Don Caballero (discographie)
Un instant, je vous prie. J’essaie de reconnecter mon cerveau à 1993. Voilà, ça devrait être à peu près bon, merci. 1993. Ça me revient par fragments. En 1993, des groupes comme Don Caballero, ça n’existe pas. La musique instrumentale, dans le rock, se résume au sempiternel prog verbeux qui contamina les années 1970, soit des vieux hippies sur le retour qui se tripotent le manche, les yeux fermés, tout en se mordillant les babines des heures durant. Dans le noise rock pur et dur, personne n’a encore eu la brillante idée de se passer de ce qui reste finalement assez inutile : les paroles minables d’un non-musicien qui aimerait tant se faire passer pour un poète-rebelle incompris. De là à affirmer que Don Cab a instantanément inventé un genre appelé math-rock instrumental, il n’y a qu’un pas. Avant de le franchir, souvenons-nous que les genres et les sous-sous-genres, en 1993, on s’en tapait royalement. Pour simplifier le tableau, il y avait la noise supérieure et de qualité suprême d’un côté, et les sous-musiques de merde de l’autre. Voilà comment m’avait été présentée la bête par un italien qui tenait la basse dans X-Rated-X, un duo sous haute influence Big Black qui sévissait dans ce qui était alors ma ville de Montpellier : “Un groupe noise de chez Touch & Go, mais sans chanteur. Toi qui aimes Tar et The Jesus Lizard, tu devrais adorer, stronzo !” J’avais foncé. Ce guignol d’Alessandro avait vu juste : j’avais adoré. L’album que j’avais immédiatement acheté chez un disquaire local arborait une pochette rouge magnifique. Sur celle-ci, un doberman aux grosses papattes trônait devant une chaise roulante. Sous le nom du groupe, on pouvait lire :
For Respect
(Touch And Go, 1993)
La chaise roulante, le nom du groupe, le titre de l’album : tout s’explique sur le sample que l’on entend sur Got A Mile, Got A Mile, Got An Inch. Il est tiré d’une obscure émission télé des années 70, Second City Television. Le personnage principal du show s’appelle Guy Caballero. Dans l’un des épisodes, il devient “Don”, un mafieux – certainement ce qui avait plu d’emblée à ce gros con d’Alessandro. On lui demande, pas au gros con d’Alessandro mais à Caballero : “I thought you rode a wheelchair?” et Guy de répondre : “Oh… I only use that for respect!“. L’autre chose que l’on peut discerner sur ce morceau, c’est un groupe qui joue dur, fort, vite et avec une précision affolante. La structure est complexe, le batteur en met partout, le tempo tombe sans prévenir et une fois le sample terminé, on se retrouve avec un groove chaud bouillant. Puis avec un blanc suivi d’une mesure asymétrique. Si tu comptes pas, t’es largué. Si tu essaies de compter, tu es tout aussi largué. Les bases sont posées. Don Caballero ne sera pas facile d’accès pour les non-pratiquants, certes, mais la récompense, c’est qu’une fois les tympans dépucelés, sa musique procurera quelques petits plaisirs insoupçonnés – je ne plaisante qu’à moitié : par deux fois je me suis retrouvé complètement transporté lors de leurs concerts (septembre 1999 / juillet 2000, les deux au Bottom Of The Hill de San Francisco ; on en reparlera plus loin si vous vous tenez correctement), et je n’étais sous l’influence d’aucune substance facilitant ce qui pouvait s’apparenter à un état transcendantal.
De mémoire, je dirais que les seules voix que l’on entend sur For Respect sont celles de ce sample. Peut-être qu’on peut également percevoir les musiciens qui hurlent parfois de bonheur, en fin fond de mix ? Tout le reste est parfaitement muet. Parfaitement parfait. Il laisse coi. Pour les auditeurs qui comme moi ne touchaient pas (encore) au jazz, au prog-rock, à la musique classique ou bien aux quelques vieux groupes innommables de surf music, entendre une musique entièrement instrumentale était alors totalement inédit. La première constatation avait été qu’effectivement, les élucubrations d’un prétendu demeuré se démenant micro au poing ne manquaient point, et que surtout les embardées de ce quartette fougueux en provenance de Pittsburgh, Pennsylvanie, occupaient parfaitement l’espace. Elles se suffisaient. Ça giclait de toutes parts. Les riffs étaient gras et épais, comme sur cette première partie de “Nicked And Liqued” destinée à martyriser les cervicales. La section rythmique taillait dans le lard tout en tendant quelques pièges faits de syncopes et de contretemps. Indéniablement, c’était la guitare de Mike Banfield qui guidait ici le pas, imprimait la cadence et intégrait de véritables mélodies, faisant de For Respect un album très différent de ceux qui suivront dans la disco de Don Cab. À la fois le plus musclé et le plus facile d’accès. Deux phrases plus haut, j’aurais dû écrire “les deux guitares”, puisque Ian Williams joue(rait?) sur ce disque, même s’il n’avait pas encore développé son style si personnel. Il n’avait rejoint Don Cab que peu de temps avant l’enregistrement de For Respect et n’avait par là-même pas participé à l’écriture de ces onze titres intenables. À ce propos, tout ce qui est indiqué au verso de la pochette du LP, c’est que l’album a été enregistré à Chicago, dans l’Illinois, en janvier 1993. Un certain Steve étant mentionné dans les Thanks, vous en déduirez ce que vous voudrez.
