Sparklehorse – Bird Machine
Foutue nostalgie… qui se souvient encore de Sparklehorse ? Attendez avant de refermer cette page en me maudissant !! Je me doute bien que VOUS, vous en souvenez ! Et moi, donc ! It’s a Wonderful Life est sans doute (avec Yankee Hotel Foxtrot de Wilco) mon disque préféré des années 2000 et les deux précédents, les deux premiers donc, méritent aussi de figurer au Panthéon du rock alternatif… mais ce que je veux dire, c’est : dans quelle mesure à une échelle qui dépasserait celle des initiés de l’indie que nous sommes la sortie d’un disque posthume de Mark Linkous, près de quatorze longues années après son suicide, a-t-elle du sens ? Les fans de Radiohead, par exemple, se rappellent-ils qu’au crépuscule des années 90 le groupe d’Oxford ne jurait que par la pop lo-fi de Mark Linkous, que PJ Harvey, Nina Persson et Tom Waits apparaissaient sur le troisième album du groupe, que pour l’album final de l’artiste, produit et co-signé par Danger Mouse, Iggy Pop, Black Francis, Suzanne Vega, Julian Casablancas et David Lynch (parmi tout un tas d’autres guests plus ou moins célèbres) s’étaient donné la peine de venir au chevet de l’artiste (je dis bien « chevet » car il était évident que l’âme du bonhomme était déjà salement mal en point…) ? Qu’est-ce que j’essaie donc de vous dire ? Que Sparklehorse, voilà encore quatorze ans, n’était pas l’objet d’un culte de la part de fans dévoués mais un artiste mainstream, dont les disques, de son vivant, sont tous sortis sur une major, Capitol.
Sparklehorse, entre 1995 et 2005, disons, ce n’était pas seulement un bon groupe. C’était la vie. Il y a des groupes qui accompagnent le spleen adolescent et ceux qui vous frappent plutôt en tant que jeune adulte. À l’instar de Grandaddy ou Mercury Rev, Sparklehorse aura été la bande-son de ces années-là, celles de nos premières amours, de nos premiers comas éthyliques, de nos soirées à réviser les exams dans nos chambres d’étudiants… tout comme les boites aux lettres électroniques Caramail ou les chats Yahoo, tout cela aura pris fin un jour. Quand dans le jardin d’un de ses amis, Mark Linkous décida de se tirer une balle en plein cœur, ce n’est pas juste à sa vie qu’il mit fin mais à toute cette phase de notre vie et, égoïstement, je crois que je ne le lui ai jamais vraiment pardonné. Depuis 2010, je n’ai, à vrai dire, pratiquement plus jamais écouté ses disques. J’ai racheté des rééditions en vinyle de ses deux premiers albums, lesquelles coûtent d’ailleurs aujourd’hui une blinde sur Discogs et, vous savez quoi, elles ne sonnent même pas très bien. La musique de Sparklehorse était faite pour être écoutée en CD et ce n’est peut-être pas un hasard si, d’une part, elle s’est éteinte avec ce support, et si elle nous revient désormais qu’on parle d’un retour de celui-ci (jusqu’à la prochaine grosse grimpette des prix, laquelle réhabilitera alors le MP3, puis le vinyle… le mouvement perpétuel, quoi…).
