Arab Strap – As Days Get Dark
“I don’t give a fuck about the past, our glory days gone by“. Voilà une façon très Arab Strap-ienne de débuter un album qui sonne son retour plus de 15 ans après son dernier méfait discographique.
Rien n’a donc changé. Les propos sont toujours crus et les morceaux grands. Immenses même pour certains, comme ce “The Turning Of Our Bones” dévoilé il y a des mois qui impressionne toujours autant. Construction brillante, arrangements majestueux, cordes, synthés, cuivres, tout y passe. Il n’est même plus question de post-rock “parlé” comme cela a souvent été le cas par le passé ou de “Disco Spiderland” comme ils aimaient à nommer ce nouvel album lorsqu’il n’était qu’une ébauche, mais d’un sommet. De ceux que certains groupes ne font qu’entrevoir mais qu’Arab Strap avait coutume de tutoyer. Un récit évocateur où il est question de résurrection (logiquement) et de sexe (forcément), une musique où le feeling et la spontanéité le disputent à la précision millimétrée. Derrière, c’est un morceau plus académique et moins ambitieux mais presque aussi réussi qui relate l’addiction pornographique du narrateur (on ne se refait pas), lequel énumère les noms de fichiers de ses photos olé olé (“IMG4329″, IMG4378”, “IMG4398″…) qu’il décrit une à une et s’adonne à la masturbation pendant que madame dort… Un melodica pointe le bout de son nez pour accompagner les cuivres et appuyer cette pointe de nostalgie palpable et un brin pathétique… On comprend ensuite que les photos en question sont celles de sa femme quelques années auparavant (“Another Clockwork Day”).
Voici donc qu’en deux morceaux, le duo flingue concurrents, détracteurs et même fans enamourés qui n’en espéraient pas tant. Mais il serait bien irresponsable de se contenter de ça. As Days Get Dark est si cohérent et abouti que l’entame faramineuse ne phagocyte en rien la suite. Même constat pour “Here Comes Comus”, hymne post-punk au refrain imparable qui n’est pas “l’un des singles” qui se démarquent d’emblée mais “juste” un autre titre remarquable qui se fond parmi ceux qui peuplent un disque refusant décidément de laisser entrer tout moment faible. L’ensemble est d’une énergie contagieuse, parfois drôle, souvent triste (“Sleeper”, “Tears On Tour”, ses nappes synthétiques tire-larmes et son solo de gratte à faire chialer les pierres, “Bluebird” et ses chants d’oiseaux façon… “Blackbird” d’un groupe pop à succès), mais surtout admirablement agencé. Les refrains sont incontournables et ricochent inlassablement dans nos têtes (“Kebabylon”, “Compersion Pt. 1”, la voilà la disco dans cette irrémédiable montée et cette basse obsessionnelle). Et peu à peu, chaque recoin du disque devient familier, l’oreille s’imprègne de subtilités auparavant ignorées. On comprend aisément la volonté du groupe de prendre son temps (le duo a d’abord repris ses marques avec une tournée en 2017) pour composer cet album si juste, tellement Arab Strap mais aussi indubitablement ancré dans son époque (“Fable Of The Urban Fox” qui fustige le racisme et le traitement réservé aux migrants façon allégorie orwellienne : les renards sont les étrangers en quête de refuge, les chiens campent ceux qui leur claquent la porte au nez par peur de l’autre et bêtise confondante).
“But the city didn’t want the foxes, the city didn’t care ; the help and hope and heart and hearth they dreamed of weren’t there. So they scavenged and they foraged, slept from shady place to places, among the hostile architecture and all the hostile faces (…) One night they met a bulldog, he said, ‘What you doing here, then?’ they told him of the redcoats, of their fallen, hunted brethren, They said ‘There is no going home now, the land we love is cruel.’ The dog said, ‘Fuck off back to Foxland, these streets are fucking full.’
On ne connait que trop bien la chanson mais on ne peut que se réjouir de l’entendre déclamée avec force intelligence. Chaque mot d’Aidan Moffat trouve écho dans les sonorités de Malcolm Middleton dans une valse impeccablement coordonnée. Ce disque d’un raffinement absolu ne lésine pas sur les ornements mais signe l’exploit de ne jamais virer pompeux (allez, peut-être les cordes impétueuses de “Fable of the Urban Fox” justement, qui font tiquer de prime abord mais viennent finalement appuyer très justement la cruauté du texte).
Étrange contrepoint que cet As Days Get Dark au And The Love Continues de Mogwai qui les héberge sur leur label. Parfait complément également. Et avec ces deux-là, on a au moins de quoi affronter plus sereinement les jours sombres qui ne cessent de s’additionner et les empêcher de gangréner notre état d’esprit. La musique, éternel rempart à la dérive. Les grands disques, remèdes infaillibles face au désespoir.
Jonathan Lopez