Peu de temps après la sortie de For Respect, le bassiste Pat Morris quitte le navire pour fonder, avec Shannon Burns et Baxter de Blunderbuss, Six Horse, le troisième meilleur groupe noise dont vous n’avez jamais entendu parler, juste derrière Table et Craw. Les bassistes se suivent alors. Don Cab se remet à composer, change de son, chamboule tout, se stabilise avec Matt Jencik à la basse, et deux ans plus tard surprend son monde avec…
Don Caballero 2
(Touch And Go, 1995)
Cette fois-ci, je convie mon cerveau à bien vouloir se connecter à 1995. Je suis de visite à Bordeaux (possiblement pour aller voir Unsane au Jimmy’s ?), et passe mon après-midi au magasin Black & Noir. Je demande au gentil disquaire si l’on peut écouter l’album qui vient de sortir et que j’ai déjà fermement l’intention d’acheter. Celui avec les cheminées fumantes, là ! Petit choc. Incompréhension aussi. Je me souviens de l’avoir trouvé, à chaud, rude d’accès, déroutant, beaucoup plus expérimental et complexe que For Respect. Évidemment, un disque de Don Cab ne se digère pas exactement en une seule écoute (ni deux, ni quatre), mais celui-ci m’avait semblé hermétique et décousu. Trop intello, en fait.
De retour à la maison, il avait fallu insister. Car même si certains riffs – ceux de Mike Banfield – pouvaient encore rapprocher Don Cab 2 de For Respect et servir de repères, Don Cab avait quelque peu modifié la donne en proposant une musique encore plus foisonnante, aux sonorités parfois à la limite de l’indus ou au contraire d’une douceur effarante. Des crissements s’opposaient directement aux harmonies. Mon chien, qui ne réagit négativement à la musique que lorsque j’écoute du free jazz*, vient d’aboyer sans raison apparente au beau milieu de “Please Tokio, Please THIS IS TOKIO”. Aujourd’hui encore, plus de 25 ans après, j’ai l’impression de n’avoir entendu certains de ces sons nulle part ailleurs que sur Don Caballero 2. Deux raisons à cette évolution vers une musique encore plus extrême et d’une originalité déconcertante : Ian Williams, guitare sous le menton, avait imposé son jeu, son son incomparable, ses phrasés complètement dingues qu’il mettait en boucle, et puis surtout, Damon Che, batteur tentaculaire, avait pris les choses en mains. Huit mains, au moins. Pour autant de pieds. À l’écoute d’un morceau comme “Repeat Defender”, il est clair que jouer un tel plan de batterie avec seulement quatre membres toucherait à l’impossible. Au-delà de la performance physique, c’est la structure des morceaux qui intrigue, cet enchevêtrement improbable et totalement imprévisible qui fait explorer de nouveaux territoires. Malgré ce que l’on pourrait imaginer – ils font absolument n’importe quoi en fait, non ? et retombent sur leurs pattes avec beaucoup, mais alors beaucoup de chatte ? – , rien n’est ici improvisé. Tout est pensé, calculé, millimétré, la prouesse étant de rejouer ces compos en gardant le feeling et en maintenant les potards de l’énergie, de la spontanéité et de la puissance dans le rouge. Je n’ose à peine imaginer à quoi devaient ressembler les répétitions de Don Cab en 1995, ou compter les heures passées à mettre en place un plan complètement tordu ou un enchaînement hautement casse-gueule que douze personnes tout au plus remarqueraient. Peu importe, les mecs ont pris un plaisir fou à enregistrer ces 8 titres démentiels (équitablement répartis sur les quatre face d’un double LP), et cette fois-ci ça n’avait pas été un binoclard chicagoan qui avait placé les micros en studio, mais un dénommé Al Sutton – sur lequel, sans tricher, je ne sais absolument rien. Si vous voulez tricher pour moi, ne vous privez surtout pas.
À noter enfin qu’il est fortement déconseillé d’écouter Don Caballero 2 volume à burnes, les mains sur le volant, les risques de manquer chaque virage étant extrêmement élevés, même sur une ligne droite.