Vous le sentez sans doute à ce stade : je sonne un peu énervé. Et oui, je suis en colère. Je suis en colère contre Mark de s’être évanoui comme ça (oui, je sais, je l’ai déjà dit), je suis en colère contre moi-même de ne pas avoir toujours été fidèle à sa musique, je l’ai été contre Capitol qui n’aura pas daigné sortir Dark Night of the Soul du vivant de l’artiste, je suis en colère contre sa famille qui s’est opposée à la sortie d’une compilation hommage à l’artiste ainsi que d’un documentaire qui avait pourtant bénéficié d’un financement participatif… À cause de tous ces gens, on n’aura peu ou pas entendu parler de Sparklehorse ces quatorze dernières années. Il n’y aura eu que ce grand vide et là, maintenant, annoncé relativement tard, ce disque, composé de quatorze nouvelles plages laissées en chantier par Linkous, et terminé par son frère Matt ainsi que des musiciens amis de Mark. Et je vous avoue qu’il m’aura fallu plusieurs semaines avant de l’écouter (en fait, pour vous dire la vérité, je ne m’y suis mis qu’à quelques heures de la sortie officielle). Pourquoi cette appréhension ? Ma femme, qui était tout autant fan de Sparklehorse que moi (et qui n’a pas souhaité écouter le disque à l’heure où j’écris ces quelques lignes) a bien résumé le problème, sans chercher à le théoriser : « Il est mort depuis longtemps, et cette émotion aussi, elle est morte, ça ne me touche plus… » Et je suis d’accord avec elle. C’est de la pop, et de la pop récente, en plus. Ce n’est pas un manuscrit de Mozart que quelqu’un découvrirait… Linkous, on l’a vu jouer, on a eu les poils lorsqu’il jouait sa musique de son vivant. Les plaies sont refermées mais récentes. Aurait-il voulu que sa musique sorte ? N’avait-il pas depuis longtemps déjà le syndrome de la page blanche ? Danger Mouse était déjà venu à son secours en 2006 pour Dreamt for Light Years in the Belly of a Mountain et c’est le seul disque de l’artiste qui m’importe tellement peu que pour le réécrire, j’ai dû faire un copier-coller sur Google… en fait, même la chanson-titre de cet album était une sorte d’escroquerie. Sous le nom de « Maxine », elle figurait déjà en face B du single « Gold Days », et la meilleure chanson de cet album, c’était la piste cachée d’It’s a Wonderful Life remise au milieu du disque pour compléter un gros bordel rapiécé par Brian Warner… En fait ce que je retiens de DFLYITBOAM, c’est sa pochette dont je me suis fait tatouer un détail peu de temps après le suicide de Mark, c’est vous dire l’impression de gâchis… Déjà à l’époque, j’avais l’impression que la prod de Danger Mouse était là comme cache-misère du manque d’inspiration de Linkous.
Est-ce le cas pour ce Bird Machine ? Et bien, non, dans le sens où les compositions sont vraiment pas mal et où on retrouve un peu toutes les idiosyncrasies de de Sparklehorse : ce mélange de petites ballades larmoyantes et de punk en mode mineur avec ces grattes qui dégueulent de distorsion. On est donc très vite ramené dans les 90s, ses pédales Boss, sa pop lo-fi, son apologie des perdants magnifiques… les mélodies sont là, elles sont stellaires. Mais voilà : Mark, lui, n’y est pas et moi non plus. En fait, ce disque, il ne sonne pas comme « du Sparklehorse » mais comme des chansons de Mark Linkous « arrangées à la manière de Spaklehorse ». Vous saisissez la nuance ? Le truc, c’est que dans les trois premiers albums de Sparklehorse, la mise en son elle-même était au cœur des chansons, je dirais même qu’elle était LE cœur des chansons. Et sur ce disque ? Et bien, j’ai comme l’impression que le son Sparklehorse il n’est pas dans les chansons, il est « dessus ». Vous voyez l’idée ? C’est comme ces barres d’immeuble qu’on construit en béton et auxquelles on ajoute au dernier moment et en façade des éléments pour leur donner un cachet haussmanien… je n’y peux rien, mais c’est exactement ce que j’entends et je n’arrive pas au fil des écoutes à me défaire de cette opinion. Il y a d’ailleurs sur ce disque une version de « Daddy’s Gone », chanson qui était déjà sur Dark Night of the Soul et avait été pas mal ripolinée par Danger Mouse. Ici, on la retrouve un peu plus proche de l’os, plus fidèle à du Sparklehorse des origines, mais c’est encore trop artificiel. C’est comme un filtre Instagram qu’on applique pour donner un cachet vintage à quelque chose qui aurait été pris par un appareil moderne.
Bon, allez, j’arrête d’empiler les analogies et de faire mon grincheux. Pour finir sur une note plus positive mais pas moins acide, je vous dirai que même artificialisé, le sol sparklehorsien est toujours bien plus fertile que celui d’Eels et que, même faiblement inspiré, Mark Linkous sera toujours un bien meilleur songwriter que Mark Oliver Everett. Donc, peut-être faut-il juste se contenter de ce qu’on nous propose, remercier la providence de nous avoir envoyé ce message de l’au-delà, cette dose de mélancolie mélodique qui nous a tant fait chavirer entre vingt et vingt-cinq ans et se laisser emporter par la nostalgie. Foutue nostalgie…
Yann Giraud