devons apprivoiser. 

Tout au long du disque, le trio londonien se maintient au croisement de la musique free, de l’improvisation incantatoire et de l’intime confidence. Il réussit la transmutation du plomb en or en équilibrant ses élans expérimentaux avec la force et la conviction de sa singulière exécution (« Probably », « 3scr3w3 »). Nous pourrions penser que Jess Hickie-Kallenbach vampirise par trop l’espace, de par sa tessiture unique et son registre grave et puissant, mais c’est sans compter la finesse et l’acuité déployées tour à tour par ses acolytes, Kennedy et Clark (« No Sleep Big Risks »). Leur duel rend la musique vacillante, malléable, et finalement moins grave et moins pesante que si elle était uniquement tributaire de la présence de la chanteuse. Les cassures et les changements de rythmes sont légions et témoignent de la virtuosité et de l’aisance des membres de Still House Plants, qui ont dû bien bouffer du math rock durant leurs années d’apprentissage, sans que cela ne devienne pour autant une démonstration de force de leur part. Et donc, ouais, nous sentons pas mal d’influences dans leur musique, et sentons surtout qu’elle peut aller n’importe où et qu’elle peut vouloir dire tout et son contraire selon qui l’écoute. Le hasard fait parfois bien les choses, comme quand il vous fait trébucher sur le possible successeur, tant espéré, de Palm, votre groupe préféré des dix dernières années. Pas la même musique, mais le même engouement à l’écoute de ces guitares sinueuses et ces batteries syncopées. La même énergie qui vous fait encore tenir malgré tout. Nous sommes conquis, bluffés, tant pis si comme avec Palm, nous sommes seuls à l’être. Still House Plants a fait une entrée fracassante dans notre monde et If I don’t make it, I love u ne quitte plus notre platine. Nous n’en avons pas encore fait le tour et nous ne sommes toujours pas certains de l’avoir complètement cerné, mais son pouvoir d’attraction ne faiblit nullement et nous vous encourageons à tenter le coup, ça se passera peut-être bien.

Max

  1. Note de l’auteur de ces lignes – mai 2024 – Paris, France. ↩︎

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