Interview – October Drift

Publié par le 20 septembre 2024 dans Interviews, Non classé, Toutes les interviews

Le Royaume-Uni reste, aux yeux des continentaux que nous sommes, un territoire musical étranger. Certes, la France fut l’une des premières terres d’accueil des Smiths, notamment grâce au soutien d’un groupe de mélomanes versaillais, lesquels venaient juste de créer un fanzine, Les Inrockuptibles, mais cela reste plus de l’ordre de l’exception que de la règle. Nombreux sont les groupes qui, outre-Manche, squattent la une de la presse musicale – bon, ce qu’il en reste, il faut être honnête – ou se trouvent en tête d’affiche des festivals mais qui, en France, peinent à remplir des salles moyennes. Je pense par exemple à Wolf Alice ou Biffy Clyro, deux noms relativement peu connus ici et pourtant des références incontournables là-bas. Si, lors de la britpop, les plus gros groupes tels Oasis, Blur ou Pulp ont bien fait chavirer la France – et encore, en ce qui concerne Oasis, jamais l’engouement n’aura été aussi fort ici qu’à domicile, beaucoup d’autres formations du genre auront été tout simplement ignorées. Qui a entendu parler de Menswear, de Salad ou de Gene ici ? Dans certains cas, encore plus rares, c’est l’inverse qui s’est produit. Archive est quasi-inconnu dans son pays mais un groupe capable de faire une tournée des Zénith en France et même vendre un Accor Arena à Paris. Archive qui a justement embarqué lors de sa dernière tournée française les jeunes October Drift, quatuor aux guitares acérées et aux refrains fédérateurs, soit typiquement tout ce qui devrait cartonner chez nos voisins mais pas exactement ce qui passionne les Français, lesquels préfèrent leurs Britanniques plus ténébreux et « indie ». Cette tournée va-t-elle constituer un tournant pour October Drift ? Beaucoup y croient et c’est la raison pour laquelle, quelques mois après cette première partie des « arenas », le groupe est sommé de donner au Supersonic, dans le 12e arrondissement de Paris, un nouveau concert. On raconte même qu’October Drift devrait revenir sous peu lorsque son troisième album, Blame the Young, sera sorti (27 septembre). 

Les lecteurs d’Exit savent bien que je m’étais déjà enthousiasmé pour leur deuxième album, I Don’t Belong to Anywhere, initialement sorti en 2022 mais ressorti en 2023 pour tirer profit de la tournée française. À l’époque, j’avais parlé de « plaisir coupable ». Pourquoi ? Justement à cause de ces grosses guitares mélodiques et de ces refrains accrocheurs qui me semblaient un peu faciles, tout en étant franchement addictifs. Depuis, j’ai un peu révisé mon jugement : I Don’t Belong Anywhere est juste un grand disque de pop rock flamboyant, taillé pour le succès, et il serait indécent de faire la fine bouche. Rencontrant le groupe à l’occasion de ce fameux concert au Supersonic, je ne peux qu’enfoncer le clou. Les quatre mecs d’October Drift sont juste sincères. Nous nous entretenons avec Kiran Roy (chant, guitare) et Chris Holmes (batterie) et on sent que ces derniers constituent le cœur du groupe et que leur amitié est très forte. C’est d’ailleurs le batteur qui prendra le l’ascendant au début de l’interview, tendant parfois des perches à Kiran, lequel se révèle plus timide mais pas moins sympathique. Surtout, on découvre des musiciens intègres et humbles, qui ont de l’ambition mais aussi beaucoup de lucidité sur le rock business et le chemin qui leur reste à accomplir pour arriver au succès. Le groupe a une attitude très working class, travaillant très dur pour obtenir cette efficacité et malgré le charisme et la furie livrées ensuite sur scène (Kiran finira très vite accroché au balcon de la salle), on est aussi très surpris de les voir si sobres et mesurés dans leurs propos, loin d’une attitude sex, drugs and rock’n’roll délétère. On attend donc de voir quel accueil sera réservé à Blame The Young et comment le groupe va aborder la suite. Mais ne grillons pas les étapes et écoutons-les nous parler de leur opus à venir et de leurs expériences récentes. 

