GGGOLDDD – This Shame Shoud Not Be Mine

Publié par le 29 mars 2022 dans Chroniques, Incontournables, Notre sélection, Toutes les chroniques

(Artoffact, 1er avril 2022)

Difficile de mesurer l’ampleur de ce disque et d’en saisir sa singularité sans connaitre le contexte qui l’a vu naitre. Invité par le festival Roadburn à proposer un set inédit pour son édition 2021, le groupe néerlandais GGGOLDDD (autrefois plus simplement nommé Gold) s’est attelé à la tâche en plein confinement. Et sa chanteuse Milena Eva a alors enfilé son armure pour partir au combat courageusement. Prête à affronter son passé, ses souvenirs, son traumatisme. Regarder derrière une dernière fois pour enfin aller de l’avant. Exorciser tous ses démons qui la retenaient, lui interdisaient d’avancer.
Milena Eva a ainsi composé de nouveaux morceaux, aux paroles plus explicites qu’elles ne l’avaient jamais été et publié le jour du concert, après maintes tergiversations, une explication de texte, pour introduire la performance (en ligne) à suivre. Elle effectuait alors le « coming out » de son viol subi à la fin de son adolescence, par un jeune homme dont elle était amoureuse et qui avait abusé de sa confiance. La performance qui allait suivre a marqué les esprits, faisant de ce live le plus visionné du festival. Il a constitué la base de ce nouvel album.

Un album qui démarre inévitablement par une ambiance pesante, une menace sourde, bientôt renforcée par l’entrée de la batterie martiale. Ce « I Wish I Was A Wild Thing With a Simple Heart » introductif s’achève par des voix entremêlées, un brouhaha saisissant. Comme un tumulte interne, un combat permanent… C’est évidemment bien peu comparé à ce qui suit. Milena évoque ensuite sa naïveté synonyme de grande vulnérabilité (« I wanted to be loved like everybody else, I wanted to be beautiful »), la séduction avant la trahison (« All the shit you left me with. (…) You call me sunshine, you tore me down »). L’intensité grimpe, le ton se fait plus grave, l’amertume est manifeste et terrible (« Strawberry Supper »).

L’abus de confiance et ses conséquences (« You started with the truth, piece by piece you took it all ») constituent un fil rouge de ce disque suffocant. Si l’acharnement des guitares sur le refrain de « Like Magic » se rapproche le plus des montées épiques aux confins du black metal des albums précédents, le reste du disque s’en démarque très nettement. La souffrance demeure, elle, palpable et la douleur va s’accentuer à mesure que l’album monte en puissance. C’est à partir de « Spring » qu’il prend une ampleur colossale, d’abord via cette basse des plus belliqueuses qui mettra à mal votre installation sonore avant l’explosion ahurissante quasi indus sur le refrain. Décrit comme ça, on pourrait aisément s’imaginer un mastodonte fonçant les yeux fermés, sans le moindre égard pour ce qui l’entoure. Mais derrière la puissance dégagée, la beauté n’est pas négligée. Si The Shame Should Not Be Mine est si addictif, c’est parce qu’il parvient à faire de ce contraste un atout majeur. Non moins démentiel, « Invisible » débarque dans la foulée dans le plus grand des fracas. L’agression est sans équivoque, violente, rude à encaisser. Et pourtant, là encore, au milieu de tout ça, quand nos oreilles sont en charpie, les voilà soudainement cajolées, emmenées à l’abri, lors de couplets d’une grande fragilité, arpèges majestueux à l’appui, bientôt anéantis par le retour des hurlements (de violons électroniques ?) radicaux, excessifs comme autant de cris du cœur, libérateurs. Rugosité des machines et douceur des sonorités organiques s’affrontent sans ménagement dans ce conflit de tous les instants. Parfaites illustrations là encore du marasme mental dans lequel devait se situer la chanteuse/narratrice, partagée entre des sentiments aussi contradictoires que la haine, le rejet total et l’acceptation, pour mieux cesser de se retourner et de ressasser éternellement le pire. L’autre coup de massue semblable (et probablement le plus considérable) se nomme « Notes on How You Trust », morceau absolument dévastateur au son impressionnant. « Notes on How You Trust » se démarque d’emblée et marque davantage à chaque écoute, comme s’il se démultipliait et dévoilait des armes nouvelles à chaque assaut. Car c’est bien d’assauts dont il s’agit. Et l’allégorie de la pochette est évidemment lourde de sens. Pas de place pour les lamentations. Mais si la fonction première de l’armure est évidemment de protéger, elle se révèle également extrêmement douloureuse à porter (Milena Eva confesse d’ailleurs qu’elle lui a laissé plusieurs cicatrices). Dans le clip de « Notes on How You Trust », la chanteuse porte d’ailleurs un énorme sac dont elle finit par se débarrasser, au prix d’un effort titanesque, en le balançant à la flotte… Le message est limpide.

De légèreté, il n’est assurément jamais question ici, toutefois il arrive qu’on nous autorise à souffler. C’est le cas du morceau-titre aux violons railleurs et au beat épileptique ou le sublime « I Won’t Let You Down », éthéré et apaisé, hésitant entre trip hop et post rock glacial, illustrant le soutien de façade dont la chanteuse a « bénéficié » après cette épreuve. Autant de respirations bienvenues et nécessaires.
La grande performance de GGGOLDDD, au-delà du nouvel équilibre évoqué plus haut, souvent au sein même des morceaux, totalement précaire et pourtant si habilement dosé, est d’avoir su gagner en impact en mettant en retrait les guitares au profit des machines, appuyant parfaitement les propos terribles tenus par Milena.

This Shame Shoud Not Be Mine est une œuvre unique et marquante. De par le jusqu’au-boutisme de la démarche et certaines sonorités, elle évoquera parfois le Portishead le plus radical et expérimental qui avait ébloui le monde entier avec Third. La comparaison est facile, terriblement périlleuse et intimidante mais elle saute aux oreilles et le groupe, grand admirateur des Bristoliens, ne s’en cache pas. S’il s’avère bien vain de les comparer, il convient de saluer là la prise de risque de GGGOLDDD qui, avec un album radicalement différent des précédents (lesquels étaient plutôt à ranger dans la case metal et assurément pas trip hop/electro comme ici), parvient à impressionner tout du long et à conserver une grande cohérence tout en préservant son identité. Sans trop se mouiller, on peut donc appeler cela un grand disque.

Jonathan Lopez

GGGOLDDD sera sur la scène de l’Elysée Montmartre (Paris) samedi 2 avril avec Jo Quail et Amenra

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