Sereias – Sereias

Publié par le 24 mai 2022 dans Chroniques, Toutes les chroniques

(Lovers & Lollypops, 18 avril 2022)

D’abord, il y a cette pochette sublime. Premier indice du foisonnement musical à venir. Ensuite, l’attrait de l’inhabituel. Reconnaissons-le, il est assez peu fréquent qu’on s’intéresse à des groupes rock portugais. Peut-être à tort. Sans doute aussi car ils n’arrivent pas souvent à nos oreilles. Sereias n’en est pas à son coup d’essai. Il vient de le transformer. Le premier se nommait O País a Arder, sorti en 2019 dans un certain anonymat. Celui-ci, qui n’a pas daigné se trouver un titre, a toutefois conservé les mêmes atouts.

Des atouts qui devraient séduire les amateurs de musique aventureuse et exigeante, qui ne cherchent pas de nouveaux refrains immédiatement gravés, pour garnir leur playlist de morceaux jetables. Tu écouteras Sereias et tu y reviendras religieusement. Suivant la lumière incarnée par cette basse goulue qu’on croirait échappée de Tago Mago (« Imagem »). Et puis dès « Dinheiro », l’esquisse d’un je-ne-sais quoi d’incontrôlable et donc extrêmement savoureux. De progression vers l’inconnue. Six minutes psychédéliques, d’instruments qui vagabondent, et notamment ce saxo, comme égaré, qui ne sait pas trop ce qu’il fout là mais tient à rappeler régulièrement aux autres sa présence. Cet art du déconstruit bien en place. Ce bordel organisé. C’était déjà bien durant deux morceaux mais plus intrigant que renversant. Patience.
La basse continue son œuvre, guide ses troupes indisciplinées et la transe va pouvoir entrer dans la danse. Les mots s’en mêlent, revenant comme des boomerangs et annonés tels des mantras, notamment ce « volta sempre, a depressão* » (moins virulent mais non moins percutant que les « Puta de Deus » et « Putas da TV » de l’album précédent). « (rita) » fait partie de ces morceaux qui pourraient donner le sentiment d’aller nulle part et nous conduisent à un ailleurs délectable, avec ses chœurs de macchabées rôdeurs et ses errements inquiétants.
Tout du long, Sereias nous rappelle le rôle primordial de l’assise rythmique. Celle-ci obsède et pourrait se suffire à elle-même. Cela manquerait toutefois un peu de piment. Il serait bien dommage de se priver de cette guitare abrasive et de ces claviers envoûtants, de cette multitude de sons déconcertants qui prolifèrent de toutes parts. Ce disque doit autant au prog/kraut qu’au post punk pour sa rigueur infaillible mais n’oublie pas d’y insuffler tout le relâchement nécessaire et le sentiment d’évoluer en roue libre, propres à la no wave et au free jazz. En figure de proue, le fascinant « A Coisa », résolu à foncer tout droit alors que tout se pète la gueule autour. Ça ne dure que 7’22. Ce n’est définitivement pas assez mais on s’en contentera. Et on succombera au final encore plus démentiel, étouffant d’intensité. Le batteur s’éclate en éclatant du fût. On danse autour des cendres, piétinant les débris.

Alors que les chants féminins évanescents aux airs robotiques apportent une touche nouvelle sur « Las Cadenas », « Ballarino » finit de détruire ce qu’il restait de résistance en s’appuyant sur une batterie tribale et toujours ce saxophone qui semble maugréer dans son coin et nous rappeler constamment qu’il n’a pas fait le déplacement pour rien. Voilà un disque fort, aux armes redoutables mais bien peu audibles pour les oreilles mal façonnées. Un disque qu’il faudra laisser venir, séduire d’abord l’intellect, avant de s’adresser aux guiboles s’agitant d’elles-mêmes. Maintenant que nous sommes prévenus, on saura accueillir le prochain comme il se doit.

Jonathan Lopez

*La dépression revient toujours.

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