Hellfest (Clisson), du 15 au 18/06/23
Écrire un live report sur le Hellfest est devenu presque aussi compliqué que se mouvoir sur les grandes scènes une fois la nuit tombée, c’est-à-dire qu’il faut éviter soigneusement d’énerver la foule éructant la bave aux lèvres et se déplacer dans un champ d’obstacles permanent. Depuis quelques mois (voire plusieurs éditions), le célèbre festival de metal croule sous les reproches portant essentiellement sur la présence d’artistes ou de groupes aux comportements problématiques, harcèlement, agressions sexuelles, salut nazi ou autres idées nauséabondes. On connaît déjà le problème Phil Anselmo (chanteur de Pantera, Down), habitué du festival, qui a été filmé en 2016, aux USA, effectuant un salut nazi et criant « White Power », il s’est depuis platement excusé. On sait aussi ce que l’image de Johnny Depp représente actuellement, son procès hyper médiatisé contre son ex-femme Amber Heard qui laisse un goût d’inachevé et de confusion morale. Ben Barbaud défend l’idée que s’il n’y a pas eu d’interdiction de justice concernant ces artistes, le festival est dans son droit de pouvoir les programmer. À noter également l’initiative de prévention contre les agressions, Hellwatch, instaurée l’année dernière, accueillie avec circonspection par beaucoup, mais qui peut sans doute se développer et devenir à terme bénéfique. On pourrait également parler du prix des places qui s’envole (dans la même gamme de prix qu’un Primavera cependant), l’achat des pass qui s’effectue à la confiance, sans connaître aucun nom à l’avance, ou encore cette mise en vente surprise quelques jours après la fin de cette XVIème édition (finalement la billetterie sera scindée en deux, seulement une partie des pass a été vendue, l’autre partie le sera à la rentrée). On pourrait arguer, comme le festival le rappelle, qu’ils restent à l’écoute des reproches et cherchent toujours à s’améliorer. Là où cela commence à devenir vraiment problématique, c’est quand les affaires judiciaires rajoutent de l’huile sur le feu, comme la condamnation pour harcèlement moral aux prud’hommes ou celle pour abus de confiance. Espérons que ces affaires ne gâchent pas la fête et finissent par ternir un événement qui ne le mérite pourtant pas artistiquement parlant.
Revenons maintenant à ce que l’on maîtrise le mieux, à savoir la musique. Après l’édition historique de l’année dernière, étalée sur deux week-ends, le Hellfest a souhaité programmer cette fois quatre jours de festival, avec, au final, plus d’une centaine de concerts proposés dans tous les genres qui constituent la galaxie metal.
La vieille garde à l’assaut des Mainstage !
Participer à une édition du Hellfest, c’est au moins la garantie de toucher du doigt un morceau d’histoire musicale. Cette année ne déroge pas à la règle, avec son armada de vieilles gloires prêtes à repousser l’âge de la retraite et à s’exciter sur scène pour en remontrer aux plus jeunes. On pense évidemment au supergroupe Generation Sex qui ne provoqua pas un grand enthousiasme au moment de l’annonce de sa programmation. Mais qui sont-ils ? Quel est ce nom de groupe tordu ? La planète rock apprend alors qu’il s’agit en fait de la moitié de Generation X mélangée à deux Sex Pistols, et tout le monde devient soudain “hypé”. Leur prestation sur la Mainstage fleure bon la nostalgie, alternant les vieux tubes des deux groupes. C’est très plaisant, mais parfois un peu vain, flirtant avec les scories d’un tribute band. Billy Idol met du temps à se chauffer la voix, mais il réussit une seconde partie de concert plus enlevée. Le final enchaîne « God Save The Queen », « Your Generation » et « My Way », et permet de montrer le groupe sous son meilleur jour. La guitare de Steve Jones est incisive, la voix de Billy Idol enfin déployée, le plaisir d’entendre ces morceaux historiques à plein volume est total, la magie opère. Une pensée nous assaille malgré tout : quand Glen Matlock joue « God Save The Queen » tout seul en acoustique, la magie est encore plus importante.
Monuments du rock, les indéboulonnables Kiss tentent de récupérer auprès de Phil Anselmo, la couronne du plus grand nombre d’apparitions au Hellfest. Que dire de plus sur Kiss qui n’a déjà été écrit mille fois ? Le spectacle est impressionnant, les chansons redoutablement efficaces (entre hard rock, glam et belles compositions pop), la prestation hyper carrée. C’est toujours quelque chose de voir Gene Simmons et Paul Stanley évoluer sur scène, grimés et grimaçant, la langue pendue, prêts à nous replonger dans leur cirque de foire sans que l’on songe une seconde à s’y opposer.
