No Joy – Motherhood

Publié par le 25 août 2020 dans Chroniques, Notre sélection, Toutes les chroniques

(Joyful Noise, 21 août 2020)

Je dois d’abord vous avouer que j’ai hésité avant d’écrire cette chronique. Faut-il écrire sur les disques que l’on n’a pas aimés ? Doit-on se concentrer uniquement sur les artistes que l’on a envie de défendre ? Le web est saturé de blogs proposant des chroniques d’album et pourtant la pile des disques à écouter ne diminue pas. Ne vaut-il mieux pas économiser son temps pour faire partager avec ses lecteurs les découvertes qui nous ont le plus enthousiasmés. Je me suis posé la question une bonne demi-journée avant finalement de me résoudre à ouvrir mon traitement de texte et écrire cette bafouille. Je vous expliquerai cela en conclusion de cette chronique mais en attendant, passons aux présentations.

No Joy fut à l’origine un duo Nugaze (mélange de « néo » et « shoegaze »), un mouvement de réhabilitation des groupes britanniques tant moqués au début des années 90 pour leur attitude nonchalante (regarder ses pieds au lieu de mater les filles du premier rang, quand on fait du rock, franchement, quel affront…) et leur absence supposée de compositions. Évidemment, on ne va pas réécrire l’histoire : on sait que la postérité a rendu justice à Ride, Slowdive et autres MBV, considérés aujourd’hui tant comme des sculpteurs de son que comme de bons songwriters. Et oui, derrière les murs de guitares désaccordées et noyées sous la reverb, il y avait de vraies chansons. Vers la fin des années 2000, des groupes comme The Pains of Being Pure At Heart, Schools of Seven Bells, Diiv ou Nothing sont venus donner un second souffle au genre, en y injectant parfois une approche guitaristique plus frontale, qui tenait autant des Deftones ou des Smashing Pumpkins que des formations britanniques citées ci-dessus. Mais c’est bien évidemment Deafheaven qui, en mélangeant shoegaze et post-metal, remit définitivement le genre sur la voie de la coolitude et des têtes d’affiche de festival. Par bien des aspects, No Joy se situait dans ce genre-là, tournant justement avec le groupe de George Clarke et Kerry McCoy ainsi qu’avec d’autres énervés tels que Quicksand, et se faisant ainsi une solide réputation pour ses prestations scéniques. La formation avait de plus l’originalité de n’être composée que d’un noyau de deux chanteuses-guitaristes – la Canadienne Laura Lloyd et la Californienne Jasamine White-Gluz, complété sur scène par des musiciens additionnels.

J’avoue que je n’avais pas pris de nouvelles de No Joy depuis des années et j’ai été surpris en voyant la fiche promo accompagnant cette sortie de ne plus y trouver que le nom de Jasamine White-Gluz. Sur la fiche Wikipedia, je trouve peu d’infos à ce sujet. À vrai dire, si vous y voyez le nom de Laura Lloyd dans les anciens membres, c’est juste parce que votre humble serviteur l’a ajoutée, elle semblait avoir été simplement effacée de l’histoire du groupe. Sur le Twitter de l’intéressée, je lis cette description : « No longer a rocker in the band no joy, I retired after years of being bad at it. ». Est-ce de l’auto-dévalorisation, du second degré ? On n’en saura pas plus mais quoi qu’il en soit, il est clair que le « groupe » a changé. Musicalement aussi, il y a du nouveau. Jasame White-Cruz aurait collaboré avec l’ex-Spacemen 3 Sonic Boom sur un EP aux influences électroniques plus marquées. Le mélange d’electro-pop et de shoegaze ne m’est pas étranger, il est même ce qui a fait les plus belles heures du regretté School of Seven Bells. J’avais donc à l’égard de cet album une attitude plutôt bienveillante, malgré la pochette hideuse – mais après tout c’est un groupe inspiré par les 90s, alors, pourquoi pas ?

Le problème : ce disque est affreux. Tout simplement affreux. Oui, il y a des guitares, des murs, même. Oui, il y a des rythmes electro. Oui, il y a des voix diaphanes, des choses très pop – on pense à Madonna – et même des featurings hip hop. On me dit même qu’il y a un propos, que l’album évoquerait la difficulté de vieillir dans un monde dominé par le jeunisme. Motherhood ressemble en effet à une sorte de midlife crisis – et pourtant je doute que White-Gluz en soit là – avec une volonté non pas de contrebalancer ce jeunisme par une forme de recul – le fameux album de la maturité – mais au contraire en l’embrassant dans tout ce qu’il a de plus régressif. Motherhood contient des références au black metal dans les guitare et des références à la pop monogenre à la Billie Eilish mais plutôt que de ressembler à une personne très éduquée et ouverte musicalement qui arriverait à proposer un mélange savant de toutes ces musiques, on dirait plutôt cet·te ado désabusé·e que vous croisez chez hot topic ou dans les magasins de cosplay de la rue Keller, portant à la fois des peintures black metal, des bas de jogging Adidas, des cheveux à moitié décolorés en vert et des claquettes-chaussettes au pied. Les clips de « Four » et de « Nothing Will Hurt » assument d’ailleurs totalement cette laideur, le second ressemblant à ce « web moche » qu’on trouve dans les stories Insta avec ses polices laides, ses couleurs criardes et ses montages grossiers. Encore une fois, tout cela ne serait pas vraiment problématique si cette laideur assumée était compensée par des compositions de qualité et un propos qui les transcende. Mais ce n’est pas le cas. Ayant écouté et réécouté le disque, je cherche encore à trouver une mélodie mémorable, un riff accrocheur. Je me raccroche vaguement à « Dream Rats », qui me semble moins raté que le reste mais qui ressemble aussi beaucoup aux disques précédents. Au final, je ne perçois qu’un collage de sons hétéroclites qui jamais ne me semblent constituer des chansons ou même des pièces musicales dignes d’intérêt. Rien en tous cas qui ne génère chez moi l’excitation qu’avait su susciter le disque de 2013, Wait To Pleasure, restant parmi mes préférés de la décennie passée.

J’en reviens donc à mon constat initial. Si je trouve ce disque si repoussant, si indigne de la discographie du groupe, pourquoi devrais-je perdre du temps à l’écrire ? Et bien, je le fais car il me semble, après avoir fait un tour rapide des critiques lues ces derniers jours au sujet de l’album, que finalement peu d’entre elles s’engagent réellement sur le disque. On y fait le même constat que je viens de faire sur le mélange d’éléments a priori incompatibles tout en disant « oui, mais finalement Jasamine White-Gluz a du talent et elle est accompagnée du producteur Jorge Elbrecht, donc c’est bien, c’est frais ». Je constate que désormais trop de critiques – papier ou web – se contentent d’un name dropping de bon aloi ainsi que de quelques arguments d’autorité sans réellement parler de ce qui dans un disque leur a plu, leur a déplu. En écoutant cet album, j’ai l’impression d’entendre un énorme gâchis de talent, une musicienne qui tape dans tous les coins, multiplie les références et les collaborations, se moque un peu du goût mais se perd totalement dans le processus. Ça me peine énormément mais peut-être, amis lecteurs, trouverez-vous plus d’intérêt que moi dans le résultat et arriverez même à percer le mystère de cet album, qui reste pour moi insondable. Quoi qu’il en soit, il me semblait nécessaire d’exprimer cette note discordante et de vous laisser vous faire votre propre opinion.

Yann Giraud

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