«Personne n’aime un groupe de stade qui joue dans les clubs. »

Je voudrais commencer par une question très simple. Le troisième album du groupe, Blame The Young, va sortir le 27 septembre et nous sommes fin mai. C’est un sacré délai d’attente et vous tournez déjà avec ces nouveaux morceaux que le public ne va découvrir qu’un peu plus tard. Comment gérez-vous cette période et éprouvez-vous une certaine frustration que le disque ne sorte pas avant la rentrée ? 
Chris Holmes (batterie) : Nous n’allons jouer que peu de morceaux du nouvel album ce soir, en fait. Nous avons commencé à l’enregistrer en février 2023 donc c’est vrai que le temps d’attente est long. Mais alors que nous sommes en train de tourner, nous sommes aussi dans le monde des réseaux sociaux, où il faut patiemment distiller les informations. Nous allons donc sortir des singles, faire des vidéos, publier des annonces, produire du contenu, tout cela jusqu’à ce qu’arrive la date de sortie, et je pense qu’au final, ça va passer assez vite. 

Il s’est produit quelque chose d’assez inhabituel avec I Don’t Belong Anywhere, il a connu une sorte de deuxième vie quand vous avez fait cette tournée avec Archive. Vous avez à cette occasion bénéficié d’une plus grande couverture, de nouvelles chroniques dans des magazines, sur les réseaux… Comment l’avez-vous vécu ? 
Chris : Oui, définitivement, l’album a connu une seconde vie, et nous avons été vraiment chanceux. Particulièrement, en France, nous avons vu une augmentation appréciable des écoutes sur Spotify et ce genre de plateformes, ce qui était bien plus que ce que nous aurions pu espérer de cette tournée. Ce n’est pas souvent que les groupes aujourd’hui se voient offrir une telle opportunité de faire autant de concerts sur un même territoire, en particulier en France. Et je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de groupes qui marchent autant qu’Archive chez vous. Ça n’a pas donné une seconde vie à l’album, ici, mais une vie tout court. Je ne pense pas que quiconque nous connaissait dans votre Paris. Ça nous a vraiment mis le pied à l’étrier. 

J’ai lu dans une interview donnée à l’occasion du disque précédent qu’en réalité vous aviez deux albums sous la main : un disque très rock et un qui l’était moins. Vous avez finalement décidé de sortir l’album le plus rock et de remiser l’autre. Y-a-t-il des morceaux de ce second deuxième album que vous avez utilisé pour Blame the Young ?
Kyran Roy (chant, guitare) : Oui, nous l’avons fait. Il y a des choses sur ce nouvel album, que je qualifierais de plus développées, et elles viennent de cet enregistrement initialement laissé de côté. 
Chris : Oui, définitivement. C’est vraiment bizarre, en fait, car ces deux enregistrements concomitants ont vraiment été réalisés à cause du Covid, parce que nous avions énormément de temps pour nous poser et écrire. Nous avons écrit des tonnes de nouvelles chansons, et nous pensions les sortir toutes à un moment ou à un autre, sauf qu’à la fin nous nous sommes vraiment retrouvés avec une abondance d’enregistrements parmi lesquels il a fallu choisir. Au final, certaines chansons ont fini sur le deuxième album et sont en fait plus récentes que celles qui se trouvent sur le troisième. Mais nous ne sommes pas contentés de les réutiliser telles quelles. Nous leur avons donné une nouvelle approche, nous avons tout repris afin de leur conférer une nouvelle identité. 

