Mad Season – Above (Columbia)

Publié par le 5 avril 2013 dans Chroniques, Incontournables, Toutes les chroniques

1-Mad-SeasonLes “supergroupes” donnent souvent lieu à de légitimes déceptions. Un line-up qui fait saliver pour, généralement, un résultat inférieur à ce que chacun parvient à produire dans son groupe respectif. Difficile de trouver une osmose et de laisser s’exprimer le talent de chacun. Pour qu’un groupe fonctionne, il faut une cohésion d’ensemble, une histoire commune. Le genre de choses qui s’obtiennent avec du temps.

Cette cohésion, elle a peut-être été acquise au centre de désintoxication de Minneapolis, au cours de l’été 1994. Là où le guitariste de Pearl Jam Mike McCready se trouvait pour vaincre ses problèmes d’alcool et où il a rencontré le bassiste John Baker Saunders (du groupe The Walkabouts). Ensemble ils se sont promis de faire un album une fois sortis de là.

Le batteur sera Barrett Martin des Screaming Trees et le chanteur Layne Staley, d’Alice In Chains. Ce dernier ne parvient pas à se dépêtrer de son addiction à l’héroïne, vit des heures difficiles et McCready se dit que ce side project lui changera les idées. À défaut de résoudre les problèmes de drogue de Staley, il aura en tout cas eu le mérite de former ce quatuor le temps d’un album qui va marquer l’histoire de la scène de Seattle.

Nous sommes en 1995 et cette scène-là est à l’agonie. De cette période, on retiendra autant d’albums mythiques que de destins tragiques. Le dernier en date est un tournant. L’étendard principal du grunge s’est foutu en l’air et avec lui une bonne dose d’innocence s’est envolée. L’héroïne est partie intégrante de cette scène et il ne fait aucun doute qu’elle finira par la consumer.

Mais avant cela, avant qu’on ne parle définitivement du grunge au passé (un nom qu’aucun des acteurs majeurs n’a jamais revendiqué d’ailleurs, Cobain arborant régulièrement le t-shirt « Grunge is Dead »), cet « all-star band » a bien envie de démontrer que tout n’est pas fini.

Le titre d’ouverture “Wake Up”, est en tout point sublime. Le duo basse-guitare est d’une rare finesse, la batterie discrète de Martin accompagne gentiment l’ensemble. Et dès les premiers mots de Staley, les poils s’hérissent « Wake up young man, it’s time to wake up ». Sa voix est inimitable, sa souffrance palpable et quand il élève le ton on ne peut qu’être transporté. À mi-morceau le solo électrisé de McCready vient enfoncer le clou. Un morceau de légende, déjà.

L’album sera catalogué grunge de par les membres qui le composent mais il serait plus juste de parler d’un mélange entre blues, classic rock et… grunge, oui aussi forcément.

Des titres comme “Lifeless dead” ou “I Don’t Know Anything” viennent le rappeler. La rage n’a pas été mise de côté, elle fait simplement partie d’un tout et s’exprime à dose homéopathique. Sur ces titres, la foudre parle, elle sort tout droit de la guitare de McCready qui nous pond des riffs monumentaux. Celui de “I Don’t Know Anything” a d’ailleurs été honteusement pompé par Silverchair, bien des années plus tard avec le titre “Slave”. Sans mention ni rien, tranquille les mecs.

“Artificial Red”, remarquable ballade bluesy enfumée, semble se dérouler au ralenti. Quand le tempo s’accélère après le feu vert de Martin, Staley hausse le ton avant d’atterrir en douceur avec des “Wouhouuu” relayés par McCready à la gratte comme un écho. Dieu qu’ils sont forts !

Les excellents “I’m Above” (avec Mark Lanegan) et “X-Ray Mind” s’ajoutent au menu des réjouissances mais ce n’est rien à côté des chefs-d’œuvre absolus que sont “River Of Deceit” et “Long Gone Day”, deux pièces monumentales qui mériteraient chacune une statue (une statue pour une chanson, parfaitement). Car ces morceaux-là touchent au génie. Les superlatifs me manquent pour les qualifier.

Une suite de notes cristallines introduisent “River Of Deceit” et on comprend d’emblée que ça va être grand. Le morceau est empreint de mélancolie, mais inexplicablement il procure chez nous un bonheur intense. Car c’est beau, beau à en tomber raide. Après avoir entendu ça, la voix de Layne résonnera longtemps dans votre esprit et vous ne pourrez que vous résoudre à admettre l’évidence même : ce gars-là avait une des plus belles voix de l’histoire du rock. Une voix capable de transmettre un paquet d’émotions. Et une classe sans nom. Au lieu de nous faire chier à reprendre des tubes de supermarché, les apprentis chanteurs qui défilent sur les plateaux télé devraient essayer ça tiens. Et voir s’ils sont capables de nous mettre autant les poils au garde-à-vous que Mr Layne Staley. Bon courage à eux !

Autre merveille : “Long Gone Day”. On y retrouve une autre grande voix de Seattle, Mark Lanegan (un rescapé qui sort encore de grands disques). Le coup des deux voix, Staley avait l’habitude de le faire avec Jerry Cantrell au sein d’Alice In Chains. Le duo faisait des étincelles. Incomparable.

Ici il s’associe donc avec Lanegan et le résultat est de nouveau somptueux. Donc finalement pas besoin de chercher bien loin, mettez deux grands chanteurs ensemble et s’ils s’appliquent vous aurez un grand morceau (Vedder et Cornell l’avaient prouvé déjà sur Temple Of The Dog). Le groupe se permet un détour par le jazz et nous cloue sur place. On n’en croit pas nos oreilles. Les quatre compères s’éloignent, une fois de plus, de leurs territoires habituels et font preuve d’une aisance déconcertante. Des génies, rien de moins.

Le morceau “November Hotel”, entièrement instrumental, vient en remettre une couche. On a l’impression d’assister à un jam improvisé par le trio d’enfer McCready/Saunders/Martin. Un petit bœuf du tonnerre auquel on assisterait depuis les premières loges. Et bien merci, on n’en demandait pas tant.

La conclusion est apportée par un “All Alone” contemplatif, quasi instrumental là encore, où Staley se contente de chanter “we’re all alone“. On en pleurerait. Car cette solitude dont il parle, ce n’est pas juste pour faire bien, là comme ça le temps d’un morceau. Cette solitude a fini par avoir sa peau. Seul face à ses démons, seul face à l’addiction. Un destin qui semblait inéluctable. Un destin qui s’achèvera après la dose de trop le 5 avril 2002, huit ans jour pour jour après Cobain, deux ans et demi après John Baker Saunders, le bassiste de cet album d’anthologie, lui aussi vaincu par l’héroïne. Autant de grands disques que de destins tragiques, disais-je.

Mais on ne s’arrêtera pas sur cette triste note. Non on va s’arrêter sur une super nouvelle. Car vous savez quoi ? Cet album merveilleux, composé en à peine une semaine (chose à peine croyable) vient tout juste d’être réédité. Et si je vous dis qu’on lui a rajouté trois titres inédits chantés par Lanegan, dont le fantastique “Slip Away”, et l’exceptionnel live at the Moore en cd et dvd ? Vous vous dites que je me fous de vous ou que je bosse à la Fnac ? Pas du tout. Moi je suis juste là pour rendre service, tel un dévoué serviteur dédié à rendre hommage au meilleur de la musique. Maintenant vous savez ce qu’il vous reste à faire. De rien.

Jonathan Lopez

Regardez le clip de “River Of Deceit”

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