Nombre de semi-retraités cravachent dur sur les Mainstage, mais nous convainquent moins, à l’instar de Def Leppard ou Mötley Crüe. Autre supergroupe, Hollywood Vampires apparaît comme un véhicule à la gloire d’Alice Cooper (ce qui n’est pas pour nous déplaire toutefois). À noter beaucoup de reprises pendant leur set, dont une plutôt réussie de « People Who Died » du Jim Carroll Band, chantée par Johnny « mister polémique » Depp qui paraît par moment débouler directement de sa pub “Sauvage” (Dior). Autre reprise dans la besace de JD, « The Death and Resurrection Show » de Killing Joke, enregistrée et jouée sur scène jusqu’à récemment avec feu son ami Jeff Beck. Comme Generation Sex avant eux, on ne peut s’empêcher de voir en Hollywood Vampires une sorte de tribute band ou plutôt un jukebox vivant capable de reprendre du culte au kilomètre avec les Who, le MC5 ou David Bowie, mais dans une entreprise globale un peu vaine. On a alors envie de crier à Vincent Furnier : « Fuis, Alice, retourne dans ton groupe, ce sera beaucoup mieux ! »
Dernier dinosaure à attirer notre attention en Mainstage, Iron Maiden ne fléchit pas. Comme un coureur de fond du heavy metal britannique, toujours en activité, jamais distancé, tenant la dragée haute à nombre de ses suiveurs. Steve Harris abat de la ligne de basse à n’en plus finir, le biceps déployé et le cheveu hirsute. Bruce Dickinson arpente la scène moins décorée ou exubérante qu’à l’accoutumée, il est à la fois complètement investi dans sa prestation vocale et physique, mais garde un sourire en coin, toujours prompt à désarçonner son audience. En témoigne ce passage surréaliste où il s’adresse en français au public et commence à évoquer Louis de Funès, qu’il transforme progressivement en « Louis de Funeste ». Peut-être a-t-on rêvé de ce passage, cela est fort probable après moult bières ingurgitées… Quoi qu’il en soit les britanniques sont d’une efficacité redoutable, leur spectacle opératique fonctionne encore et toujours et fait taper du pied et dodeliner de la tête sans forcer.
Gloire à la Valley !
On peut maintenant vous l’avouer, même si l’on reste curieux de tout, notre premier réflexe fut quand même de s’enquérir de la programmation de la Valley. Bien nous en a pris tant les plus grosses claques de cette édition viennent une fois de plus de cette scène.
Sacrilège ! Tel fut notre sentiment quand nous vîmes la scène de la Valley être déplacée de son lieu historique au profit d’un temple de la consommation satanique. Puis, nous redevînmes modérés et acceptâmes le fait qu’elle soit maintenant aux côtés de la War Zone (en plus, ça facilite les trajets). Passé l’outrage, place à une ribambelle de grandes prestations. Weedeater chauffe la scène, le bassiste hurleur roule de grands yeux à notre attention, le tout accompagné de subtils doigts d’honneur. Sa casquette vissée au crâne, il semble sous l’emprise de quelque substance (cela aurait-il un rapport avec le nom du groupe ? Rien n’est moins sûr). C’est brutal, lourd, dégoulinant de sueur et décibels, ça sent bon l’Amérique redneck, parfait pour cuire au soleil en plein milieu d’après-midi. Autre ambiance, mais tout aussi marquante : Triggerfinger. Le groupe belge paraît presque trop propre pour la Valley, tout en costumes-cravates et belles mèches qui tombent. Et pourtant, ils pratiquent un rock inspiré, sensuel, plein de rythme et de vie. On en vient à se dire que c’est à cela que devrait vraiment ressembler QOTSA. Le trio est une véritable bête de scène, le batteur Mario Goossens est impressionnant de volubilité et de magnétisme. Ils retournent la Valley à leur avantage. Est-ce que la Belgique n’aurait pas mieux compris que la France en quoi consiste la base du rock’n roll ?
Direction maintenant les années 90 avec Today is the Day dont, contrairement à ce que laisse entendre le nom du groupe, ce n’est vraiment pas le jour. En effet, alors qu’il avait très bien démarré, la sono s’interrompt juste après quelques morceaux, le coupant net dans son élan. La ferveur du public retombe de plus belle. Ils reprendront quelques temps après, mais cela laisse un goût d’inachevé, dommage pour un groupe de cette trempe. De son côté, Stephen Brodsky délaisse un temps son vaisseau mère Cave In pour relancer le side-project Mutoid Man. C’est enlevé, rythmé et très récréatif. Stephen regorge d’allant et de bonne humeur communicative. Un autre groupe réussit pleinement sa communion avec le public, il s’agit du trio féminin Grandma’s Ashes qui arbore fièrement sur le t-shirt de la batteuse, le slogan « No Abusers On Stage ». Énergie à revendre, charisme élevé et morceaux qui déménagent, les trois musiciennes font chavirer l’audience et se permettent au passage de rappeler à quel point la programmation est chiche en femmes sur les différentes scènes (encore un point à améliorer d’urgence).