Avez-vous utilisé pour cela le studio du Somerset qui vous appartient et dans lequel a été enregistré et produit le disque précédent ? 
Kiran : Nous disposons toujours de ce studio et sans lui, nous n’aurions pu faire le deuxième album dans un contexte de pandémie. Mais pour l’album le plus récent, nous avons enregistré dans un AirBnb qui se trouve près du Somerset. Nous l’avons loué pour une semaine et avons apporté avec nous notre matériel d’enregistrement. Et puis, nous y avons dormi également. Nous voulions avoir une sorte de bulle, de sorte à ce que le monde extérieur n’existe plus. Nous voulions qu’il y ait une grande pièce, parce que nous voulions un énorme son de batterie. La propriétaire nous a laissé l’avoir et nous a permis de littéralement retourner la pièce. C’était une sorte de grange qui avait été convertie, avec une grande surface et un plafond très haut, tout cela au milieu de la campagne. Il y avait aussi ces peintures sur les murs, des choses de ce genre, parce que la propriétaire est une artiste. 
Chris : C’était super, ce n’était pas vraiment une pièce stérile et silencieuse comme un vrai studio. J’ai envoyé un mail à cette femme et je lui ai demandé : «Nous voulons venir chez vous et enregistrer un album, est-ce que ça vous va ? » Et il s’avère que les propriétaires étaient des gens du monde de l’art et l’idée leur convenait parfaitement. Donc, à la base, on a simplement désossé notre studio, tout embarqué dans un van et on l’a transporté trente kilomètres plus loin sur la route. 

Je n’ai pas trop d’info sur l’album lui-même, mais donc au final vous étiez encore vos propres producteurs ? 
Kiran : Oui, on a pratiquement tout fait là, des enregistrements assez simples et sans fioritures, avec quelques overdubs ajoutés ensuite dans un autre studio… 
Chris :  … avec l’ingénieur qui s’occupe habituellement de notre son de scène, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui au Supersonic. Ce que nous voulions capturer sur disque, cette fois-ci, c’était un son plus ample que ce que nous avions fait auparavant, mais nous voulions aussi que l’on retrouve notre énergie de scène. C’est pour ça qu’on a fini par faire venir notre ingénieur du son au studio. Il a vraiment donné un son plus proche de nos concerts et ça a ajouté une perspective plus intéressante. 
Kiran : Oui, c’était une oreille neuve qui nous a permis d’avoir une perspective extérieure et de faciliter le processus de mixage, n’est-ce pas ? 
Chris : Oui, c’est lui qui s’est occupé de faire la synthèse entre ce que nous avions fait au BnB et ce que nous avions fait ensuite avec lui en studio, avec un résultat plus poli, plus finalisé. C’est là que nous avons pris les décisions importantes. On est vraiment extrêmement satisfaits du résultat, mais ça a quand même pris un certain temps pour en arriver là. 

La pochette de l’album, sur laquelle on voit Kiran faire un stage diving semble pourtant annoncer un disque plus live,composé et enregistré sur la route. Vous avez composé certains morceaux ainsi, lors de balances ou de répétitions ? 
Chris : Non, je ne pense pas. 
Kiran : Quelques idées, ci et là, mais jamais un morceau dans son intégralité. Ce n’est pas notre manière de procéder, si ? 
Chris : Non, on n’écrit pas sur la route. On se pose au studio, on se gueule un peu dessus jusqu’à ce que ça commence à sonner pas trop mal, et surtout on maquette tout pendant le processus d’écriture. Je pense que la décision concernant l’artwork est due au fait que nous avons toujours été un groupe pour lequel le live a été la première chose. C’est ce que nous avons fait avant d’avoir du vrai matériel. Avant quoi que ce soit, nous étions sur la route pour faire des concerts et c’est comme ça que nous sommes devenus ce que nous sommes en tant que groupe. 
Kiran : Tout vient du live et de l’énergie du live. C’est cet aspect que nous voulions vraiment pousser fort sur ce disque, comme tout le reste : les singles, toutes les images, les prises de vue, tout ce que nous voulons communiquer au public, c’est ce sentiment que nous sommes un groupe de scène. Cela avait été un peu sous-estimé dans l’artwork des deux disques précédents alors que là, c’est exactement la manière dont nous cherchons à apparaître à cet instant précis. C’est comme si notre identité était plus claire à partir de cette image.
Chris : C’est notre manager qui nous a dit : « Écoutez, vous avez vraiment ces photos incroyables qui retranscrivent à quel point vous êtes un bon groupe de scène ». On n’était pas sûr de vouloir mettre cela en avant à ce point. C’était son idée. Mais c’est vrai qu’à la réflexion, ça marche vraiment bien avec ce disque. 

