The Replacements – Let It Be (Twin/Tone)

Publié par le 28 janvier 2015 dans Chroniques, Incontournables, Toutes les chroniques

in rotationComment, Let It Be a 30 ans ? Seulement ?” Oui, mais pas celui que vous connaissez. L’autre. Celui des Replacements.

Bon, j’avoue qu’internet n’était pas encore dans les foyers à l’époque, et qu’il était plus difficile de faire des recherches, mais je vous rassure, le disque des Beatles était aussi connu en 1984 qu’aujourd’hui. Faut-il des couilles en 1984 pour appeler son album Let It Be.

Le truc, c’est qu’ils en avaient, des couilles, les Replacements. Et une certaine propension à se foutre de tout.

Ce disque vaut-il mieux que son homonyme britannique ? Il ne marquera pas autant l’histoire, de même que les Replacements ne seront jamais aussi connus que les Beatles, mais ce n’est pas vraiment leur objectif non plus. En revanche, en ce qui concerne la transition du punk hardcore, qui cristallisait jusque-là toute la révolte de la génération X, vers un style de musique plus accessible mais également plus travaillé (et qui tourne moins en rond), qui n’a pas honte d’être pop mais qui sait aussi se montrer sauvage, cru, ou désabusé, et qu’on baptisera plus tard rock indé ou alternatif, le Let It Be des Replacements est un album charnière.

Sorti la même année que Zen Arcade de leurs voisins d’Hüsker Dü, ambitieux double album-concept qui a le défaut de rester encore très (trop) hardcore, que Double Nickels On The Dime, double album plus éclectique mais aussi plus bordélique et fourre-tout des Minutemen, que My War de Black Flag, qui lorgne plus du côté des ralentissements de tempo à la Black Sabbath, et que Meat Puppets II, des Meat Puppets, qui lui aussi reste encore très hardcore malgré quelques compositions exceptionnelles à qui Nirvana donnera l’attention qu’elles méritent sur leur Unplugged, Let It Be arrive à une période où le punk hardcore se retrouve face à ses limites. En même temps, jouer plus vite et plus fort, quand on joue déjà vite et fort, ça perd vite (et fort) tout son intérêt.

Le salut vient donc de ces quelques groupes, le haut du panier, qui osent faire quelque chose de différent. Et le virage est particulièrement bien négocié par les Replacements. Peut-être parce qu’ils n’ont jamais vraiment été un groupe de hardcore. A l’instar des Heartbreakers de Johnny Thunders, qui ont été estampillés punk car venant de New York à la fin des années 70 alors qu’ils étaient surtout un grand groupe de rock’n roll, les Replacements sont plus à ranger dans la case punk hardcore pour une question d’époque, alors que leurs premiers disques sont surtout des disques de rock’n roll énervés, avec un tempo rapide. Ils n’ont jamais cherché à être le groupe qui joue le plus vite et le plus fort.

Il y a quand même un véritable changement sur Let It Be, puisque les tempos sont ralentis et surtout, les titres véritablement assimilables à du punk ne sont pas légions. Une petite moitié d’album. Pire, ils basculent dans le non-punk, comme “We’re Coming Out” avec son ralentissement impromptu, et “I Will Dare” qui a un solo de Peter Buck. Le mec de REM. Si ça, ça n’est pas anti-punk… Paul Westerberg explique même que c’était en quelque sorte leur démarche, que Let It Be est né de la dissension ressentie à l’époque avec le public et les règles de l’éthique punk.

Mais, me direz-vous, s’il n’y a qu’une petite moitié d’album punk, qu’y a-t-il d’autre ? Et bien, il y a quand même de la colère. Des débuts flagrants de rock alternatif et une critique de MTV avec “Seen Your Video”. Une chouette reprise de Kiss. Retenez bien ceci, tout groupe qui ne fait pas du hard rock ou du metal et qui reprend Kiss est digne de tout votre intérêt*. Une ballade inattendue au piano sur l’ambigüité sexuelle propre aux 80s, “Androgynous”. Et surtout, il y a de la dépression, de la tristesse, de la désabusion. “Sixteen Blue”, “Unsatisfied”, sorte de “Satisfaction” de son époque, et “Answering Machine”. Rien que pour ces trois morceaux, Let It Be mérite de rester dans les annales, et de figurer dans votre collection de disques. En trois morceaux, les Replacements ont envoyé bouler leur étiquette hardcore, ont matérialisé cette ambigüité entre culture punk et envies pops qu’on retrouvera chez tant de groupes à venir, et apporté leur pierre à l’édifice du rock indé. Ce ne sont pas les seuls à l’avoir fait, mais c’était une grosse pierre. Et la plus réussie en cette année 84.

Let It Be n’est certes pas exempt de défauts, notamment une production bien marquée années 80 qui peut en déranger certains, dont moi-même, et certains titres d’un intérêt limité. Si on le replace dans son contexte, cependant, c’est un album important, peut-être plus que le suivant, Tim, qui est pourtant meilleur.

BCG

 

*Liste non exhaustive : Nirvana, Dinosaur Jr, Melvins, Skin Yard, Redd Kross, The Donnas, The Groovy Ghoulies…

Toi aussi, verse ta larme sur la déchirante “Answering Machine”

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