Vient ensuite le trio de tête, à savoir les groupes qui nous ont retourné le cerveau, trituré les sens et emmené loin, là où seule la musique peut nous transporter. En premier, le rock psyché et cosmique porté à son paroxysme : Earthless. De longues plages instrumentales avec d’interminables saillies de guitares et roulements incessants qui bataillent ensemble, dans un déluge sonore qui ne s’arrête jamais et nous laisse exsangues au bord de la scène, lessivés et repus. Earthless est un rouleau compresseur, ses membres volent le feu cosmique originel, se l’accaparent et forgent avec un pont direct vers d’autres mondes, d’autres perceptions, loin de nos considérations matérialistes et terrestres. Les Californiens ont avalé toute l’audience dans un seul maelstrom infini comme si nous étions tous tirés de nos enveloppes humaines et voguions soudainement dans les cieux sous forme astrale. Puis, comme il fallait bien conclure, ils nous ont régurgités et rendus à nos enveloppes corporelles, encore merci à eux pour le voyage !
Le groupe que l’on attendait par-dessus tout, c’est Dozer. L’album du retour des Suédois nous avait impressionnés, ce fut aussi le cas du concert. Et pourtant, cela n’a pas été sans anicroche, car Fredrik Nordin casse une de ses cordes très rapidement et n’arrive pas à la remplacer tout de suite. La frustration grimpe, les autres assurent l’intérim pendant ce temps-là, puis il revient et a envie d’en découdre encore plus. Leur énergie s’en trouve décuplée, c’est saillant, du stoner mélodique joué le pied au plancher, la voix haut perchée, le tout avec morgue et style. Le riff de « Mutation/Transformation » se fait entendre pour terminer le set, le public explose. Des frissons parcourent l’audience, prestation quatre étoiles pour les Suédois.
Dans un style différent, mais qui fait tout autant de dommages à la tête et au corps, sur un mode plus noir et insidieux, Botch a excellé. Le retour des Américains n’a pas déçu, Botch est toujours ce joyau noir, extrême et multiple, qui s’infiltre tout au fond de notre être, triture notre part la plus obscure et la déverse en hurlant à la face du monde. Botch n’a pas besoin de visuel extravagant, ses membres peuvent ressembler à de vieux graphistes accros à Photoshop et prodiguer l’un des sets les plus violents et cathartiques du festival sans en faire des tonnes, juste assez pour montrer qu’ils sont encore les patrons. Debout sur les retours, Dave Verellen hurle aux astres toute la violence de ce monde et cela nous fait le plus grand bien.
Cette année encore, la scène de la Valley aura fait plus que tenir son rang, elle aura abondé en fabuleux concerts tout au long du festival, auxquels l’on peut rajouter aisément les prestations solides de Clutch, Monster Magnet, Crowbar ou The Obsessed.
Guerre et paix en zone de guerre
Scène dorénavant jumelle de la Valley, la mythique War Zone a de nouveau accueilli les grands noms du punk, du hardcore et de ses variantes fusion. Là aussi, de grands anciens se côtoient, Ludwig Von 88, engagé dans une tournée anniversaire pour ses 40 ans de carrière, Rancid et Cockney Rejects, chacun experts dans leur partie, ainsi que l’énième incarnation du Black Flag de Greg Ginn. Alors, c’est sûr que l’on est loin de pouvoir rivaliser avec la légende originelle, mais nous sommes toujours remués de voir quelque chose qui a tellement compté pour nous, se tenir encore debout, vivante et concernée. Dans la catégorie jeunes pousses prometteuses, Paleface Swiss a déchaîné le circle pit en plein jour, comme jamais. Quant au plus punk des groupes de hip hop français, les Svinkels, ils donnent un set convaincant, à la fois léger, festif et énergique. La fête et le bordel, élevés au rang de mode de vie, sont aussi présents chez la bande d’Eugene Hütz, Gogol Bordello, qui emmène la War Zone en terre tzigane le temps d’un set survolté, pas toujours maîtrisé. Là où la fête sera la plus réussie, c’est au cours du concert de Fishbone. Véritable petit miracle fusionnel, sa musique additionne vraiment tous les styles possibles dans un melting pot imprévisible, racé et intelligent. Fishbone est attentif à garder un équilibre entre toutes les parties, que l’une ne prenne pas le pas sur l’autre, et dès qu’un élément semble presque en trop, faux ou pas à sa place, il est contrebalancé par une phrase musicale accrocheuse et maline (souvent le fait des cuivres). Fishbone en impose et sa recette très inspirée a été souvent copiée, mais jamais égalée, preuve en est sa prestation nocturne des plus abouties. Et finir par « Servitude », quelle conclusion magistrale !
