Run The Jewels – RTJ4

Publié par le 9 juin 2020 dans Chroniques, Incontournables, Notre sélection, Toutes les chroniques

(BMG, 5 juin 2020)

On est entre nous, je peux y aller de ma confidence inavouable : Run The Jewels, ça n’a jamais vraiment été mon truc. Oh bien sûr, j’éprouve le plus grand respect pour El-P. Def Jux, Cannibal Ox, sa carrière solo… Ça vous pose un homme. Oh évidemment, Killer Mike porte bien son nom, son flow est assez irrésistible et il y a bien quelques morceaux de RTJ qui m’ont fait remuer la tête ces dernières années mais rien qui ne m’ait poussé à me plonger à corps perdu dans leur discographie. Alors qu’est-ce que je fous là, me direz-vous ?

Et bien déjà, la liste d’invités m’a titillé. Et puis, j’ai vu passer plusieurs avis dithyrambiques alors j’y suis allé, la fleur au fusil. Et j’ai pris ma tarte. Ce qui me rebutait quelque peu jusque-là, c’était peut-être la modernité du son de RTJ. Moi et mes 90s, rien à faire, je suis bloqué. Agitez-moi du « génial Kendrick » et je retourne bouffer du Wu-Tang. Prosternez-vous devant « l’inégalable Kanye » et je me refais une cure de Cypress.

Mais ils sont malins chez RTJ. Pour coincer les esprits obtus comme le mien, ils ont rappelé une vieille légende d’antan. Et comme DJ Premier ne vient jamais les mains vides, il sort ici de sa manche de bons vieux scratches pour agrémenter une boucle de piano fantastique sur un morceau qui fait non seulement référence à ODB et Jeru The Damaja mais nous administre en outre un refrain absolument jouissif (« Ooooh la la ah wee weeee »). Il ne m’en fallait pas plus, je frémis de bonheur et je maintiens la touche repeat enfoncée… À tort ! Car ce disque, tout moderne qu’il est, n’a rien de la production jetable, à consommer rapidement et à balancer par la fenêtre ensuite ou à noyer au milieu d’une playlist sans âme. Ce disque est un tout, terriblement percutant, étonnamment complexe et pourtant immédiatement accrocheur, formidablement varié et néanmoins remarquablement cohérent. Qu’ils y mettent des sonorités dub (« Holy Calamafuck »), electro (« Never Look Back »), une basse qui fait trembler toutes les fondations de mon immeuble (« Goonies vs. E.T. »), qu’ils samplent du Gang Of Four (« The Ground Below » qui reprend le riff inoubliable de « Ether ») ou qu’ils fassent du rap sombre et crasseux façon Dälek (« Yankee and The Brave » (ep. 4) »), Run The Jewels anéantissent tout, à commencer par les convictions de chroniqueurs bornés.

Ce disque est de ceux qui vous donnent ce surplus d’excitation au réveil quand vous vous dites « hey, la vie est belle, j’ai un putain d’album à écouter ! ». Hey, je vais retrouver mon Zack de la Rocha adoré. Ce bon vieux Zack, sans doute terré au fin fond du Mexique avec des amis Zapatistas, dont l’album solo promis depuis 20 ans s’apparente plus que jamais à un éternel serpent de mer, daigne reprendre son micro chaque fois que RTJ l’y invite. Et systématiquement, il arrache tout. Sur la (re)bondissante « JU$T », sa rage est toujours palpable et même Pharrell Williams nous rappelle qu’il n’est pas bon qu’à mijoter de la soupe. Me voici donc en extase devant un morceau trap… Les invités, aussi nombreux et prestigieux soient-ils, ne tirent jamais la couverture à eux, ils se fondent dans le moule. À l’image de Josh Homme qui se contente de chœurs discrets sur l’excellent « Pulling The Pin » où Mavis Staples vient poser un refrain soul de grande classe.

Mais on ne va pas se quitter sans évoquer le monument qui clôt ce disque. En près de 7 minutes, El-P et Killer Mike soufflent sur les braises du phénoménal « A Few Words For The Firing Squad » d’une tension suffocante, à grands renforts de saxo. Quelle conclusion !

Vous l’aurez compris, RTJ4 est un album essentiel, d’abord de par sa qualité. Ensuite pour le message qu’il prône. Car le duo se drape dans une gravité fort à-propos, quand il endosse le rôle de porte-parole des sans voix « People, we the pirates, the pride of this great republic/No matter what you order, muhfucka, we’re what you’re stuck with » (« Ooh La La ») ou fait référence à un drame qui s’est produit il y a six ans, terriblement d’actualité (« And you so numb you watch the cops choke out a man like me/And ’til my voice goes from a shriek to whisper, ‘I can’t breathe’/And you sit there in the house on couch and watch it on TV/The most you give’s a Twitter rant and call it a tragedy » sur « Walking In The Snow »). L’histoire a une fâcheuse tendance à se répéter… Après Eric Garner, il y eut George Floyd. Gageons que cet immense RTJ4 sera suivi d’un RTJ5 du même acabit.

Jonathan Lopez

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