Interview – Nwar

Publié par le 19 janvier 2023 dans Interviews, Non classé, Toutes les interviews

On va tout repeindre en noir et glisser dans les méandres dissonants d’une œuvre majeure enfin publiée physiquement par le label Head Records (après pas moins de six mois d’attente, le pressage étant retardé par la pénurie de matière plastique… hic…). A l’instar d’un premier EP déjà prometteur mais insuffisamment relayé, Nwar revient cette fois-ci les yeux rivés au ciel, ayant quitté l’ossuaire que la terre avait recraché. Une entaille spatio-temporelle dans laquelle le duo s’engouffre avec une densité vertigineuse, un mécanisme huilé au millimètre. La frappe massive de Nicolas associée aux riffs incisifs de Laurent marquent les esprits, si Beyond the Sun semble inaltérable, c’est avant tout l’aboutissement d’un travail colossal commun, sculpté dans le marbre, un diamant polyédrique où chaque titre obéit à une symétrie musicale, où chaque contraste se focalise sur un point précis.
Rencontre en coulisses à Victoire 2 (Montpellier)

Comment s’est passé indépendamment l’un de l’autre la transition de vos groupes respectifs pour aboutir à Nwar ?
Laurent Graziani (guitare)
 : Wow la question ! (Rires) Je laisse à Nicolas qui est plus fort que moi à propos des dates pour raconter tout ça !
Nicolas Gromoff (batterie) : J’ai arrêté la musique depuis 2006 après avoir travaillé avec Laurent dans Lunatic Age, ensuite j’ai fichu mon matériel dans un coin. J’ai pas retouché ma batterie durant un moment. Un jour, je croise Laurent, on était finalement voisins. Vers 2014, on a commencé à se voir, Laurent jouait encore dans deux formations. On étaient restés tous les deux sur un sentiment d’inachevé. On prenait plaisir à travailler ensemble. Et Laurent avait pas mal de compositions inexploitées. J’avoue avoir eu du mal à m’y remettre, mais j’ai trouvé une baraque avec un grand grenier, à ce moment-là j’avais projeté de me remettre à la musique. On s’est remis à refaire l’histoire de la noise, à échanger des idées, écouter des disques. Finalement, dans ce grenier on a rebranché les amplis, et dès qu’on a joué tous les deux, j’ai entendu le truc tout de suite, c’était immédiat, il s’est passé quelque chose ! Je me suis dit « l’enfoiré il m’a eu, je peux plus faire machine arrière. » Et puis derrière ça, il y a une histoire d’amitié de 30 ans. Nwar a vraiment démarré en 2017.
Laurent : On est partis au Pakistan en 2005 jouer à la seule et unique fête de la musique à Islamabad. On a exportés du rock là-bas.

Quand on vous voit sur scène, on a l’impression de voir deux frangins qui jouent
ensemble, une vraie complicité.
Nicolas
 : ça en dit long !
Laurent : On n’avait jamais eu l’idée de faire un duo, la dream-team c’est le trio, power rock. Et cette formule, je ne pourrais pas la concevoir en dehors de nous deux.
Nicolas : Quand la machine s’est enclenchée, on s’est pas fermés à d’éventuels featuring ou un partenariat.
Laurent : La version de Soundgarden (NdR : « Jesus Christ Pose ») avec Christophe Gomar, on s’est fait ça en période covid. Pour se faire plaisir. Les morceaux de notre répertoire sont autour de nous deux.

« Quand on joue nos titres, et quand on les écoute, on se fait un scénar. Après si le public arrive à construire son propre scénario imaginaire, c’est plutôt cool. »

En termes d’influences musicales, qu’avez-vous avez commun ?
Laurent
 : Pas mal de trucs depuis les sixties, on a en commun une culture musicale, Nico avait un peu décroché avec les nouveautés. Le mouvement noise des années 90 synthétisé avec des sorties plus récentes, sans pour autant te citer de noms.
Nicolas : On n’est pas attachés à une étiquette, je vais tripper sur Coltrane comme sur un album punk.
Laurent : Quand je compose, c’est jamais basé sur un style particulier. Ça part d’une idée, le premier truc qui va nous traverser l’esprit, on le chope comme ça.
Nicolas : On nous dit qu’on fait du métal progressif, si ça vous plait, pourquoi pas.
Laurent : Ça peut paraître prétentieux, il n’y a rien d’iconoclaste, c’est inspiré d’un milliard de trucs. Dans le processus créatif de Beyond the Sun, Nico a composé plus que pour le premier. C’étaient vraiment des tests, d’ailleurs dans le premier EP, les titres sont des numéros, c’est l’ordre dans lequel on a composé. Y’a aussi des initiales, des erreurs de frappe. Le titre « ST07 » est inspiré de Shepard Tone, cette fréquence infinie, sinusoïdale. Pour générer cela, il faut tout un routing audio, c’est une sorte d’index pour se repérer. D’ailleurs, dans le second album, on a mis des titres… Ça commençait à devenir chiant à gérer.
Nicolas : Et puis ça vient du fait, que Bilou (NdR : Bil Nextclues de new Noise et parfois même d’Exit), qui s’est installé aux States avait chroniqué le disque et regrettait qu’il n’y avait pas de titres. On s’est dit après qu’on allait titrer tout ça, et puis sur Beyond, il y a des images et des visions. En fait, quand on compose y’a zéro règle, ça part d’un riff, d’un passage, d’un exercice de batterie.
Laurent : Certains samples ont donné le nom à des titres comme « Good American Boy », ou « W10 » qui provient de Wikileaks. On entend la voix d’une journaliste.