Peu de temps après la sortie de Don Caballero 2, ce quartette de pionniers ébouriffés avait fait une petite pause de deux ans. Pat Morris avait réintégré son poste de bassiste (lors de sa courte vie, Six Horse n’avait eu le temps de publier qu’un seul album, le grandiose Fine Business, Excellent ainsi qu’un single sur Three Little Girls Recordings que je vous souhaite de tout cœur de trouver un jour), remplaçant Matt Jencik, de Hurl, qui n’était resté que le temps d’un album ; mais quel album ! Dans l’ordre logique des choses, Don Cab s’apprêtait donc maintenant à sortir son…
Don Caballero 3
Et bien non. Il n’y a ni logique ni ordre des choses chez Don Cab. Don Caballero 3, c’est le titre du premier morceau épique de l’album, une compo qui contient environ dix fois plus d’idées que tout ce que l’on a écouté, vous et moi confondus, la semaine passée. L’album, lui, s’intitule…
What Burns Never Returns
(Touch And Go, 1998)
Très tôt, Don Cab avait remarqué que lorsque l’on était un groupe instrumental, on pouvait se permettre à peu près tout et n’importe quoi avec les titres de ses compos (“No One Gives A Hoot About FAUX-ASS Non-Sense” remportant la palme). C’est véritablement à partir d’ici, cependant, qu’ils se sont amusés à balancer des titres non seulement absurdes mais également à rallonge. Une mode était lancée. “In the Absence of Strong Evidence to the Contrary, One May Step Out of the Way of the Charging Bull”. “Delivering The Groceries At 138 Beats Per Minute”. Pas idéal lorsqu’il s’agit de griffonner le nom des morceaux sur un bout de papier avant un concert, je le concède, mais ça fait toujours pouffer les gros nerds que nous sommes tous.
C’est vrai qu’il est ludique ce nouveau double album qui contient une fois de plus 2 titres par face. Optimiste, joyeux et nettement plus facile à ingurgiter d’une traite que le précédent. C’est peut-être à cette période-là aussi que Don Cab commence à se faire traiter de post-rock, car des beaux passages tels que “The World In Perforated Lines” ou “June Is Finally Here” reposent sur des lignes de basse solides, faciles à suivre, pendant que les guitares éclairent le paysage alors que Damon Che (surnommé Octopus jusque sur l’insert de cet album) semble un peu moins abuser de ses tentacules. Définitivement le genre de disque que l’on peut conseiller aux novices qui se demanderaient par quel bout attraper ce bestiau en premier. Sur “Room Temperature Suite”, on pourrait presque envisager de faire la vaisselle en toute quiétude, sans avoir peur de péter tous les verres et de se couper un tendon, et ce malgré le changement de fusil d’épaule absolument génial en plein milieu du morceau, avec ce plan au groove suave qui débarque de nulle part avant de vite se métamorphoser en une partie qui va à rebrousse poil. La musique est certes plus calme et moins intransigeante, mais les prises de risques sont tout aussi grandes que sur le 2. Quant aux sons trouvés par les deux guitaristes (surtout Ian Williams), là aussi, avant de les découvrir, vaudrait mieux ne jamais avoir touché à une six-cordes sous peine de se sentir humilié et traumatisé pour l’éternité.
Puisqu’il était dit que le lineup de Don Cab ne serait jamais le même d’un album à l’autre, un an après la sortie de What Burns Never Returns, Pat Morris et Mike Banfield jettent l’éponge. Le grand dadet sur son tabouret serait-il si difficile à supporter ? Toutes les rumeurs à son égard sont justifiées : Damon Che est un coNNard de première, imbu de sa personne et doté d’un humour glacial qui donnerait envie de lui coller des pains dans la tronche à longueur de journée si ses paluches ne faisaient pas le triple des miennes. Chaque fois que j’ai vu ce géant jouer, j’ai eu l’impression que sa batterie était un instrument pour enfant. Il parait mal à l’aise, également, sur son tabouret miniature, chaque élément semblant être placé au mauvais endroit, le forçant à former des angles improbables avec ses poignets. Il faut bien reconnaître, pourtant, qu’au fur et à mesure que la flaque de sueur grandit sous son caleçon, on prend un pied pas possible à le voir frapper toms et cymbales, pendant que les siens usent et abusent de la double-pédale. Un monstre. Définitivement le batteur le plus impressionnant que j’aie jamais vu jouer avec Will Scharf (Keelhaul), Christian Vander (Magma) et Andrew Gormley (Rorschach, Kiss it Goodbye, Today is the Day…). Bon, ok, et Dale Crover (Melvins) aussi, même si dans un style radicalement différent.
[Je vous propose de faire ici une petite pause fraîcheur. Allez fumer une clope, pisser un coup, boire un verre, écouter un album de Don Cab en entier. Peu importe lequel]
C’est reparti. On remonte les pendules ? Ok. Direction 1999. Mes souvenirs ne sont plus en France mais en Californie. Je crois bien atterrir à San Francisco le 2 octobre. Une semaine plus tard, le premier concert que je vois est Don Cab au Bottom Of The Hill, la salle qui sera celle où je mettrai le plus souvent les pieds lors des 7 années à venir. Je suis quasiment certain que The Fucking Champs (qui s’appellent encore The Champs, tout court) font la première partie (une tuerie !) et à ma grande surprise, Don Cab débarque sur scène en formation à trois. Le reste, c’est ce que je décris plus haut : une flaque de sueur qui grandit, grandit sous le Che, les pulsations cardiaques qui montent, qui montent, un Ian williams qui enchaîne des plans plus fous les uns que les autres, avec sa guitare placée sous le menton, ses pédales d’effets qu’il enclenche simultanément, les boucles qu’il crée pour combler le départ de Banfield, et puis un nouveau bassiste : Eric Emm. Je ne le sais pas encore, mais Emm a déjà joué avec Ian Williams dans Storm & Stress, le groupe idéal à écouter avec sa dulcinée si l’on souhaite se faire larguer. Quel concert, bordel. Quelle furie ! Avant de partir, j’achète à la table de merch un magnifique t-shirt gris qui rétrécira à vitesse grand V. À moins que ce ne soit ma nouvelle bouffe de choix, les burritos, qui me donne cette impression ?
