Opium Dream Estate – Pilgrimage
Il n’est pas si fréquent qu’un artiste se réclame de Rowland S. Howard et immanquablement, cela met la puce à l’oreille. Méfiance tout de même, l’effet d’annonce se révélant parfois totalement contre-productif lorsque les inspirations revendiquées ne se ressentent pas vraiment dans le produit fini ou que le résultat n’est simplement pas à la hauteur.
Dans le cas présent, pas de doute, le fantôme de l’inimitable guitariste australien au teint blafard rode régulièrement dans les parages de ce Pilgrimage, où l’on croise également le spectre de Jeffrey Lee Pierce ou l’ombre de David Eugene Edwards. Le dessin est déjà bien esquissé, vous y êtes. S’il démarre de manière plus qu’honnête, c’est à partir de “Feathers”, en 4e position, que ce pèlerinage prend une tout autre dimension. Les influences et références de choix évoquées plus haut sont ici on ne peut plus éloquentes. Sébastyén D. y déclame avec une aura certaine, tandis qu’à ses côtés la sainte trinité guitare-basse-batterie avancent de concert et avec autorité. Un bon vieux blues décharné, poisseux qui semble avoir signé un pacte avec le diable. Et on a bien envie d’en faire de même tant il fait bon déambuler à ses côtés.
Malgré des moyens qu’on devine limités, l’ensemble ne sonne absolument pas amateur et pour cause, il s’agit déjà du 5e album d’un projet initié en solo par Sébastyén D. (que vous avez peut-être déjà croisé au sein de Venice Bliss ou The Funeral Warehouse) et mué en quatuor depuis 2014 dans lequel on retrouve notamment Guillaume Jannin à la basse (souvenez-vous Fleur du Mal, Computers Kill People). Pilgrimage regorge ainsi d’arrangements classieux (claviers, mellotron, banjo, harmonium, melodica, concertina…) et il n’est pas rare que des morceaux bifurquent soudainement pour prendre une tournure inattendue, l’illustration la plus flagrante étant incarnée par “The Lodge”, ballade dark folk qui démarre avec force sobriété avant qu’un violon et un chœur féminin hanté ne la propulse ailleurs. Admirable. “Wilderness” en fait de même : entame empreinte de délicatesse avant un final électrique qui cloue au siège. Il y a une âme dans cette musique, un univers singulier, une passion ardente, un attrait malsain et irrépressible. Des images affleurent régulièrement, des présences se font ressentir. Opium Dream Estate dégage une forte odeur de danger et de désir interdit, il est aussi élégant que repoussant, à l’image du lancinant “Thrown Away” et ses guitares langoureuses qui suintent la débauche en intro (vous la voyez la scène torride et dérangeante dans le bar dans Fire Walk With Me ? Nous y sommes). Et de s’offrir une accélération soudaine digne du Gun Club. Dans la foulée, la classieuse “Of Iron, Wood & Bones” décide d’annihiler les derniers esprits récalcitrants. Et quand il faut faire simple, ça marche aussi (l’entrain contagieux de “The Wanderer”). Pilgrimage est un disque épatant qui dégage une belle assurance, ne se répète jamais et exerce un fort pouvoir d’attraction. On n’ira pas pour autant dire qu’il y en a pour tous les goûts, il faut aimer ce genre de pérégrinations incertaines, avancer à tâtons, être malmené, ne pas savoir où l’on va atterrir. Ni dans quel état. Nous concernant, vous l’aurez compris, on est partants pour reprendre la route avec eux dès que possible. Un soir de pleine lune, éclairés à la faible lueur d’une bougie, de préférence.
Jonathan Lopez
L’album est en écoute sur le bandcamp du groupe (cf ci-dessous) où vous pouvez également vous le procurer en digital ou physique (CD et K7 en livraison à partir de début mai).