Sol Hess – Waiting for the Cricket Choir
A l’aune d’une génération plus encline à se focaliser sur la musique électronique, ou sur les modulations du post-punk, quelques artistes restent hermétiques aux tendances du moment. En 37 minutes 37 secondes, Sol Hess canalise les signaux que des balises lointaines lui transmettent dans un flux continu d’accords, de codes et de mots. Bien qu’ayant flirté avec le post punk (Sweat Like An Ape!) ou le jazz noisy (Sol Hess & The Boom Boom Doom Revue), cet artiste pluridisciplinaire aborde le monde autrement.
Justement, sa musique pourrait aisément s’écouter sous un saule pleureur à l’abri momentané du monde, où chaque branche raccordée à chaque fibre du corps ne forme plus qu’un seul membre. Son chant flotte au-dessus d’un monde terne, essayant, non pas de retenir l’instant présent, mais d’en décrire son éphémère existence. Chaque composition se superpose à la précédente, pour se rapprocher davantage d’un ciel moins brumeux. « The Sorrowful Tune » est peut-être la plus significative. Reflet d’une mélancolie, bien au-delà d’une pochette prise sur le vif, chaque chanson parait solidement ancrée dans une ambiance taciturne, rêveuse.
Sol Hess a travaillé sur des référents symboliques reliés à la nature, évoquant le débordement des limites spatiales à l’intérieur des villes. « Crazy About You (The World Is Crazy If It Isn’t) » ne tient qu’à un fil ténu, dénudé, dans la plus pure tradition folkienne. La combinaison du chant et de la guitare, est tellement poignante qu’elle nous plonge dans quelque chose d’intime et d’universel. Sur « Street Lights » la prise de son s’enrichit d’une réverbération et d’un canon solennel, tel un félibre contant une fable dont lui seul connait les secrets. Cette poésie et cette beauté fragile étaient déjà présentes dans son disque précédent, The Missing View, mais sur cet album, un titre comme « City Ghosts » s’apparente à la description de notre absence au monde, où chaque individu devient non pas invisible, mais imperceptible. La ville, cette toile dont nous sommes prisonniers, nous condamne à un empressement d’une vie chronométrée. Sol Hess réussit à nous redonner une cadence basée sur la contemplation, quelque chose de vital qui nous permet d’entrevoir les détails qui échappent aux sens. En ce sens, ce disque porte en lui la grâce qui manque à nos existences. « The Starlight, The Moonlight, My Dear », tout est résumé dans ce titre, un récitatif nocturne poignant.
Franck Irle