Je ne sais pas si les nouvelles compos avaient déjà été enregistrées à l’Electrical Audio d’Albini au moment de ce concert inoubliable, mais toujours est-il qu’en l’an 2000, alors que je m’étais installé à San Francisco de façon permanente, un samedi matin, pendant que je faisais mes emplettes quotidiennes à Amoeba Music – je déconne, j’y allais aussi parfois dans la semaine -, je mis la main sur…
American Don
(Touch And Go, 2000)
Troisième double album successif. Toujours des titres à la con. Encore une musique de rêve.
On pourrait revenir trois pas en arrière ? Vingt ans après les faits, tout ceci commence à s’embrouiller dans ma petite tête. Surtout qu’à cette époque-là je n’écrivais pas encore de “reports” de concerts sur le forum de Tantrum, le lendemain de l’action, le truc qui a incité des amis mal intentionnés à me forcer à créer nextclues.com, un site aujourd’hui mort et qui me servait en partie de mémoire.
Peu avant la sortie de American Don (puisque je vois “october 3, 2020” comme release date sur wikipedia) j’avais revu Don Cab pour la deuxième et troisième fois, le même jour. Le 4 juillet 2000. Mon tout premier Independance Day sur le sol du Pays de la Liberté Vraie. À jamais mon préféré de tous. Si l’on me laissait établir un top 3 des meilleurs concerts que j’aie jamais vus – du moins ceux lors desquels je me suis le plus éclaté -, je ne sais pas lequel arriverait en troisième. Probablement Oxbow dans un rade pourri devant 20 personnes. En premier, ce serait sans hésitation Fugazi au Bikini à Toulouse, sur la tournée Steady Diet Of Nothing, en 1992. En deuxième position, pour la médaille d’argent, Don Cab au Bottom Of The Hill on the 4th of July, year 2000. Rumah Sakit – groupe local phénoménal que je vous invite à découvrir au plus vite si le nom vous est inconnu – avait assuré du feu de dieu en première partie, ouvrant le bal en tout début d’après-midi. Il y avait eu The Sword, aussi, groupe dont je n’ai pas le moindre souvenir si ce n’est que leur nom figure sur le poster qui trône actuellement dans le couloir qui mène aux chambres. En voici une photo.
Don Cab avait fait deux longs sets ce jour-là. Le premier avait été monumental. Le second fut 100 fois mieux. Rarement, pour ne pas dire jamais, je n’avais vu un groupe, ou plus précisément un batteur, pousser aussi loin les limites du physiquement possible. La désormais légendaire flaque de sueur grandissait, grandissait, et plus elle grandissait, plus je me noyais dans ces sons fabuleux qui émergeaient des amplis de Emm et de Williams. Je me souviens avoir pensé que le cœur du Che allait lâcher sur scène, je me souviens m’être rappelé cette chose que j’avais remarquée très tôt en allant voir des concerts : la théorie de la relativité y est prouvée lorsqu’un set atteint des sommets ; le temps passe définitivement à une autre vitesse lorsque l’on voit un groupe en live – et encore plus lorsque l’on est de l’autre côté, que l’on est en train de jouer. Des images se figent pour l’éternité, le cerveau est en pleine ébullition, tous les sens sont en éveil, et s’il existait un orgasme auditif, en ce 4 juillet de l’an 2000, j’en aurais connu 25 successifs. J’étais sorti de là vidé. Don Cab avait joué, joué, joué et encore joué des morceaux plus fabuleux et plus inventifs les uns que les autres, et puisque c’était décidément une journée propice aux feux d’artifice, celui-là m’avait fendu le crâne, fondu le cerveau, tordu le cou.
Ma femme, elle, avait eu l’air de trouver le temps long.
American Don donc. On y est enfin, recentrons le débat ! Évidemment, ces titres étaient faits pour être joués live, et évidemment, lorsque l’on veut que son enregistrement studio sonne comme du live, on confie les clés du bolide à Albini. Chaque fois que je réécoute American Don, je me dis cependant que c’était tellement plus puissant d’entendre et de voir “You Drink A Lot Of Coffee For A Teenager” ou “Details On How To Get ICEMAN On You License Plate”** en concert que sur disque. Pourtant, même les passages calmes, comme “Haven’t Lived Afro Pop” ou “The Peter Criss Jazz”, réservent de purs moments de bonheur. Le labyrinthique “I Never Liked You”, également. Il est l’exemple parfait de la bonne utilisation d’une pédale loop. Ian Williams disposait de je ne sais combien de pédales à ses pieds lorsque Don Cab était passé en formation trio, et grâce au delay/looper qu’il utilisait, on pouvait avoir l’impression que 12 guitaristes jouaient simultanément. Glenn Branca, concentré dans 20 cm cubes. L’effet de démultiplication est assez trippant sur American Don, mais la chose assez malheureuse que cela avait entraîné, c’est que quelques mois après la sortie de l’album, ne pas voir un guitariste sur scène utiliser une loop box était devenu un fait rarissime. Une véritable maladie, une contagion. Tous les pitres du monde mettaient leurs sons hideux en boucle et personne ne le faisait ne serait-ce qu’à moitié moins bien que Ian Williams. “Let’s Face It Pal, You Didn’t Need That Eye Surgery”, autre orgie de sons empilés les uns sur les autres, fut la dernière offrande studio du Don Cab en formation trio, le trident magique Che-Williams-Emm, le meilleur Don Cab de tous les temps.
