Duke Garwood – Rogues Gospel
En 1937, l’entreprise allemande Beyerdynamic commercialise le premier casque audio dynamique. Merci à elle. Depuis, il en existe des petits, des gros, des beaux, des moches, des filaires, des Bluetooth, des pourris, des fantastiques. En tout cas, grâce à eux, notre écoute a changé. Au-delà du côté pratique, les casques permettent parfois de redécouvrir des disques, de s’y imprégner totalement. Ça peut paraître cliché, c’est toujours on ne peut plus vrai. Vous en possédez certainement déjà un, sinon procurez-vous en un, en même temps que ce disque.
Pourquoi acheter cet album d’un gars qui vous dit vaguement quelque chose et dont la pochette est une ignominie ? Parce que Duke Garwood est un artiste tellement non conventionnel qu’il en est passionnant. Vous avez probablement vu son nom passer lorsqu’il a sorti un premier album, Black Pudding, avec Mark Lanegan (il y en eut un second ensuite, du même acabit voire meilleur, selon les sources*). Mais avant cela, il avait déjà publié quatre albums sous son propre nom et depuis, il en a sorti quatre de plus. Garwood trace sa route, qu’on veuille le suivre ou non, sa démarche reste inchangée. Il se fout pas mal de ce que vous pensez de lui.
Son Rogues Gospel est un fin roublard. Il vous snobe de prime abord, ne fait rien pour vous appâter, ne s’encombre pas d’un refrain qui vous trottera dans la tête toute la journée. Il erre, et nous embarque. Ou pas. Il y a bien la basse imposante de « Maharaja Blues » accompagnant la complainte du Duke, qui nous fait de l’œil. Le groove paresseux de « Neon Rain is Falling », refusant de décoller davantage alors qu’il en a tout à fait les moyens, préférant s’enferrer dans une boucle permanente et mettre en lumière le jeu de batterie subtil (une constante et un des atouts majeurs de cet album). Mais ses attraits demeurent limités.
Rogues Gospel vous donnera le sentiment un rien désobligeant qu’il a bien peu à vous offrir, il attend en fait que l’on se secoue un peu, qu’on y mette du sien, qu’on aille le chercher en portant notamment une attention particulière aux détails. Pas pour voir si le diable s’y cache mais bien pour y déceler cette magie qu’il dégage. A l’écart de toute agitation. Lui et vous. Vous et lui. Du casque aux oreilles. Des oreilles au cœur. Tôt le matin, tard le soir, tronche en biais, regard dans le brouillard.
Ce guitariste volontiers virtuose marche à l’économie, n’exhibe qu’avec parcimonie son savoir-faire et ses six cordes vagabondent en même temps que notre esprit. Sa voix est belle, à défaut d’être unique, elle n’en fait jamais des caisses. Elle remplit simplement son office, comme un instrument au milieu des autres. Et malgré cette impression tenace que les évènements ne se bousculent guère, qu’on évolue sur un faux-rythme lancinant, c’est bien cet état de semi-léthargie (l’étrange et bringuebalant « Return to Splendour »), errant presque ailleurs, se laissant porter, qui nous permet d’être saisi par cette aura quasi mystique et d’apprécier davantage l’effet produit par les subtilités jaillissant d’un peu partout. Par apparitions succinctes et petites touches successives. Tout est fait avec subtilité, aucune extravagance, l’élégance comme maître mot.
Le jazz n’est jamais loin (« Whispering Truckers », « Love Comet ») mais il ne se rapproche heureusement pas trop près non plus, il demeure fuyant et insaisissable. Duke Garwood ne craint pas de prendre le temps, de l’étirer à l’envi, de tourner le dos aux conventions. Son nouvel album fleure bon la liberté, l’audace, et l’espace. Une fois apprivoisé, ce disque aride a tout pour devenir un compagnon de route fidèle dont chaque écoute semblera chaque fois un peu différente, comme s’il avait toujours plus à offrir.
Jonathan Lopez
*On vous en parle en détail dans notre mook à venir sur Mark Lanegan où vous retrouverez également une longue interview de Garwood évoquant avec émotion son ancien acolyte et ami.