Noir, c’est… noir
À ce point du report, vous pourriez nous dire : quid des scènes Temple et Altar ? Quid des groupes à l’âme sombre comme le café du matin ? Et nous pourrions répondre que plusieurs noms attisent notre curiosité, comme ceux de Dark Funeral, Voivod ou Behemoth. Dark Funeral impressionne. Soutenus par une batterie phénoménale (sûrement l’œuvre d’un robot ou de quelque animal avec plus de membres qu’un être humain), ils tracent une ligne toute droite comme s’ils étaient engagés dans une bataille épique et éternelle contre les éléments déchaînés. Cela nous cloue au sol, dans un état second et nous happe jusqu’à la dernière note. Tout aussi noir et mystique, Meshuggah assure, tard dans la nuit, et même si l’on ne voit pas toujours ce qui se passe à cause d’un trop plein de fumée et une foule des plus compactes, ce que l’on entend flatte l’oreille et les méninges. Voivod a pour lui une longue carrière dans le trash, mais parait presque cold wave sur plusieurs morceaux. Le métier est là, les chansons aussi. Les Canadiens s’en tirent avec les honneurs et ne paraissent pas accuser le coup malgré les années.
Dernières claques avant K.O. technique !
On arrive presqu’à la fin de ce report, mais deux prestations notables manquent encore à l’appel. En tout début de soirée, Tenacious D démontre, s’il le fallait encore, qu’il n’est pas juste un duo comique
ou groupe déconnant, mais qu’il peut parfaitement écrire des morceaux de rock ou hard rock à l’ancienne et les interpréter avec tout le talent qui le caractérise. Jack Black a le charisme d’un Joe Cocker seventies, la mèche qui colle au front, la voix placée et puissante qui porte au loin. Le public est aux anges et chante en chœur, connaissant les paroles sur le bout des doigts. Kyle Gass est l’oncle déconneur, fort en guitare et en blague, jamais décontenancé par la situation dans laquelle il se trouve. Le show est fun, bariolé et on peut compter sur la présence incongrue d’un Satan gonflable (« The Best Satan of the festival » comme dirait Jack Black) qui dégonflera telle une baudruche en fin de set, provoquant l’hilarité.
C’est le groupe le plus attendu au tournant de cette édition : Pantera. Un retour inespéré qui en a énervé plus d’un (pour rappel, les frères Abbott n’étant plus de ce monde, beaucoup ne trouvaient pas l’entreprise très éthique). Initiée par Phil Anselmo et Rex Brown, cette nouvelle incarnation de Pantera se veut avant tout un hommage aux disparus, qui sont notamment mis en avant avec une diffusion de vieilles images d’archives du groupe. Zakk Wylde et Charlie Benante assurent les places vacantes comme ils peuvent. Phil paraît straight, tout en retenue, il sait que le groupe doit convaincre la foule présente en masse. Et force est de reconnaître que dès les premières notes de « A New Level », « Mouth of War » ou de « I’m Broken », les dernières réticences s’évaporent. Cette musique vit bel et bien et prend aux tripes à coups de décharges électriques. La machine à remonter le temps fonctionne à plein régime et le contrat est parfaitement rempli, tous les cinquantenaires présents bougent comme s’ils avaient de nouveau vingt ans. Pantera referme avec « Cowboys From Hell » et nous permet enfin de reprendre notre souffle après ne pas avoir touché terre pendant une heure.
Exténués, les pieds en compote mais comblés, il est temps de rentrer et conclure. Bien sûr, il a fallu choisir de quoi parler dans ce report, nombre de groupes ont été laissés sur le bas côté comme les Melvins, Puscifer, Slipknot, Greg Puciato, Bongripper, The Hu, etc. On a aussi une pensée émue pour Machine Gun Kelly que l’on aurait pu évoquer à grands coups de superlatifs, mais nous nous sommes abstenus… Le Hellfest referme ses portes doucement, l’édition est encore une fois très réussie, malgré les problèmes et polémiques. Espérons maintenant que les fans soient plus entendus et que ces problèmes se résolvent avant la prochaine édition. Sur ce, nous rentrons en glissant !
Julien Savès
Photos © Les Juliens