Klub des Loosers – Vive La Vie (Record Makers)
À 20 ans, on vit les plus belles années de sa vie. Enfin, paraît-il.
Mais quand on étudie dans une filière dont on remet le choix et les débouchés en doute, avec à l’horizon une carrière incertaine dans un boulot dont on n’est même pas sûr qu’il nous évitera d’avoir envie de nous pendre tous les matins, qu’on s’interroge sur son avenir et sur le fait même d’en avoir un, qu’on a l’incapacité de visualiser toucher la retraite ou la femme de sa vie, sans même parler du bonheur, qu’on se fait tromper régulièrement par sa copine, ni belle ni sexy, dont on se demandait même ce qu’on faisait avec à la base, qu’on passe le plus clair de son temps enfermé dans sa chambre ou entouré de ses quelques potes alcooliques, à revivre toujours la même soirée bière/joints, on en vient vraiment à se poser des questions. Si ce sont là les plus belles années de ma vie, vaut-elle vraiment le coup d’être vécue?
Et puis un jour, par hasard, on tombe sur un texte de Fuzati et on ne peut s’empêcher de se dire “putain, je ne suis pas le seul à penser ça !” Car si le paragraphe que vous venez de lire vous interpelle ou vous rappelle des souvenirs, alors le Klub des Loosers est fait pour vous. Au départ duo entre le MC Fuzati, donc, et le DJ Orgasmic, le groupe s’est d’abord fait remarquer pour ses morceaux misanthropes et crus avec un certain second degré, dont “Baise les Gens”, la version mixtape de “La Femme de Fer” (où le MC raconte son histoire d’amour avec une femme sans jambe, avec qui il reste car “elle est la seule femme [qu’il connaisse] acceptant [qu’il] lèche son corps recouvert de confiture” avant de lacher “la seule femme [qu’il connaisse] tout court.“) et “Poussière d’Enfant” auto-proclamé l’hymne des enfants morts ont vite marqué les esprits.
La différence de style entre les 2 artistes étant déjà très marquée (mais ça, ils vous l’expliquent mieux que moi dans cette interview), les deux compères se séparent et c’est Fuzati, faisant appel au DJ Detect pour les scratchs, qui reprend la main du projet dont il assure les textes et la production musicale.
Après ces premiers morceaux, le Klub se fait de nouveau remarquer pour le titre “Sous le Signe du V” produit par l’un des deux mecs de Air (JB Dunckel, si ça vous intéresse) et sa collaboration avec MF Doom “Depuis que J’étais Enfant”, deux titres qui présentent une écriture plus intime et introspective.
Avec ça, on a déjà les clés en main pour savoir ce qu’on retrouve sur l’album Vive La Vie. Dernier ingrédient : les transitions, interludes musicales qui ouvrent et ferment également le disque, où l’on devine la relation entre Fuzati et Anne-Charlotte, camarade de fac qui n’osera jamais lui dire ouvertement tout le désintérêt qu’elle lui porte.
Finalement, la grande force du personnage de Fuzati, c’est qu’il pourrait être n’importe qui, vous ou moi, monsieur tout-le-monde qui se laisserait aller à ses pensées négatives. Et le talent du MC, c’est aussi de ne jamais glorifier ou défendre son personnage ; la seule chose qui ressort, c’est son inadéquation face au monde. En cela, les interludes avec Anne-Charlotte sont bien représentatives : chacun d’entre nous qui s’est vu éconduit maladroitement par une personne à qui l’on portait un intérêt non réciproque aura envie de se ranger derrière Fuzati, de fustiger cette salope qui le prend pour un con. Mais au final, qu’entend-on de ces conversations ? La demoiselle n’a jamais laissé entrevoir un quelconque intérêt pour lui, elle se contente de refuser poliment ses propositions, ne le rappelle pas et finit par ne plus lui répondre. Certes, cette politesse de façade, qui fait qu’elle ne rejette jamais explicitement le MC, peut être apparentée à de la lâcheté, mais si on y réfléchit, n’est-on pas là face à une convention sociale qui n’a rien de choquant ? Que peut-on vraiment reprocher à Anne-Charlotte ? Elle a déjà un mec, elle n’est pas intéressée, elle plie aux conventions sociales ; elle manque peut-être juste un peu de courage. Ce qu’on lui reproche, c’est de faire Fuzati, et par ce biais nous-même, se sentir rejeté, idiot, seul. Ce qui, en soi, n’est pas forcément sa faute, on pourrait tout aussi bien reprocher à Fuzati de ne pas avoir su lire entre les lignes et de s’être accroché à un espoir vain.
En ceci, Vive la Vie est un grand disque, qui renverra certainement tout le monde à des situations vécues. Mais l’avantage de ne pas faire de son personnage principal un héros, c’est de montrer qu’il n’y a pas plus d’intérêt à en vouloir au monde d’être cruel et injuste qu’à porter le fait d’être un loser comme un drapeau. Que l’album finisse par les réflexions de Fuzati pendu à un arbre ne doit pas vous empêcher de le réécouter en boucle chaque fois que vous faites face aux désillusions de la vie. Il s’agit d’un excellent exutoire, et d’un bon moyen de se rendre compte que vous n’êtes pas le seul à vous sentir seul.
Bienvenue au Klub !
BCG