Fin 2000, alors qu’ils sont en pleine tournée je ne sais plus exactement où vers le Nord enneigé des Etats-Unis, leur van entre en collision avec un semi. Personne n’est blessé, mais Don Cab meurt sur le coup. Ian Williams forme Battles, Eric Emm rejoint Good Morning et Damon Che continue son projet Thee Speaking Canaries, dans lequel il joue de la guitare et chante avec feu-Karl Hendricks à la basse et Noah Leger (FACS, Disappears, Hurl, Milemaker…) à la batterie.
Un an plus tard, je revois le Che jouer de la batterie à San Francisco, mais cette fois-ci avec Bellini, soit la moitié des siciliens de Uzeda plus l’excellent bassiste Matthew Taylor. Le show a lieu dans un pub du Tenderloin appelé The Edinburgh Castle. Le groupe s’installe dans une toute petite pièce, à l’étage, devant 25 personnes. On n’entend que la batterie. Je ne sais même pas pourquoi Giovanna a un micro, hahaha, Che tape tellement fort, mais fort, putain… Avec ses lourdes frappes, il couvre tout ce qui sort des amplis. De Bellini aussi, il semble être le leader invétéré. Pourtant, quelques jours plus tard, alors que le groupe est au beau milieu de sa tournée, il les plante, comme ça, juste pour confirmer qu’il est un parfait coNNard. Bellini le remplace sur le champ par Alexis, le batteur de Girls Against Boys, un type adorable. Alexis est toujours, aujourd’hui, le batteur de Bellini.
[Deuxième pause imposée, lors de laquelle vous devez fixer du regard la photo du dessus pendant 35 minutes. Ou écouter Snowing Sun, le premier album de Bellini avec Damon Che aux baguettes, au choix.]
Petit bond de deux ou trois ans dans le temps. J’habite maintenant une jolie petite maison (pas bleue) adossée à la colline de Potrero Hill, au bas de laquelle se trouve le donc bien nommé Bottom Of The Hill. Un petit moment, je vais voir online si je peux retrouver la date exacte… Voilà, le 18 mai 2004, apparemment. Je descends à pied les trois blocks qui me séparent du Bottom Of The Hill, mon club préféré, pour voir, pour la quatrième fois dans la même salle, mon groupe préféré. Sans prévenir, Don Cab est revenu à la vie quatre ans après avoir mis fin à son existence. Damon Che est le seul membre originel, seul pilote à bord, et il a remonté Don Cab avec trois mecs d’un autre groupe de Pittsburgh, Creta Bourzia. J’aimerais bien avoir accès aux archives de nextclues afin de m’auto-consulter gratuitement et de relire ce que j’avais bien pu écrire à propos de ce concert… Dans mon lointain souvenir, ça donne ça : bien entendu, ce Don Cab nouvelle formule ne pouvait en aucune mesure rivaliser avec le Don Cab de la décennie passée, mais pourtant j’avais beaucoup aimé les nouvelles compos comme les anciennes, qu’ils réinterprétaient avec une certaine hargne. Les deux guitaristes faisaient du bien beau boulot au niveau de la complémentarité, et à la basse, Jason Jouver tenait définitivement la baraque.
La constatation fut exactement la même lors de la sortie de…
World Class Listening Problem
(Relapse, 2006)
Cet album de la renaissance n’était certainement pas du niveau du Don Cab canal historique, mais après avoir fait la fine bouche, il avait fallu s’en contenter. Les structures sont nettement moins complexes, les sonorités sont plus conventionnelles, et même si Don Cab n’est plus exactement le groupe ridiculisant un à un les courageux qui décidèrent de s’aventurer sur un terrain qu’ils avaient eux-mêmes défrichés (Hella, Oxes, Ahleuchatistas, Sleeping People, Rumah Sakit et Gorge Trio, pour n’en citer que six parmi les meilleurs de la scène alors grandissante du math-rock instrumental), World Class Listening Problem n’en reste pas moins un album qui fait à nouveau s’entrechoquer les chicots. Ça grince sur “And And And, He Lower The Twin Down”, un super morceau qui serait passé inaperçu sur For Respect, et si par ailleurs il fallait rapprocher ce nouveau line-up de l’un des précédents, celui du premier album remporterait le plus de votes. D’autres titres mettent plus ou moins tout le monde d’accord, comme ce “I Agree…No!…I Disagree” dirigé par une basse autoritaire. Damon Che semble jouer la facilité sur “Palm Trees In The Fecking Bahamas” ou encore “I’m Goofballs For Bozzo Jazz”, qui va exactement là où on attendait Don Cab. À l’évidence, même si l’on prend du plaisir à les écouter, il ne faut plus espérer quoi que ce soit d’audacieux de la part du gang dont il est désormais le dictateur avoué. “Railroad Constellation” révèle le même problème : c’est un beau morceau, sacrément bien foutu, doté d’un joli break sur lequel on peut gentiment se trémousser, mais le danger qui planait en permanence sur les quatre albums précédents, ce sentiment que tout pouvait se produire à n’importe quel moment, s’était définitivement éclipsé. Malgré tout, je me demande si je n’aime pas cet album plus aujourd’hui que lors de sa sortie. Certainement parce qu’en 2006, le cadavre du trio Emm / Che / Williams était encore tiède. Certainement aussi parce que je suis devenu nettement moins intransigeant avec ce que je m’enfile dans les esgourdes.
