Lightning Bug – A color of the Sky
Pourquoi un disque vous cueille-t-il ? Quarante-deux ans sur cette planète dont près de trente à être obsédé par la musique et le mystère reste entier. Chaque année, je me demande si je serai encore capable de m’enthousiasmer pour un groupe au sujet duquel je ne sais rien, dont j’ai loupé toute une partie de la discographie ou si comme tout vieux con qui se respecte je vais continuer à n’écouter que les nouveaux albums de mes vieilles idoles en espérant retrouver dans leurs dernières créations un peu de la magie qui m’a fait les aimer il y a quinze, vingt ou vingt-cinq ans – notez que ça marche parfois comme par exemple quand il est écrit « Nick Cave » sur la pochette.
Et chaque année révèle son lot de nouveautés. De Big Thief à Kris Davis en passant par Fluisteraars ou Duster – vous noterez que je brasse très large, parce que c’est ce qu’il faut faire quand on vieillit, au risque de toujours écouter les mêmes choses -, nombreux sont les artistes soit nouveaux venus soit qui avaient déjà une carrière mais que j’avais totalement ignorés jusqu’alors dont des disques m’ont franchement emballé à la première écoute. Mais comment se fait-il que ces disques là arrivent à votre oreille ? Parfois, c’est simple, la musique vous arrive toute cuite sans que vous n’ayez rien à demander. Dans le cas de Big Thief, il a suffi d’ouvrir ma timeline lorsque le groupe a mis le morceau « UFOF » en ligne et annoncé l’album du même nom, c’était juste partout (et je suis sûr que 4AD avait dû faire le taf qu’il fallait pour que les algorithmes m’amènent ça sur canapé). J’ai donc cliqué. J’ai adoré. C’est bon, j’étais enfin happé. Parfois, quand vous avez la chance comme moi d’écrire sur des blogs ou des webzines, vous recevez des tas de mails promos. Parfois, un nom vous intrigue, vous cliquez et avez le coup de cœur. Et puis, il y a des hasards complets.
Hier soir, je me promenais sur Allmusic.com, source inépuisable de nouveautés que j’avoue cependant n’utiliser pratiquement que lorsque je souhaite dégrossir une discographie pléthorique. Quel Killing Joke écouter pour commencer ? Tapons « Killing Joke Allmusic » dans la barre de recherche et ça roule. Là, je ne me rappelle plus ce que je cherchais mais j’ai dû cliquer sur le logo et je découvre donc la page principale du site me présentant les sorties de la semaine. Je vois une pochette avec un arc en ciel qui m’intrigue. Il est question de « shoegaze », de « dream pop » et d’un troisième album plus orienté « songwriting ». Je suis un homme simple. On me dit « shoegaze », je cherche à en savoir un peu plus. Sur Facebook, j’ai un ami qui a un groupe sur lequel il parle des nouveautés musicales. Ce groupe consiste essentiellement en ce qu’il poste des pochettes de toutes les nouveautés qu’il écoute (des milliers de disques par an) et la note qu’il lui attribue. Je ne dis pas que mon ami a la science infuse – s’il me lisait, il se la raconterait big time – mais disons qu’une bonne note de sa part est déjà un bon signal. Et là, je vois un 14 et relativement peu de commentaires. Allez, cliquons donc sur ce lien et allons découvrir ça sur Bandcamp.
Ça commence par une batterie « roomy », des arpèges égrenés, c’est doux. Il y a une très belle voix qui me rappelle un peu Margo Timmins des Cowboy Junkies ou Sally Ellyson de Hem – groupe folk orchestral new-yorkais merveilleux et méconnu. Il y a de la reverb, on est en territoire connu, c’est « dream pop », pas de doute. Mais il y a aussi une sorte de ferveur emo qui n’est pas sans rappeler Pinegrove ou American Football mais avec une production un peu moins claire, moins brillante, ce qui n’est pas pour me déplaire. Et les mélodies, mon Dieu. Elles sont simples mais viennent vous toucher au cœur comme il faut. Les presque sept minutes de « The Return » passent comme une lettre à la poste. À ce stade, je me dis qu’il n’y a rien de vraiment extraordinaire et que si j’aime ça c’est juste qu’il y a un peu tout ce que j’aime là-dedans… faut-il alors s’enthousiasmer plus que de raison ? La deuxième chanson est une confirmation. Le single « The Right Thing Is Hard To Do » sonne comme si le groupe d’Adrianne Lenker avait troqué une certaine rugosité contre la chaleur d’un chalet dans le Vermont – allez voir la vidéo du groupe en live dans un tel lieu, vous comprendrez ce que je veux dire. Plus loin, sur « Wings of Desire », je pense plus à un groupe indie/post comme Duster et ce n’est pas pour me déplaire. C’est parce que la formation navigue en permanence entre musiques éthérées et folk mélodique, entre les grands espaces et l’intimité d’une pièce rustique, qu’il arrive malgré des influences parfaitement audibles – Mazzy Star, Galaxie 500, etc. – à tenir la route tout le long du disque. En chemin, on a aussi des pièces plus courtes, presque « jazzy » – je n’aime pas ce mot habituellement, mais là, ça va – qui lorgnent vers Talk Talk.
Et ce qui commençait comme une curiosité devient un vrai crush. Tellement qu’à l’heure où vous lirez ces lignes, j’écouterai ce disque, commandé illico, sur ma platine. C’est charmant, addictif si vous aimez les références que j’ai citées, et parfaitement exécuté. Du coup, comme il m’arrive assez souvent suite à ce genre de découverte, je n’ai pas envie d’aller en lire plus sur le groupe, ni même d’aller écouter les deux premiers albums – bon, allez, si j’avoue, j’ai écouté une chanson du disque précédent qui m’a semblé pas mal chasser sur les terres de Deerhunter. Du groupe je ne sais pas grand chose si ce n’est qu’il est composé d’une chanteuse/guitariste, Audrey Kang, et de quatre autres membres, qu’il est basé à New York. Je pourrais vous dire que la chanteuse est d’origine asiatique et que les profits d’un précédent EP étaient reversés à une association promouvant la culture à Chinatown, donc, j’imagine qu’elle a grandi dans le quartier. Mais je vais m’arrêter là parce que parfois il faut savoir la fermer, écouter la musique et s’agenouiller devant la beauté du monde.
Pourquoi un disque vous cueille-t-il ? Et bien, donc, cela reste un mystère et c’est parfait comme cela.
Yann Giraud