« Nous avons grandi au bout de la route qui mène à Glastonbury. (…) Il n’y a absolument rien d’autre dans l’industrie de la musique dans le Somerset, à part ce festival qui est juste le plus gros truc au monde et, toi, t’es là, dans une grange avec les vaches, tu te sens tellement loin de l’industrie de la musique… »

Ce soir, au Supersonic, vous allez encore pouvoir produire ce type d’image. Vous avez sûrement vu qu’il y a ce balcon juste au-dessus de la scène et, Kiran, tu ne vas vraiment pas avoir du mal à t’y accrocher, je pense… 
Chris : Mais oui, comment pourrais-tu résister ? 

Je voulais revenir à votre tournée avec Archive. Est-ce que ce genre d’expérience a changé votre manière de concevoir le live ? Avez-vous désormais des attentes particulières en termes de son, d’énergie, de light show ? 
Kyran : Je crois que James, notre ingénieur, a trouvé que ça changeait complètement notre approche, parce que quand tu es une immense salle, tu as des tas d’opportunités pour le mix que tu n’as pas dans une petite salle, où tu dois te battre avec le son de la batterie, ou ce genre de trucs. Il a trouvé que jouer dans de grandes salles avait changé sa perspective sur la manière dont nous sonnons, nous n’avions juste jamais aussi bien sonné que cela et maintenant il entend le groupe différemment. 
Chris : Je ne voudrais pas sembler arrogant, mais je dois dire que plus le show est grand, plus grande est la scène, et plus c’est facile pour nous. Il y a quelque chose dans la nature même de notre son qui s’adapte beaucoup mieux aux grandes salles. Je ne voudrais pas dire du mal des petites salles car c’est là que nous jouons depuis le début, mais c’est  tout simplement plus facile d’avoir un bon mix et de s’entendre jouer dans les grandes. On joue de la musique à guitares après tout, de la musique qui doit sonner fort.
Kiran : C’est d’autant plus marrant qu’au début on était vraiment nerveux pour les premiers sets, et puis, rapidement tu te dis « eh bien, c’est juste un autre concert », tu finis par t’habituer, mille personnes… c’est cool. Tu es essoré et hop, tu répètes la même chose le soir suivant. Une autre salle pleine de monde. Attention, ne te méprends pas. On adore toujours jouer, mais finalement il y a cet effet sur tes nerfs qui fait que tu t’habitues. 

C’est marrant car en fait, vous êtes un peu en train d’empiéter sur ma prochaine question… Quand j’ai reçu votre disque précédent, je me suis dit : « Mais c’est vraiment pas un truc indie, ça ! » C’est vraiment de la musique dont on sent qu’elle a été conçue, par sa nature-même, pour aller en première division, pour finir à Glastonbury. Et puis, dans le nouvel album, il y a cette attitude un peu underdog, comme une forme de revanche sociale, quand, Kiran, tu évoques dès le premier morceau le fait de « n’être le fils de personne ». 
Kiran : Oui, à 100 %. Je pense que nous nous sommes toujours considérés comme des outsiders dans le monde de la musique. Je crois que ça résume assez bien notre ethos. 
Chris : Ce résumé que tu as fait, c’est une parfaite synthèse de ce qu’est le groupe. Tu sais, en réalité Glastonbury, c’est très précisément situé là où on a grandi, dans le Somerset. Nous avons littéralement grandi au bout de la route qui mène à Glasto. Etant nous-mêmes inspirés par ces groupes qui s’adressent à une foule massive et sachant qu’il n’y a absolument rien d’autre dans l’industrie de la musique dans le Somerset, à part ce festival qui est juste le plus gros truc au monde et, toi, t’es là, t’es juste dans une grange avec les vaches, quoi, tu te sens tellement loin de l’industrie de la musique… et, en même temps, une fois par an, il y a tous ces gros groupes qui viennent et ils jouent la musique qu’on rêve de faire… oui, ça a clairement un impact sur nous que tu vas retrouver dans nos textes. 