Fin 2006, Jeff Ellsworth devient le troisième guitariste à quitter Don Cab, qui redevient un trio. C’est dans cette formation que je les revois quatre fois à Philadelphie et New York, après avoir dit au revoir*** à la côte Ouest en juin 2006 afin de m’installer pendant cinq longues et douloureuses années dans le New Jersey. Je garde un très mauvais souvenir d’un concert assez pitoyable que je les vois donner au Khyber de Philadelphie en août 2006 (encore à 4, donc), mais un très bon d’un des deux concerts à Johnny Brenda’s, ma petite salle préférée de Phillie (avril 2007 et août 2008, je ne sais plus lequel des deux avait été fantastique alors que l’autre avait été assez moyen). La toute dernière fois que je les intercepte, c’est au Club Europa de Brooklyn en décembre 2008 mais… seulement quelques vagues images me reviennent à l’esprit. Quelques voix aussi, car dans le laps de temps, une petite révolution a eu lieu chez Don Cab : les trois se mettent parfois à… chanter ?!?! On avait pas dit math-rock instrumental ? On a le droit de changer les règles en cours de jeu, comme ça, quand ça nous pète ? Voilà exactement ce qui cloche avec ce qui devint le tout dernier album studio, l’ineffable…
Punkgasm
(Relapse, 2008)
Je ne sais plus combien de ces 14 titres contiennent des voix – quatre ou cinq tout au plus, fort heureusement -, mais ce que je peux vous garantir, c’est que toutes les parties chantées sont abominables. Étrangement, j’aime bien le chant du Che quand il l’ouvre avec Thee Speaking Canaries, mais alors là, dans Don Cab, il aurait mieux fait de la fermer et de se contenter de taper sur son tambour. Jouver et Doyle poussent également la chansonnette, et il est vraiment dommage que Punkgasm soit étiqueté “l’album raté de Don Cab sur lequel on entend du chant“, car dans l’ensemble c’est un disque pas loin d’être convenable. Ce, malgré une pochette des plus dégueulasses… C’est quoi au juste, cette photo ? Une allégorie de Don Cab retrouvant une seconde jeunesse mais regardant toujours en arrière ? En dépit du départ de Jeff Ellsworth (et de l’arrivée du chant), certains titres de Punkgasm s’alignent pourtant dans la continuité de World Class Listening Problem. “The Irrespective Dick Area”, “Slaughbaugh’s Ought Not Own Dog Data” (essayez de répéter ce titre 5 fois de suite avec la bouche remplie de chamallows chauds) ou encore “Bulk Eye” font le taf, avec la basse qui prend toujours les devants, Damon Che qui laisse plus d’espace que par le passé – adieu la polyrythmie, son jeu s’est drastiquement simplifié -, et la guitare qui trouve des phrasés finalement pas si désagréables. Ce qui par contre est vraiment moche ici, c’est ce Don Cab qui fait tout afin de se réinventer sur un “Dirty Looks” détestable avec sa voix de fausset, sur un “Why Is The Couch Wet?” aérien qui donne envie d’activer la D.C.A. ou encore sur un “Celestial Dusty Groove” faussement pop – vaine tentative de s’agripper à la cheville de Jawbox ? – que je regrette amèrement réécouter pour les besoins de ce papier. “Punkgasm”, le morceau final qui a donné son nom à l’album, a beau être un post-punk assez rigolo, avec Eugene Doyle à la batterie et Damon Che à la guitare et au chant, il n’est rien de plus que du Speaking Canaries. Pas du Don Cab. Wrong band.
Don Cab ne pouvait décemment pas survivre à l’éparpillement déconcertant de Punkgasm. De retour sur ses terres après une tournée européenne en 2009, le groupe de Pittsburgh rend le tablier.
Attendez, ne partez pas encore, ce n’est pas tout à fait fini pour ce qui est de la discographie !
[Mais avant tout, troisième pause imposée. Et si l’on se faisait une petite vidéo, mh ?]
