Come – Eleven : Eleven
Les années 90 ont leur lot de groupes mythiques, de destins tragiques… et de grands groupes restés dans l’ombre. Come est de ceux-là.
En 1992, le quatuor de Boston sort son premier disque, petit bijou de noirceur, dans un relatif anonymat. Et pourtant… Pourtant, dès les premières notes de « Submerge », nous voilà happés par ce disque, sombre au possible, qui ne desserre jamais l’étreinte.
Maintenant que vous êtes au parfum, Eleven:Eleven est un disque qui va faire de votre vie un enfer, développant très vite une grandissante obsession. Come déploie un blues rêche, animé par des guitares tendues et le chant habité, profondément sincère, de Thalia Zedek.
Le jeu toujours très juste d’Arthur Johnson à la batterie souligne parfaitement les instants d’accalmie en eaux marécageuses. « Just relax, just relax » insiste Thalia sur le refrain qui hausse le ton, mais le couperet n’est jamais loin. Le couperet c’est parfois un bon gros riff bien lourd comme celui qui ouvre « Dead Molly » avant de sortir de sa botte un pont anesthésié (on pense aux Pixies quand ils bluffent). Et d’envoyer tout cela valser gaiement (on pense aux Pixies quand ils envoient tout valser). On cite les Pixies mais Come partage finalement peu de points commun avec le groupe légendaire, si ce n’est sa provenance de Boston et un goût pour l’indie rock dissonant. Pour le reste, il faut plutôt creuser du côté de groupes moins pop, plus mélancoliques.
Mais s’il est vrai que Come évoque de ci de là quelques groupes qui lui sont contemporains (ajoutons Screaming Trees ou Mad Season dont l’unique – magistral – album est toutefois sorti après), et satisfait ainsi notre besoin de filer des points de repère aux badauds qui passeraient par là innocemment, le groupe réussit finalement la prouesse de se démarquer en imposant un son qui n’appartient qu’à lui. Grâce notamment à la présence de tous les instants de Zedek, entre rage à peine contenue et fragilité désarmante, incarnant à merveille l’univers tourmenté de Come.
Mais Zedek sait aussi s’effacer pour laisser les guitares faire la conversation. Comme lorsque la sienne et celle de Chris Brokaw (également batteur au sein de Codeine, groupe slowcore non moins indispensable) dialoguent à propos des ténèbres dans une intro instrumentale de 3 minutes avant de mettre les voiles en territoire grungy (« Off To One Side »). On frise l’excellence une fois de plus mais difficile cependant de sortir un morceau plutôt qu’un autre tant l’album cumule avec indécence les titres essentiels (ajoutons aux précédents la lente déchéance implacable de « Brand New Vein », « Orbit » et son refrain vénéneux ou encore la bombe à fragmentation « William »). L’album fait l’effet d’un bloc très compact, cohérent qui embarque l’auditeur dans un récit diaboliquement addictif. D’abord difficile à encaisser mais surtout dur à oublier.
Les grands musiciens ont souvent plutôt bon goût et de savoir ce groupe adoubé par des bonhommes comme J Mascis, Bob Mould ou Kurt Cobain en dit long. Il n’y a pas de hasard en ce bas monde. A l’occasion des 20 ans de ce disque, une bien belle réédition avait vu le jour avec deux titres bonus (dont une reprise poisseuse et inspirée du « I Got The Blues » des Stones) et un enregistrement live. On n’ira pas jusqu’à dire que vous vous devez de la posséder… Oh, et puis si on va le dire.
JL