Génial, car je crois que vous répondez à des questions que je n’ai pas encore posées ! Quand je pense au Somerset, je pense à PJ Harvey, mais elle n’appartient pas à une scène, pour commencer. Quand vous dites, « I Don’t Belong Anywhere » (NdR : titre de l’album précédent), est-ce que cette impression de déracinement, elle vient de là, d’avoir grandi dans le Somerset ? 
Kiran : Oui, nous avons grandi avec cette incertitude sur ce que nous allions faire, si nous allions devoir bouger à Londres. Finalement, on ne l’a pas fait, mais on a réalisé vraiment très tôt que pour évoluer, on allait devoir accepter de jouer à peu près n’importe où au Royaume-Uni. Et ça a énormément contribué à former notre musique. Déjà, ça nous a énormément rapproché les uns des autres. Parce qu’il n’y avait pas grand chose qui se passait autour, dans le Somerset. Quand j’ai lu qu’il y avait Peter Gabriel qui y avait un studio, je me suis dit qu’il a dû se passer des trucs dans les années 80, que des tas de musiciens ont dû venir et puis, oui, PJ Harvey… mais tout ça ce sont juste des îlots de choses qui se passent ici, comme le Festival de Glastonbury. Ça ne reste pas et très rapidement, tu réalises que tu vas devoir te tirer et jouer partout où tu peux. Il y a des groupes qui se développent dans leur ville, et puis, leur succès part de là. Mais pour nous, ça n’a pas été le cas. Nous n’avons pas de fanbase à un endroit donné, ça s’est développé de manière large. 
Chris : On a donc une approche très old school où tu pars en van dans des endroits assez bizarres, partout au Royaume-Uni, des lieux où quasiment personne ne vient jouer à part nous, et c’est comme ça que notre carrière a commencé. Nous avons ce rapport très ambivalent avec le Somerset, donc… 

« (…) Ces gens qui supposent que si t’es “indie”, tu dois pas faire de reel, que c’est bon que pour les filles qui dansent dans leur cuisine… Eh bien, nous on l’a fait. On a tenté des tas de trucs qui n’ont pas marché et puis finalement, ça a fini par payer, alors qu’on ne met pas le moindre fric dans la promo. »

Vous étiez accros à la musique dès le départ ? Quand avez-vous réalisé que ça allait être votre vie ? 
Kiran : Très tôt. Nous sommes tous allés à l’école ensemble et on a commencé à jouer quand on avait 16 ans. Très rapidement, c’est comme une voie toute tracée qu’on a choisie et on s’y est tenus. 
Chris : Je pense qu’on est juste un peu fous ou trop obstinés pour arrêter. Ça a vite créé cette sensation entre nous d’être des underdogs, vivant à l’écart du monde autour de nous. Je ne sais pas si c’est le bon mot car il est un peu galvaudé, mais on a une sorte de résilience. On va aller vers le succès, coûte que coûte. 

Je ne sais pas si je me trompe mais c’est le genre d’attitude qu’on n’aime pas vraiment dans la musique « indie ». L’ambition, finalement, c’est assez mal vu, non ? Comment ça affecte votre rapport aux autres groupes de la scène ? 
Kiran : Les gens aiment bien que les groupes du circuit DIY sonnent comme des groupes DIY. Il ne faut pas avoir trop d’aspirations. 
Chris : Surtout au Royaume-Uni… 
Kiran : Ouais… alors que nous, on a toujours voulu que notre musique aille aussi haut que possible. 
Chris : C’est simple. Pour certaines raisons, et franchement j’ignore lesquelles, personne n’aime un groupe de stade qui ne joue pas dans les stades, qui joue dans des salles de 50 personnes. Personne n’aime ça. Et, putain, j’adore que personne n’aime ça. Et j’adore quand, au contraire, il y a des gens dans le public qui veulent que tu sois comme ça, que quel que soit le nombre de personnes dans le public, peut-être dix et pas une de plus, et crois-moi, on a fait ce genre de concerts. Et dans ces cas-là, tu vas quand même te donner à 100 %, comme si tu jouais devant dix mille personnes. Pour moi tu ne dois pas jouer au niveau où tu es mais au niveau de là jusqu’où tu veux aller…

