Fontanelle de Babes in Toyland a 30 ans. Chronique

Publié par le 11 août 2022 dans Chroniques, Incontournables, Toutes les chroniques

(Reprise, 11 août 1992)

Si on aborde la question des groupes exclusivement féminins qui ont marqué les années 90, il semblerait que l’histoire ait surtout retenu L7 et Bikini Kill, les premières pour leurs hymnes hard rock extrêmement accrocheurs et les secondes pour avoir été le fer de lance du mouvement Riot Grrrl. Quant aux musiciennes emblématiques, on vous parlera sans doute spontanément de Courtney Love, Kim Deal ou Kim Gordon et de leurs groupes respectifs. Tout cela à raison, car avant de tourner en rond, de dévier dans l’électro-rock, de devenir une caricature de rockstar pour tabloïd ou de se perdre dans de la musique arty opaque (appliquez ce que vous voulez à celle que vous voulez), elles ont toutes apporté leur pierre à l’édifice de la musique et influencé un paquet de monde. Au milieu de tout cela, Babes in Toyland restera sans doute un groupe anecdotique, un paragraphe dans la biographie de leur meilleure ennemie Courtney* ou dans celle de leur pote de défonce Mark Lanegan. Et si ça, ça n’illustre pas la tristesse du temps qui passe et emporte tout sur son passage, je ne sais pas ce qu’il vous faut.

Car, certes, le groupe n’a sorti que trois disques, et pas tous indispensables. Re-certes, elles n’ont pas eu la carrière la plus mythique, avec notamment une reformation discrète et tardive qui a fini en queue de poisson et en mélodrame. Re-re-certes, leur musique n’est sans doute pas la plus accessible et accrocheuse du lot. On ne jugera pas de l’impact de la drogue et des querelles internes et externes sur la vie du groupe ou sa musique, de même qu’on ne cherchera pas à savoir si on peut avoir pour elles le même capital sympathie que pour des Breeders qui paraissent si simples et accessibles ou des Mudhoney qui présentent l’exemple parfait de relations humaines au sein d’un groupe. On ne s’attardera que sur une pièce à conviction pour dire qu’elles mériteront toujours un minimum de reconnaissance, et comme vous vous en doutez si vous lisez cet article, il s’agit de leur album Fontanelle.

Sorti en 1992, Fontanelle est le deuxième album de Babes in Toyland, et le premier à sortir sur une major. Enregistré à Pachyderm Studios, où seront également enregistrés In Utero ou Foolish de Superchunk, et co-produit par Lee Ranaldo, ce disque est un pas en avant après un premier encore un peu brouillon ; j’aime bien Jack Endino (qui produisait le précédent), mais force est de reconnaître que son travail ne met pas en valeur tous les groupes. Pour autant, il ne s’agit pas d’un virage pop ni même d’un assagissement car comme le constateront tous ceux qui y auront jeté une oreille, Fontanelle est on ne peut plus abrasif et féroce. Cependant, la production est soignée pour être la plus percutante possible, et cela est appuyé par un niveau de composition qui a lui aussi franchi un cap. De là à dire qu’il s’agit du chef-d’œuvre du groupe, il n’y a qu’un pas que je franchis allègrement. J’irais jusqu’à dire que c’est un des chefs-d’œuvre de son époque dans son style, si je parvenais à mettre une étiquette dessus (noise-punk-rock, sans doute).

Tout s’ouvre sur un riff martial qui s’enchaîne avec un cri plein de rage : le ton est donné. Le titre d’ouverture de nomme « Bruise Violet », a la réputation officieuse mais démentie officiellement de parler de Courtney Love, et est la première claque monumentale offerte par Fontanelle. Mais Kat Bjelland, chanteuse, guitariste et compositrice principale du groupe, appuyée par une section rythmique sans faille, enchaîne avec quatre autres bombes, toutes violentes, punk en diable, parfois déjantées, dans lesquelles on sent malgré tout poindre une certaine sensibilité. De quoi démontrer à tout le monde comment bien démarrer un album.

L’ambiance se calme ensuite avec un « Magick Flute » anecdotique chanté par la batteuse Lori Barbero, mais reprend de plus belle avec la dynamique calme/énervée de « Won’t Tell », nouvelle réussite. L’instrumentale « Quiet Room » nous amène vers la deuxième moitié de l’album qui se fait encore plus éprouvante mais toujours jouissive pour peu qu’on aime se faire malmener, avec pour point d’orgue un « Jungle Train » au rythme écrasant.

Le tout finit avec « Gone », ballade désabusée rythmée par bris de verre et cris de souffrance, ou l’art de calmer le jeu sans relâcher la tension. L’auditeur amateur de ce type de musique qui agresse et caresse à la fois terminera l’écoute de Fontanelle sur les rotules mais heureux. Les autres seront certainement partis en cours de route. Tant pis pour eux.

Blackcondorguy

*Cela peut paraître un peu facile et réducteur de citer systématiquement Hole lorsque l’on parle de Babes in Toyland, mais il est difficile de ne pas y penser lorsqu’on connaît la musique des deux groupes. Pretty on the Inside, le premier album des Californiens, ressemble tellement à du Babes in Toyland qu’on ne peut savoir s’il s’agit de l’expression d’influences communes (Bjelland et Love ayant fait de la musique ensemble avant d’être connues) ou d’une influence plus ou moins consciente.

Cette chronique est parue initialement dans notre fanzine #2, que vous pouvez encore nous commander, si vous êtes passés à côté de cet objet indispensable.

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