Indigo Sparke – Echo
Pour son premier album, Indigo Sparke ne s’embarrasse d’aucune timidité, d’aucune fausse modestie, pas plus qu’elle ne laisse de place au doute quant au rôle qu’elle entend jouer à l’avenir dans ce théâtre de l’absurde qu’est le paysage musical international. Désormais, son futur se conjuguera avec elle, et elle y tiendra une place de premier plan, en pleine lumière, au centre de la scène, en habit rouge.
Echo impressionne immédiatement, par le mélange étonnant d’autorité et de délicatesse qu’il nous déverse et par l’espace qu’il prend, soudainement, en seulement neuf titres. Nous nous retrouvons lovés dans une froideur mélodique aguicheuse et inquiétante, cernés par de profonds vertiges et par une cinématographie languissante qui étire la chute inlassablement. Indigo Sparke s’accompagne le plus souvent de sa seule guitare, mais une batterie sépulcrale donne, de temps en temps, de la mesure, en filigrane, et quelques notes de piano viennent “océaniser” un peu l’atmosphère histoire d’épaissir un peu la brume. Toutefois, il n’y a rien qui ne dépasse, pour déchirer le voile de mélancolie dans lequel nous enveloppe la musique de Sparke. On ne sait si c’est de l’hypnose ou de l’anesthésie, mais la première fois où nous nous sommes penchés sur ce disque il nous fut presque instantanément impossible de nous détacher du charme qui s’opérait au devant et au dedans de nous. Ce n’est pas comme si on ne nous avait jamais fait le coup de la jeune demoiselle en détresse vaporeuse, mais il faut croire qu’il y a des travers pour lesquels nous chuterons encore et toujours. Sur le bien nommé “Bad Dreams”, par exemple, Indigo Sparke se montre d’une puissance funeste effrayante. J’ai cette image qui me vient, d’une éruption volcanique, tout à coup immobile, paralysée, en suspens, un danger presque divin, naturel, que l’on voit, que l’on sent, et dont on se demande quand il s’abattra enfin. Ce disque résonne en moi comme le présage d’une catastrophe qui ne demande qu’à fleurir pour chacun. Il y a, dans les pleins et dans les déliés de la voix, le chemin de fer d’une prophétie qu’Indigo Sparke semble avoir entendu dans le désert de son Australie natale, là où même les oiseaux font d’la peinture. Si j’avais un sens de l’humour un peu tordu, je dirai qu’il y a quelque chose d’essentiel dans cette musique, dans cette œuvre, appelons-là par son nom ; mais je n’ai pas tellement envie de rire. Ses coups sont portés avec une précision trop extrême, malgré leur apparente douceur, d’où ce sentiment d’autorité évoqué plus haut et qui se dégage d’Echo. Un sentiment de maitrise et de contrôle que l’on ressent rarement avec un premier album et que les multiples écoutes ne viennent aucunement démentir. Il faut croire qu’Indigo Sparke était prédestinée. Prénommée ainsi en hommage au “Mood Indigo” de Duke Ellington, elle n’avait d’autre choix que de se hisser à de telles hauteurs. Une vie d’artiste, pourtant longtemps éloignée de la musique, lui a donné la sensibilité et l’aplomb nécessaire pour sauter quelques étapes et pour nous offrir ce disque incroyable qui nous laisse espérer à un avenir radieux, quand bien même…
Ça n’est pas la moindre des qualités d’Adrianne Lenker que de l’avoir découverte. Bien sûr, si ça n’avait pas été elle, ça aurait été quelqu’un d’autre, cependant, à tout le bien que nous pensions déjà de Big Thief, vient s’ajouter cette “invention” d’une artiste déjà tellement au-dessus. Qu’importe le nombre de fois où l’on relance le disque, l’emprise est toujours aussi ferme, le charme toujours aussi total. Echo s’impose, donc, comme le font les grands albums qui nous accompagnent depuis tant d’années. Celui-ci vient de sortir, il nous ramène à maintenant, ce présent si difficile à appréhender. Il vient nous secouer et nous sortir de notre torpeur… certes pour nous plonger dans une autre, mais au moins est-elle plus belle et plus profonde.
Max