Human Impact – Gone Dark

Souvenez-vous du premier Human Impact, cette attaque foudroyante sur fond de dystopie qui avait débarqué conjointement à un virus qui a foutu pas mal de vies en l’air et pourri celle des autres. Le contexte était parfaitement idoine. Il ne l’est pas moins aujourd’hui. Même si ça va mieux du point de vue sanitaire, les raisons de s’indigner sont légion et Chris Spencer conserve toujours ce besoin d’éructer la rage qui ne sommeille pas vraiment au fond de lui.
Si certains avaient le moindre doute, il a été levé ces dernières années : Spencer est bien le patron du navire. Après avoir congédié le batteur Phil Puleo (Swans, ex-Cop Shoot Cop) et le bassiste Chris Pravdica (Swans), il a reconstitué son Unsane section rythmique avec laquelle il a tourné récemment pour raviver avec brio les premiers morceaux de son groupe mythique (vous avez le droit de ne pas les connaître par cœur, pour rappel il s’agit donc du bassiste Eric Cooper, ex-Made Out of Babies, Bad Powers et du batteur Jon Syverson, ex-Daughters). Human Impact 2.0 pourrait ainsi se nommer Unsane + Jim Coleman. Seul rescapé de la formation originelle, l’ancien de Cop Shoot Cop demeure le garant de la facette indus du groupe, pourvoyeur de samples qui font crisser des dents. Difficile de ne pas voir un lien de cause à effet puisque, il faut le dire, si l’onde de choc produite par le premier Human Impact était vivement espérée, elle ne s’est pas réitérée. Ce Human Impact est moins immédiat, moins marquant, moins traumatisant, oserait-on, mais ça n’en fait certainement pas un mauvais disque, loin s’en faut.
Ainsi, l’assaut est frontal d’emblée. Les coups ne tardent pas à pleuvoir en toute cordialité (« Collapse »). Spencer est, comme de coutume, d’humeur massacrante et on tend l’autre joue de bon cœur. Ça joue serré, tendu, dur sur l’homme. Reste la crainte, au milieu de toutes ces plaques de rouille, de choper le tetanos en augmentant trop fort le volume. Mais la tentation est grande. « Imperative » et son râle agonisant en arrière-plan est indubitablement de la trempe des premiers morceaux du groupe. On se pâme également devant l’intro terriblement entêtante du dément « Repeat » au titre particulièrement suggestif. Et on ne tarde pas à s’exécuter. Il ne manque pas grand-chose à ce Gone Dark pour tutoyer son prédécesseur mais ce mariage, sinon incongru, au moins audacieux, fonctionnait à merveille, avec ce que ça implique d’effet de surprise, et celui-ci est ici en partie évaporé. Avec ses sonorités d’un autre monde ou du nôtre qui part en lambeaux, c’est selon, Coleman fait toujours figure de plus-value incontournable, venant jouer le fauteur de trouble un brin azimuté, au milieu de jeunes gens déjà guère accueillants (« Hold On », « Destroy to Rebuild », « Corrupted »).
Les armes semblent déposées sur le fatidique « Lost All Trust » en fin de parcours. Les nappes synthétiques se font plus apaisées et derrière les cris (un brin répétitifs) de Spencer, une pointe de désespoir semble avoir supplanté la rage de celui qui beuglait avec entrain quelques minutes plus tôt « Now is the time to resist » (« Destroy to Rebuild »). Aboutissement logique d’un disque aussi éprouvant pour l’auditeur que ses concepteurs.
Gone Dark rentre bien dedans, ça oui, dégage une solidité à toute épreuve et gagne même en profondeur au fil des écoutes. Moins garni en morceaux incontournables que son prédécesseur, il pêche toutefois quelque peu par la redondance de son acharnement pessimiste et ce ne serait pas rendre service que de l’offrir à quelqu’un qui remonte doucement la pente. En revanche, si vous vous portez bien et aimez mettre à mal vos nerfs, vous ne pourrez que savourer plonger la tête dans l’eau bouillante et vous lover dans cet inconfort permanent. Après tout, vous savez où vous mettez les pieds.
Jonathan Lopez