(Michel Pampelune, de Fargo Mafia,  intervient) : « une attitude à la Bruce Springsteen
Chris : oui, voilà, c’est ça, exactement ! 

J’ai connu ça quand je vivais aux Etats-Unis. J’ai vu des groupes qui faisaient de grosses salles à Paris mais aux Etats-Unis, j’ai été surpris de les voir jouer dans des clubs ou des salles plus petites et avec exactement le même niveau d’énergie.  J’ai l’impression qu’ici, en France, on ne fait pas toujours ça. Certains trouvent cool de se complaire dans une démarche « indie »
Chris : Je ne sais pas si c’est le fait de venir du Somerset ou d’autre chose, mais franchement, tous les quatre, on s’en fout d’être cool. Par ailleurs, la définition même de ce que c’est d’être cool n’arrête pas de changer. Alors, peut-être qu’un jour ce sera à notre tour d’être cool, mais franchement, on s’en fout. Ce qui importe pour nous, c’est de venir avec cette honnêteté et cette humilité, d’être nous-mêmes et de nous investir dans notre musique, et s’il y a des gens qui se connectent à cela alors, c’est fantastique. 

C’est presque une attitude de la working class, non ? 
Chris : Et en même temps, on est juste issus de la classe moyenne, la famille la plus typique que tu puisses imaginer en Angleterre, avec un revenu décent, donc je n’irais pas nous qualifier de venant de la « classe ouvrière ». Donc, je ne sais pas trop d’où ça vient, cette attitude que nous avons. 
Kiran : Mais je vois ce que tu veux dire… tu parles de ce goût du travail. Je pense quand même que ça vient de nos familles, le côté entrepreneurial, je dirais. Ta famille, Chris, a quelque chose comme cela. Les parents de Dan possèdent un magasin de surf. Mon père est son propre patron. C’est le genre d’attitude que t’as quand tu travailles pour toi-même. Je crois que l’ensemble de nos parents n’ont toujours travaillé qu’à leur compte… et quand tu fais ça, il n’y a pas vraiment de règle, c’est toujours un peu atypique, comme attitude. 
Chris : Oui, je ne sais pas comment c’est ici, en France, mais en Angleterre, un paquet de gens qui ont leur propre business le font d’abord par passion. Il n’y a pas beaucoup de fric à se faire, mais tu prends tes propres décisions et je pense que c’est ce type d’attitude qui a déteint sur nous. 

