Laudanum – As Black as My Heart / As Red as Your Lips
On n’avait plus de nouvelles de Laudanum depuis son précédent disque, Decades, paru en 2009. Apprendre l’arrivée d’un triple album cette année constitua donc une belle surprise ! L’originalité étant la parution des volumes de l’album en trois temps. Outre que ce principe permet d’étaler le plaisir de la découverte de ce nouvel opus sur plusieurs mois, il a l’avantage de permettre à cet étourdi de critique de prendre le train en marche s’il a manqué le premier volume. Ce qui est bien le cas ici, vous l’aurez compris, puisque l’introductif premier volet, As Black as My Heart, à la pochette noire, a été publié en septembre. On profite donc de la sortie ce mois-ci du deuxième volet, As Red as Your Lips (rouge, donc), pour vous parler de ce disque immense. Avant que le troisième, As Blue as My Veins, vienne clore cette année 2023 (on vous laisse deviner la couleur de celui-ci). Il s’agit donc du quatrième opus de Laudanum, projet du seul et unique Matthieu Malon, musicien orléanais, actif dans la scène pop locale dès le milieu des 90s, et marqué à vie par la vague trip-hop et glitch de la fin de cette décennie, au point d’initier ce projet principalement électronique au tout début des années 2000. Rappelons que Matthieu a également publié de nombreux albums sous son nom (notamment pendant ce grand gap de treize ans dans la discographie de Laudanum), allant de l’indie rock à l’electronica, où il chante uniquement en français. La particularité de Laudanum ? Le chant en anglais, la prédominance des machines, et la présence d’invités au micro, comme sur l’inusable Your Place and Time Will Be Mine paru en 2006.
Cette triple livraison ne compte d’ailleurs pas moins d’une vingtaine d’invités, certains habitués tels que Aidan Moffat (Arab Strap) et Christian Quermalet (The Married Monk), et d’autres dont c’est la première participation au projet, comme Scott McCloud (Girls Against Boys) ou Tim Farthing (Hey Colossus, Reigns), pour en citer quelques-uns qui pourraient éveiller l’intérêt des lecteurs habituels de ce webzine. Parmi les nouveaux, on est aussi agréablement surpris de croiser Jim Johnston, chanteur des regrettés Monk & Canatella (parmi les oubliés du trip-hop), et David Best de Fujiya & Miyagi.
On ne sait pas combien de temps a mûri l’idée de cet album, mais on devine le plaisir qu’a éprouver Mathieu Malon de relancer le projet et d’y mêler ces artistes, souvent amis, et d’y convoquer à nouveau ses amours musicales (pour les curieux, allez voir la page Facebook du groupe, où sont détaillées les circonstances des rencontres et le déroulement de chaque collaboration). Il aura fallu trois années pour l’enregistrer, dont celles de la pandémie, c’est dire si le temps n’a pas manqué pour peaufiner cette grande œuvre comme il se doit. On pourra s’amuser à établir la liste des glorieuses influences qu’on croit y entendre (au hasard, Death In Vegas, Tarwater, Bowie, Boy Harsher, Archive, John Carpenter…). Mais avant tout, on se laissera happer par les ambiances cinématographiques de cette trilogie noire, qui convoque mystère et aventure sur des tempos lents propices à l’évasion. Les morceaux sont autant de scènes racontées par les différents alter egos de l’homme aux commandes, qui n’a pas son pareil pour mettre les machines au service de la noirceur et de la sensualité. Les nappes synthétiques n’ont jamais été aussi sensibles (et les guitares ne sont jamais très loin). L’homogénéité de l’ensemble est frappante, malgré le nombre des intervenants, ainsi que la richesse de la production et la qualité de ses arrangements, dont les détails ne cessent de se dévoiler au fil des écoutes. Le disque impressionne aussi par la palette des émotions que Laudanum nous fait traverser. Sur le premier volet, il est capable de nous faire danser au ralenti, les yeux fermés, sur le magnifique « Trophy Room » (porté par Tim Farthing, au milieu des machines qui vacillent), puis de nous faire remuer frénétiquement sur nos meilleures chorés new-wave (l’imparable tube électro-goth « Howl in the dark ») avant de nous laisser en larmes au milieu du dancefloor, le cœur brisé par la sublime ballade synthétique « Hadley Common » en clôture.
Le deuxième volume, As Red as Your Lips, dont il est question ici, livre également un joli lot d’explorations musicales, dès l’introductif Dark Vision et son beat lent, qui nous emmène sur des terres hip-hop, poussé par le flow tout en nuances du canadien Nolto et les scratches de Dj Need (Birdy Nam Nam). Plus loin, Aidan Moffat déclare son amour à la caissière de Marks&Spencer sur le simple et bouleversant « Midlife Crisis in M&S », qui n’aurait pas dépareillé sur le dernier album d’Arab Strap. Il est également question d’un cri d’amour, thème récurrent de ce deuxième volume, sur l’instrumental « Someone », tout en tension, construit autour d’un dialogue tiré du film Nocturnal Animals. Le fantastique « In The Lighthouse » est peut-être la plus belle réussite de ce volume, grâce à la voix ensorcelante de Chloé Saint Liphard, magnifiée par un tourbillon de nappes synthétiques et d’échos, qui nous entraîne dans un irrépressible mouvement ascendant. On finit sonnés, et impatients d’entendre la suite de l’histoire.
Le dernier volet paraîtra en décembre, et comptera notamment à son générique Christian Quermalet (Married Monk) et Peter Astor, ce qui laisse augurer encore de belles émotions. Les retrouvailles ne sont pas finies.
Bastien