Courant 1998, sort sur Touch And Go une compilation contenant tous les morceaux disséminés sur des singles qui avaient essentiellement servi à se faire les dents avant de se lancer dans l’enregistrement du premier album. La pochette de la compil en question est vraiment excellente : on y voit des 45 tours répandus sur un passage clouté, formant le mot DON CABALLERO. Sur l’insert, certains piétons ou cyclistes s’arrêtent pour les examiner. Au verso, tous les singles ont été éparpillés et écrabouillés par des bagnoles (jetez donc un œil). Cette superbe collection, c’est bien évidemment…
Singles Breaking Up (Vol. I)
(Touch And Go, 1997)
Une compilation de singles est toujours en priorité destinée aux fainéants qui ont du mal à décoller le cul du canap’ et aux non-complétistes qui croient à tort qu’un petit 45 tours est un objet secondaire et dispensable. J’ai toujours adoré me passer ces 13 plages dans leur continuité, mais pour VRAIMENT écouter et apprécier un morceau, il n’y a rien de tel qu’un 45. Pas le temps de faire autre chose : on le met sur la platine et on contemple l’aiguille creuser le sillon. On tourne le disque et on en fait de même avec l’autre face. Puis on répète l’opération. Et on la répète encore. Et encore. Si bien que vous avez bien mérité que l’on dissèque cette compil en la découpant en 5 tranches de vinyle. Qu’on les examine un à un, en commençant, dans l’ordre chronologique, par…
The Lucky Father Brown / Belted Sweater b/w Shoe Shine
(Pop Bus Records, 1992)
Le voici le voilà, le tout premier disque sorti par Don Cab, alors que le groupe est un trio formé par Mike Banfield, Pat Morris et un certain Damon “Che” Fitzgerald. Il sort sur Pop Bus, un nom de label qui lu à l’envers donne… C’est bon, vous l’avez ? Certes, cette scène noise de Pittsburgh n’est pas comparable à l’envergure prise par celle des grungistes de Seattle, mais il est toujours important de constater qu’un groupe majeur n’est jamais réellement isolé, seul à faire une musique géniale dans sa zone géographique. C’est le cas de Slint à Louisville, le cas de Cherubs à Austin, le cas de Jack’O’Nuts à Athens, et rien qu’en épluchant le catalogue de ce pourtant obscur label qui ne sortit que des singles de 7 pouces, on peut tomber sur des groupes justement**** inconnus mais qui proposent une musique instinctive et d’une originalité effarante : Hurl, Shale, Northern Bushmen, Blunderbuss, the 1985 (qui arrivera bien plus tard) et certainement le meilleur d’entre tous, Swob. Auxquels il faut ajouter Six Horse, mais également Jumbo, dans lequel on retrouve Jason Jouver.
Ce que l’on entend sur ce 45 (qui tourne en 33) et qui n’est pas inclus sur Singles Breaking Up, c’est le sample servant d’intro. Le reste ? Trois morceaux magistraux, maîtrisés de bout en bout, qui feraient penser que ce groupe a des milliers de miles dans les pattes alors qu’en réalité ça ne fait que quelques mois que le trio s’est formé. Riffs trapus, basse élancée et batterie explosive : le ton est donné sur les deux titres de la face A (la version de “Belted Sweater” étant antérieure à celle que l’on trouve sur For Respect). Sur la face B, Don Cab place “Shoe Shine”, un titre lent, finalement assez slintien, à une période où quasiment personne n’a encore entendu Spiderland.
Laissez-moi attraper le suivant…
Unresolved Karma b/w Puddin’ In My Eye
(Broken Girafe, 1992)
Second single pour Don Cab, sorti sur un autre micro-label de Pittsburgh, Broken Giraffe, sur lequel on retrouve Slag, le premier groupe du guitariste Mike Banfield. Le son de la caisse claire, même tant d’années après, me procure toujours une légère érection, mais c’est véritablement l’ensemble qui sonne ici à la perfection. “Unresolved Karma” est bâti autour d’un beat du tonnerre, et le thème de la guitare que balance Banfield est une pure merveille. En face B, Puddin’ In My Eye est beaucoup plus heavy, rythmiquement complexe et il sera fortement conseillé de bien rester, tout au long de ces incartades, accroché à la branche. Quelle belle pochette ! Quel single fabuleux ! Quel groupe extraordinaire !
Next!
And And And And And And And And And And b/w First Hits
(Third Gear Records, 1993)
Troisième single, constitué de deux titres inédits enregistrés (par Albini, donc) lors de la même session qui a donné For Respect. “And And And And And And And And And And”, soit le mot And, répété 10 fois, est tellement lizardien qu’on pourrait imaginer ce que Yow en aurait fait s’il s’était égosillé sur ce plan détonnant. Tellement lizardien, par ailleurs, que la basse, mixée en avant, laisse entrevoir l’influence de JJ Burnel des Stranglers. Un régal.
Flip flop, fit la rondelle.
C’est quoi ce beat d’intro tout pourri ? Le Che qui prend son goûter ? Une fois les instruments entrés dans la danse, tout rentre dans l’ordre : “First Hits” vise juste et fait mouche.
La pochette sérigraphiée est sublime, avec un grain qui donne envie de la manipuler des heures durant. Ça ne se voit pas très bien sur la photo, mais le nom de
DON C
ABAL
LERO
est “embossed” sur le recto. Je sais pas comment qu’on dit en français… surimprimé en relief ? On dira ça.
Change de disque.
