Mogwai – Young Team
Vous avez tous vécu ça, avouez. A votre boulot, avec certains amis, voire auprès de quelques membres de votre famille, quand vous parlez musique, vous passez pour un martien. C’est quoi ce mec qui achète encore des disques ? C’est qui ce type qui passe sa vie en concert ?! Il parle toujours de groupes obscurs dont on n’a même jamais entendu parler…
Aussi frustrant que cela puisse être dans certaines situations, avouez qu’au fond vous vous la pétez un peu. Genre, je connais tout, j’ai une culture musicale sans limite. Vas-y teste-moi, ah oui ba je connais bien sûr… Et puis parfois vous tombez de haut.
C’est ce qui m’est arrivé quand je me suis lancé dans la série Les Revenants. Tiens une BO de Mogwai, ah ouais je connais… vaguement. Très vaguement ouais. Du post rock, ouais bien sûr. Que dalle, ouais. J’y connaissais que dalle. Alors déjà faire le malin qui se dit rédacteur en chef du plus grand webzine musical d’Europe et ne rien entraver au post rock ça la foutait mal. D’autant que c’était à la fois par inculture mais aussi par pure fainéantise. Du genre « hmmm ça, ça risque d’être chiant ».
Et bien que nenni. Cette BO qui peut paraitre anecdotique pour beaucoup de fans du groupe m’a finalement ouvert les portes à tout un pan musical. Et quand il a été question de revenir aux sources, à Young Team, premier album de Mogwai, qui a désormais 20 ans, je m’en étais pris une belle.
“Yes I Am A Long Way From Home”. C’est assez clair oui, je suis loin. Je me situe quelque part où l’oppression n’a pas lieu d’être. Death Valley, à l’aube. Par exemple. Le calme, l’immensité, la sérénité aussi. Il est encore très tôt, le soleil n’a pas commencé à taper sur les systèmes. Et soudain il se lève pour tout illuminer et embraser à mesure que les guitares s’emballent. Déjà, un premier aperçu de ce que sait faire Mogwai. Planter le décor, lentement mais sûrement puis nous planter sur place quand les guitares reprennent leurs droits (ou leurs distos dans ce cas précis).
Rien à voir toutefois avec la furieuse “Like Herod”, bien plus radicale. Le calme règne, il ne se passe pas grand chose. Puis c’est l’éruption. Faramineuse. Le chaos. On est qu’au deuxième morceau et on vient de se faire mâchouiller, recracher et finalement broyer tout cru par un colosse, 11 minutes durant. C’est long 11 minutes.
Que peut-il rester après ça ? 8 autres morceaux tout de même, et non des moindres. “Katrien” et son spoken word discret. Fausse accalmie qui n’oublie pas de revenir à la charge quand on se croit à l’abri. Plus de doute, la touche Mogwai c’est ces montagnes russes permanentes, ces agressions qui nous tombent dessus au moment où on s’y attend le moins.
Ça, et de merveilleuses épopées en apesanteur qu’on aimerait ne jamais voir se terminer (amour éternel pour la somptueuse “Tracy”). “Summer” nous laisse le choix entre l’amour transi pour les arpèges délicats et la violence sourde des power chords. On prend les deux, merci pour l’offrande.
Mais rien ne presse, le temps est notre meilleur allié. Se donner du temps pour apprécier la beauté des choses, voilà le mantra que semble nous susurrer “R U Still In 2 It”. Le coup de grâce est porté par “Mogwai Fear Satan”, démonstration ultime de la force de frappe des écossais, monument incompressible 20 ans après. 15 minutes sous le capot. Pas une d’ennui. Le frisson permanent, les montées infinies. L’assaut. L’extase. Le morceau a même donné son nom à l’un des meilleurs disquaires/labels parisiens (Music Fear Satan), et ses lettres de noblesse à un genre qui n’en espérait pas tant. Vous pensiez avoir entendu toute l’histoire avec Slint ? Ce n’était qu’une préface. Mogwai clarifie les choses. Nous ne sommes plus en période de transition, on est en plein dedans : voici le son du post rock. Et on va en bouffer jusqu’à la nausée. Certains s’appliqueront à le reproduire avec trop de sérieux, et pas assez d’insolence. Mogwai, lui, n’en manquait certainement pas. La suite de sa carrière le confirmera parmi l’élite. Le début reste un sommet rarement atteint.
JL