My Dying Bride – The Ghost Of Orion

Publié par le 7 mars 2020 dans Chroniques, Notre sélection, Toutes les chroniques

(Nuclear Blast, 6 mars 2020)

Vingt-cinq ans, ce n’est pas rien. Vingt-cinq ans environ depuis ce concert d’Iron Maiden au Zénith de Paris (Blaze Bailey au chant, ce n’était pas vraiment la période héroïque, même si The X Factor mérite réhabilitation, mais bon, passons…). À l’entrée, la sécurité retarde les spectateurs pressés d’entendre les premières parties. Quand je pénètre dans la salle, dans la pénombre, je vois cette image renversante. Un chanteur agenouillé, ânonnant de sa voix grave une sorte de supplication, et un violoniste arc-bouté sur lui. Autour, des musiciens à cheveux très longs, tout de noir vêtus. Quel contraste avec les types d’Iron Maiden qui fouleront la même scène un peu plus tard, en moule-burnes bariolés, avec leurs coupes à franges. Et cette musique : sombre, lancinante, dérangeante. C’était l’une des plus grosses claques de ma jeune vie de mélomane. Et le nom du groupe ? Et bien, figurez-vous qu’il me faudra de longs mois pour l’apprendre. Le ticket indiquait que les Wildhearts joueraient mais rien concernant la première partie. En 1995, on n’avait pas internet. Aucune recherche Google ne pouvait vous dire quel était ce groupe de corbeaux. Une interview de Steve Harris dans Hard Force me donna la réponse : My Dying Bride. Je me ruais acheter The Angel And The Dark River – je crois que c’était au Gibert de Toulouse mais je ne suis plus sûr. Le choc en live se transforma en choc discographique. Ce groupe, ce serait pour la vie… Enfin, non, pas vraiment… Deux années à vénérer les Peaceville Three, ce triumvirat du Doom/Gothic Metal où l’on trouvait, aux côtés de MDB, Paradise Lost et Anathema. S’ajoutaient les groupes de Century Media : The Gathering, Tiamat et Moonspell, notamment, et voilà à peu près de quoi était fait mon univers musical de l’époque. Je le lâchais vite pour d’autres plaisirs : le black, puis virage indie, trip hop, jazz, puis re-indie et enfin une bonne décennie plus tard, le retour à mes premières amours, sans délaisser le reste.

Il fallait alors se rendre à l’évidence. Si Paradise Lost avait connu des écueils (des disques jamais mauvais mais jamais passionnants, du moins avant le retour à la forme inespéré des deux derniers disques) et si Anathema avait quitté le navire metal pour un pop-rock progressif qui doit intéresser certains mais m’ennuie prodigieusement, My Dying Bride était, lui, resté le plus constant. Certes, il y avait eu la tentative nü metal de 34,788%… Complete (ce titre, putain) mais globalement, le groupe d’Aaron Stainthorpe avait su garder le cap malgré les changements de line up, produisant une bonne dose de doom sombre, poisseux, toujours arrimé à cette recette dont il a le secret. Écoutant rétrospectivement la discographie du groupe entre 1998 et 2015, je m’étais même rendu compte qu’il s’était fendu de deux quasi-chefs d’œuvre, Songs Of Darkness, Words Of Light en 2004 et le sublime EP de 2011, The Barghest o’Whitby. Son dernier album en date, Feel The Misery, datant de 2015, me semble même figurer parmi leurs meilleurs disques, Aaron y alternant magnifiquement les voix chantées et hurlées, avec bien plus de technique qu’à l’époque où je les ai découverts (il faut écouter certains live d’alors qui sont un peu limites, tout en ayant leurs charmes). Pourquoi n’avions-nous eu aucune nouvelle discographique depuis ? Et bien, parce qu’Aaron a vraiment « ressenti la misère » lorsque la tragédie s’est abattue sur sa famille. Sa fille a en effet été diagnostiquée d’un cancer. Le groupe a interrompu toute activité pour que le chanteur puisse se consacrer à accompagner la malade. Il semblerait que les dernières nouvelles soient bonnes, la rémission étant complète, mais clairement, la musique du groupe et les thèmes abordés sur cet album témoignent de cette période douloureuse. Ajoutons à cela deux changements de line up. Le guitariste historique, Calvin Robertshaw, qui avait fait son retour en 2014, est reparti brutalement. Quant au batteur Shaun Steels (si ça ce n’est pas un nom de percussionniste, je ne m’y connais pas), il fut limogé pour des « problèmes insolvables de jeu de batterie » (ce qui est logique, quand on y pense…). Tout cela fait donc que le groupe est désormais centré autour du duo Aaron Stainthorpe et Andrew Craighan, auquel s’ajoutent les quasi-vétérans Léna Abé et Shaun MacGowan. Jeff Singer (ex-Paradise Lost, autre groupe habitué à la valse des batteurs) est venu prêter main forte pour l’enregistrement.