Sans doute parce que je suis moi-même une sorte de geek quand il s’agit de la musique, je vous ai pas mal suivi sur les réseaux sociaux et j’ai vu que vous aimiez bien poster des vidéos courtes, presque comme sur TikTok. Est-ce quelque chose qui vous amuse ou une sorte d’obligation contractuelle ou commerciale ? 
Kiran : C’est marrant parce qu’en fait, quand on a commencé, on n’avait pas de présence sur les réseaux sociaux. Je pense qu’aucun groupe ne se forme pour poster des trucs sur les réseaux sociaux… enfin, peut-être que certains le font, mais pas nous ! Ça n’a jamais été une passion mais on a fini par comprendre que ça valait la peine, surtout que ça ne coûte pas beaucoup d’argent et maintenant en 2024, c’est sans doute le moyen le plus puissant que tu puisses avoir pour communiquer, tout en faisant que tout cela reste sous contrôle, que tu ne sois pas obligé de reposer sur des « gardiens ». Tu vas ainsi trouver du public avec lequel tu vas pouvoir te connecter et qui t’ont vraiment découvert sur Insta ou TikTok. Ces contenus très courts sont vraiment très utiles pour faire grossir notre auditoire. 
Chris : Les gens vont venir à tes concerts, acheter des albums. Et tu sais, c’est assez lié à ce dont on parlait avant, ces gens qui supposent que si t’es « indie », tu dois pas faire de reel, que c’est bon que pour les filles qui dansent dans leur cuisine. Eh bien, nous on l’a fait. On a tenté des tas de trucs qui n’ont pas marché et puis finalement, ça a fini par payer, alors qu’on ne met pas le moindre fric dans la promo. On ne paie pas les plateformes pour cela. On a quinze millions de vues, le nombre de nos followers sur Spotify a triplé, sur Instagram on est passé de 7 000 abonnés à 40 000 mais ce qui compte c’est que les albums se vendent et que les gens viennent au concert. Ce ne sont pas des chiffres pour des chiffres mais on s’est dit que si ça marche et qu’il y a une corrélation entre les deux, c’est cool. Parfois, on est peut-être allé un peu loin… on a un reel qui a super bien marché aux Etats-Unis. On a un morceau avec une intro presque « grunge » et on avait vu cette photo de Kurt Cobain avec un t-shirt « Grunge is dead ».

Oh, j’allais justement vous poser cette question à propos de votre blague récurrente « Grunge is dead » sur les réseaux…
Chris : Oui, on a commencé à faire ça comme une sorte de boutade, en se disant que ça allait énerver des gens. Et je te confirme que ça les a énervés. On a commencé à recevoir des messages directs de gens aux États-Unis qui nous écrivaient des trucs assez intenses, assez sombres, du genre qu’ils voulaient nous tuer… Toute personne saine d’esprit aurait dû se dire : « Bon, on ne va pas recommencer », mais on a commencé à voir les bénéfices qui allaient avec. Et puis, on s’est dit : « Allez, c’est drôle et puis c’est un peu racoleur, d’une certaine manière. » Parce qu’évidemment, c’est assez ironique. Notre musique n’a pas grand chose à voir avec le grunge. Mais c’est vrai que ça pourrait aller trop loin… pour des personnes qui n’auraient pas la peau un peu épaisse, ça peut déstabiliser de recevoir des messages de haine sur les réseaux sociaux. Mais ça nous a fait un peu de pub, c’est à double tranchant. Au final aujourd’hui, tu finis par avoir plusieurs métiers quand tu es un groupe. Il y a un tiers qui est passé à faire de la musique, mais le reste c’est de la promo, et devoir réserver des salles… alors autant ne pas trop se prendre au sérieux. 

Dernière question. Steve Albini vient de décéder. Quelque part, il représentait cette attitude indie qui se méfie du succès et des ambitieux, et en même temps il personnifiait une attitude par rapport au travail qui ne vous est pas étrangère. Que signifie-t-il pour vous ? 
Kiran : C’est intéressant car nous avons tourné en 2018 avec Editors, et c’est grâce à cela que nous avons pu faire le premier album avec Justin Lockey, leur guitariste, qui avait aussi un label. Nous sommes allés dans son studio. Justin, avec son groupe YourCodeNameIs:Milo a fait un disque avec Steve Albini, et c’est grâce à cela qu’il a appris à enregistrer. Donc, à peu près toutes les techniques qu’il a utilisées, pour la basse, pour la batterie, ça vient d’Albini. Quand on a fait le premier album, donc, la base c’était un peu In Utero. Donc, en fait, il y a une influence assez directe, quand on y pense. 
Chris : Albini, c’est un peu la personnification de que le rock est, de ce que la musique indie est. Comment trouver sa propre voie, faire ce que l’on sent être la bonne chose, ne pas prêter attention à ce qui est cool, à ce que les autres pensent. Albini, c’est tout ça. C’est un militant et un pionnier et bien sûr, ça nous fait un truc au fond du ventre qu’il soit décédé et de ne jamais pouvoir enregistrer de disque avec lui.

Interview réalisée par Yann Giraud

Merci à Michel Pampelune, de Fargo Mafia

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