EZ3kiel – La mémoire du feu

Publié par le 25 janvier 2022 dans Chroniques, Notre sélection, Toutes les chroniques

(Virgin Records/KIKA, 7 janvier 2022)

Rares sont ceux qui peuvent se targuer d’une discographie si foisonnante, capables de prendre de court toutes les attentes presque systématiquement, de se laisser guider par ses idées qui surgissent et idéaux qui persistent, plutôt que de suivre les signaux du moment et satisfaire les convenances. EZ3kiel fait ce qui lui plait, qu’importe si ça plait moins. Les fidèles chaque fois décontenancés finiront souvent récompensés, avec quelques merveilles à la clé. Tout le monde ne peut nécessairement adorer l’ensemble de l’œuvre d’EZ3kiel et La mémoire du feu est peut-être celui qui divisera le plus car cette fois, ce ne sont pas seulement leurs inspirations du moment qui surprendront, mais également ceux qui participent à la fête, à qui on a tendu un micro si souvent resté muet par le passé. Cette fois, le micro est roi, le récit ne fait qu’un avec la musique, cette musique qui se suffisait à elle-même par le passé. Toutefois, passées les réticences légitimes, il convient de se remémorer qu’EZ3kiel a toujours excellé dans l’art de conter des histoires, de tisser des atmosphères riches et variées. Simplement, il n’avait nul besoin de mots pour cela. Ou en usait avec une extrême parcimonie. On n’a certainement pas oublié les participations toujours très marquantes de Sir Jean au timbre inimitable.

La mémoire du feu est donc autant une œuvre littéraire que musicale et il est difficile de séparer les deux. Aux côtés des deux piliers d’EZ3kiel, Johann Guillon et Stéphane Babiaud, Nicolas Puaux (Narrow Terence, Narco Terror), la plume de l’auteur de polars très noirs, Caryl Ferey, dont les textes sont contés par la voix grave de Benjamin Nerot évoquant plus souvent qu’à son tour Gainsbourg dans ses récits éloquents à la diction distinguée et Jessica Martin-Maresco, qui fait office de sérieux contrepoint avec un chant des plus affirmés (nous y reviendrons).

Le captivant “Diaphane” nous présente Diane (campée par Jessica Martin-Maresco) qui va bientôt trouver l’amour en son quasi alter ego/jumeau Duane (incarné par Benamin Nerot). C’est ce que nous conte l’actrice Olivia Nicosia dans le morceau/chapitre suivant, elle qui narre en spoken words les tensions intérieures des deux amants. On a ici le sentiment d’assister à une séance de lecture (“Les amants d’antan” sur des sonorités électroniques somme toute assez rudimentaires) mais on se laisse prendre au jeu et écoute avec attention et intérêt.

Les voix se retirent ensuite sur l’instrumental “L’absolu” qui semble renfermer bien des secrets. La musique séduit l’oreille, les montées en température se succèdent et saisissent l’auditeur à la merci d’un rebondissement imminent. Au gré du récit, les deux tourtereaux vivront maintes aventures mouvementées jusqu’à une issue tragique. C’est ce qui fait la force de ce disque (et a bien souvent illustré la maîtrise du groupe), les incessants revirements. La vie d’EZ3kiel n’a jamais été un long fleuve tranquille et ce nouvel album ne déroge pas à la règle.

La où le bât pourrait blesser mais se contente de heurter, c’est lorsque La mémoire du feu s’autorise le grand saut vers le format chanson (tant redouté, il faut bien le dire et finalement passé sans trop d’encombres). On se laisse ainsi séduire par “Les galions oubliés” joliment chanté par Jessica Martin-Maresco mais on goûte moins “Les bras des torrents” où ses envolées audacieuses flirtent sans retenue aucune avec les aigus et peuvent irriter quelques esgourdes sensibles à de tels éclats.

Plus loin, les ennuis arrivent, les instruments s’emballent et tout s’embrase alors. L’explosif “Serpent corail” qui a l’odeur du soufre et des tourments voit s’affronter dub et musique électronique tandis que l’escarpé “Rouge sang” nous entraine également en terrain conquis, à mi-chemin entre une electro froide et agressive et un post rock aérien.

Après cela, le déluge. Et “La chute infinie du vide”. Quand tout fout le camp, que “Diane ne voit plus rien”, si ce n’est des décombres. Les hurlements déchirants de “La mémoire du feu” indiquent une sortie douloureuse. Et c’est sur un baiser rouge sang que la flamme unissant Diane et Duane va s’animer à nouveau.

Le terme concept album si souvent galvaudée est ici indéniablement justifié. La mémoire du feu est une œuvre remarquablement pensée qui déboussolera certains, à n’en point douter, peu enclins à entendre des histoires là où ils se seraient contentés de notes. Ils auront tort. EZ3kiel, sans atteindre ses sommets passés et malgré quelques chapitres moins passionnants, relève un nouveau défi, évite certaines embûches bien périlleuses, et fait preuve d’une ambition intacte. Cela fait bien longtemps que les poseurs d’étiquettes ont lâché l’affaire. Après la musique électronique, le dub, le trip hop, le post rock, la noise, les berceuses, la musique classique, ils peuvent inscrire la chanson à leurs qualifications. On a déjà hâte de savoir ce qu’ils vont bien pouvoir trouver pour se réinventer la prochaine fois.

Jonathan Lopez

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