Honnêtement, si on n’était pas au courant des tumultes récents, il serait difficile de penser que quoi que ce soit est arrivé dans l’univers de My Dying Bride. En fait, Ghost Of Orion ressemble dans sa production et son approche à Like Gods Of The Sun, sorti en 1996, qui marquait une tentative de sortir de l’ornière doom pour un son relativement plus accessible. À l’image de cet album, les riffs ici sont incisifs, le violon très mélodique, le son très heavy. S’il était sorti en 1998, The Ghost Of Orion n’aurait donc étonné personne. Tout juste aurait-on remarqué qu’Aaron réutilisait son chant death (absent des disques du groupe sortis entre 1995 et 2001) et que le logo était redevenu celui d’origine. Le premier morceau « Your Broken Shore » concentre toute la force de l’album. Après un bel entrelac de guitares et de violon, des voix harmonisées apparaissent. Le chant death se fait entendre sur le refrain pour une efficacité maximale. Le rythme est lent comme à l’accoutumée mais avec assez de breaks pour ne pas rendre la chanson monotone. Le disque semble alors très prometteur, hanté clairement par la maladie de l’enfant. Sur « To Outlive The Gods », Stainthorpe fait usage de la même métaphore que Nick Cave dans Skeleton Tree, lorsque l’Australien évoque le voyage de son fils vers l’au-delà, chantant : « they said the Gods would outlive us / But they lied ». « Tired Of Tears » ne mérite pas une longue exégèse. On sait bien de quoi il est question. Seulement voilà, quelques éléments clochent un peu et empêchent d’être totalement gagné par l’émotion. L’agencement du disque, d’abord qui alterne plages longues et downtempo, sans trop de variations mélodiques, et morceaux plus courts atmosphériques, donne l’impression d’un disque qui peine à réellement décoller. « The Solace » un morceau où une voix féminine se balade sur un écrin de guitares saturées et de violon, offre une pause intéressante et peut-être marque-t-il un tournant dans le disque. Ce n’est pas le cas car la plage suivante, « The Long Black Land » reprend les choses là où « Tired Of Tears » les avaient laissées. La monotonie commence à gagner. La cause principale semble être l’approche vocale qu’Aaron Stainthorpe a choisie tout au long du disque, qui consiste à empiler les pistes vocales pour créer un effet de chorus. Cette texture, plaisante à la première écoute, devient au bout de quelques dizaines de minutes un peu lassante, car elle masque les aspérités de sa voix. Le chanteur a avoué avoir eu beaucoup de mal à poser sa voix, avoir un moment perdu le goût de chanter. Peut-être a-t-il choisi cet effet de superposition pour masquer des faiblesses vocales ou parce qu’après toutes ces épreuves, il ne voulait pas se mettre à nu ? Le fait est que, malgré les événements, on se sent un peu moins en empathie avec lui qu’à l’accoutumée. Cela est bien dommage car, musicalement, l’album s’en sort plutôt bien, notamment sur l’épique « The Old Earth » et ses riffs telluriques.

On quitte donc ce Ghost Of Orion sur un sentiment mitigé : heureux de retrouver le meilleur groupe de doom anglais et son style inimitable tout en regrettant une légère baisse de forme. My Dying Bride a survécu à de terribles épreuves sans arriver à les transcender sur le plan musical. Mais bon, après vingt-cinq ans de vie commune, faut-il se lamenter que la passion ne soit plus aussi forte qu’aux débuts ou juste se satisfaire de chaque nouveau jour passé à vieillir ensemble ?

Yann Giraud

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