Justement, ce qui retient l’attention, c’est que beaucoup de groupes post-rock utilisent des samples étrangers aux morceaux, dans votre démarche, il y a quelque chose de revendicatif.
Laurent
: Oui ce n’est pas que de la déco sonore, y’a un sens. Un engagement. Le truc avec Wikileaks, c’est la portée des documents rendus publics, je cherchais de l’audio et de la vidéo à exploiter principalement, libres de droits, ce qui est rare de nos jours. Comme dans « Memento Mori », on entend la respiration d’un homme, ça provient d’une fuite d’une centrale nucléaire en Chine, extrait de Wikileaks.
Nicolas : Dans le clip de « Beyond the Sun », il y a des images du massacre de civils et de journalistes en Afghanistan par des bombardements américains. On fait de l’instrumental, et on s’est dit que c’est important que les gens se fassent leur propre image sur la musique que l’on renvoie. Le fait qu’il y ait un côté cinématographique qui déclenche ce processus d’imageries, on s’est impliqués dans cela.

Dans le dernier album, les titres ont cette consistance qui permet de guider l’auditeur, comme un cosmonaute qui reçoit des signaux.
Laurent
: Peut être plus quand on joue nos titres, et quand on les écoute, on se fait un scénar. Après si le public arrive à construire son propre scénario imaginaire, c’est plutôt cool.

« Avec l’âge qu’on a, notre culture musicale s’est faite sur le fantasme de l’objet. On sortait de chez le disquaire avec notre trophée de guerre, entre les mains, on passait nos journées à écouter des disques. »

Vous avez pensé à composer pour une bande-originale de film ?
Nicolas
: On nous a pas proposé, mais si un jour l’opportunité se présente, why not ?
Laurent : J’ai fait une formation, de la musique à l’image, pendant un an. J’ai pratiqué pas mal sur ce sujet.

Est ce que le cinéma est un support pour la composition ?
Nicolas
 : Pas vraiment, mais les sons évoquent des images, on a creusé dedans pour illustrer des compos.

Vous avez une approche très proche du réel.
Nicolas
 : Effectivement, il y a beaucoup de choses qui sont passées sous silence. Si on parle de Julian Assange, de tout ce qu’il a dénoncé, quasiment tout le monde s’en fout, alors pourquoi pas en remettre une couche en toute humilité, et rendre hommage à ce mec-là, qui a dénoncé des atrocités et qui est abandonné de tous. Ne pas oublier c’est très important.

J’apprécie beaucoup le fait que vous n’êtes pas dans votre bulle, que chaque élément ait un lien.
Laurent
 : L’engagement ce n’est pas le moteur de notre démarche artistique, c’est pour ça que jusqu’à aujourd’hui on n’a jamais écrit de textes, on sait chanter tous les deux, mais j’ai jamais eu la fibre pour écrire. Entre la maladresse de pas savoir comment écrire et ne pas avoir grand-chose à dire, on a préféré faire de l’instrumental. La démarche est la même avec les sons, si c’est pour remplir de l’espace sonore, ça n’aurait pas grand sens. Quitte à mettre du sound design dans nos morceaux, autant que ça revêt un sens.

La sortie de l’album a été retardée, est-ce que l’industrie du disque s’est focalisée sur les artistes mainstream au détriment des artistes indépendants qui ont tellement de choses à dire.
Nicolas
 : Je n’ai pas de réponse, mais je constate que beaucoup de trucs vraiment nuls sont favorisés et sortent sans aucun problème leur daube.
Laurent : C’est un business, mais c’est vrai que le vinyle est une ultra-niche par rapport à la masse de la musique consommée sur plateforme, on n’en arrive même plus à parler de musique indépendante.

C’est quoi votre regard sur cette dématérialisation des supports audios et en même temps le retour de la culture vinyle, avec une génération qui trouve ça hype. Le choix de ne pas sortir l’album en CD c’est assumé ?
Nicolas
 : Déjà quand ça sort en digital c’est déjà 44 bits, c’est exactement la même chose que le
CD, le vinyle c’est esthétique mais ça sonne aussi bien ! Et puis, faire un CD digipack c’est aussi cher que de sortir ça en vinyle. Et puis tu vends du merch et les gens apprécient. On est plus pragmatiques, pas très fétichistes.
Laurent : Et puis avec l’âge qu’on a, notre culture musicale s’est faite sur le fantasme de l’objet. On sortait de chez le disquaire avec notre trophée de guerre, entre les mains, on passait nos journées à écouter des disques. Ouais, on imagine bien des jeunes vivre ça.

Ça vient d’où le nom de Nwar, j’ai vu que ça existe dans le slang. J’avais pensé que vous enregistriez dans un manoir. Le concept aussi de la matière noire, collante.
Nicolas
: C’est le nom de la boite d’un copain, en maltais ça veut dire aussi « floraison ».
Laurent : Le choix de la typo nous a bien plu, on aurait pu s’appeler Rose, mais oui le jeu de mot phonique va avec notre musique. On a enregistré ça dans notre grenier. On est très cartésiens, on commence un truc et on doit le finir !

Entretien réalisé par Franck Irle

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