Our Caballero b/w My Ten Year Old Lady Is Giving It
(City Slang, 1993)
Ce quatrième single sort en vinyle noir sur Touch And Go aux US, et en Europe sur City Slang en vinyle gris. Faites votre choix. Face A : “Our Caballero”, version identique à celle qui se trouve sur For Respect. La réentendre une énième fois ne pose aucun problème, puisque se lasser d’une compo de Don Cab tient de l’impossible. Celle-ci part en trombe puis ralentit avant de prendre un virage heavy (grunge ?) que j’adore au plus haut point, avec un plan final qui aurait parfaitement convenu aux vociférations de… Tad ?!?! “Behemoth, motherfucker, you’re going down!“
Calme-toi un brin et tourne le disque.
Sur la face B, Don Cab invente le post-rock. “My Ten Year Old Lady Giving It” est un inédit beau et placide, et cette fois-ci c’est la basse de Pat Morris qui régale, avec cette irruption sublime à la deuxième minute. Un must.
Existe aussi en cdep. Cdep sur lequel on trouve en bonus “Unresolved Karma” et “First Hits”, tirés des deux singles précédents. Pas besoin de vous les décrire à nouveau, si ?
Et maintenant, le plus beau de tous :
Trey Dog’s Acid b/w Room Temperature Lounge
(Touch And Go, 1997)
Fort malheureusement, le rythme de sortie des singles ralentit considérablement après 1993, alors que ce format convient tellement bien à cette musique rigoureuse… Celui-ci est publié un an avant What Burns Never Returns, mais son titre phare, “Trey Dog’s Acid”, ne dépareillerait pas sur l’album. Quelle basse, encore ! Et quel tempo caniculaire, qui donne envie de fondre, jusqu’à ce changement de plan jovial. Et cette guitare discrète, qui résonne au fin fond du mix ? “Trey Dog’s Acid” est composé de quatre parties complètement différentes les unes des autres. Aucune n’est répétée.
Tourne-toi.
Du chaud et du paisible, on en trouve également de l’autre côté, avec une version différente du sublime “Room Temperature Lounge” qui sera ré-enregistré un an plus tard pour What Burns. Pas besoin de déterminer laquelle des versions est supérieure à l’autre, les deux sont magiques.
Don Cab démontre ici en deux petits titres et un peu moins de 10 minutes qu’il sait également faire saliver les foules en proposant des plans simples et reposants ; pas toujours besoin de polyrythmie, de furie et d’enchevêtrements sonores. On pourrait presque aujourd’hui regretter qu’ils n’aient pas composé et enregistré un album tout entier dans cet esprit, même si pour des groupes bien sapés comme The Sea And Cake, Tortoise et Trans Am (des débuts), la comparaison avec leur propre travail scolaire aurait pu être assez embarrassante.
Il en reste encore trois ! Tenez bon.
Sixty Second Compilation
(Coat-Tail Records, 1995)
10 groupes en autant de titres sur cette compilation pour laquelle les compos ne devaient pas taper au-delà de la minute. Le titre expérimental que Don Cab avait offert est totalement insignifiant. Pourquoi a-t-il été inclus sur Singles Breaking Up ? Son absence n’aurait pas été dommageable.
Avant d’enchaîner avec des singles plus obscurs, on va revenir, si vous le voulez-bien, au morceau qui se trouve juste avant sur la compil Singles Breaking Up : “No More Peace And Quiet For The Warlike”, parce qu’il s’agit bel et bien d’un inédit ! (yeah, big fucking deal!). Sur l’insert, il est dit que ce titre a été enregistré par Bob Weston, troisième du nom, en mai 1994. Il n’avait certes pas été à la hauteur pour prétendre figurer sur Don Caballero 2, mais, hey, un morceau inconnu de Don Cab, c’était certainement bon à prendre en 97. Tellement mieux que n’importe quel titre majeur de n’importe quel autre groupe majeur.
[Pause numéro 4. Je vais me faire un shoot d’insuline et je reviens, promis.]
Waltor b/w Shuman Center 91
(Chunklet, 1996)
Henry Owings, boss du fanzine Chunklet (basé à Athens, GA, tout comme The Martians dont il m’avait promis de sortir un jour une anthologie…) est un fan de Don Cab de la première heure. Pour le numéro 11 de sa publication, il parvient à mettre la main sur l’enregistrement live du second concert de Don Cab datant de janvier 1992 (fin 91, selon les sources). Le 45, sans pochette, est offert avec le zine, et le plus drôle, finalement, c’est d’écouter ces deux inédits furieux tout en se demandant comment il peut être possible que les trois mecs qui sont en train de les jouer en soient seulement à leur deuxième concert. N’importe quel groupe normalement constitué rêverait d’atteindre ce niveau après 10 ans de tournées intensives et des milliers d’heures de répétitions acharnées. Pendant des années, ce petit disque d’apparence insignifiante constituait le Graal pour tout Don Caballerophile, car son contenu, pourtant féroce, n’avait pas été retenu pour la compil Singles Breaking Up ; je ne sais pas si vous avez déjà remarqué, mais entre parenthèses, juste après le titre, figure un (vol.1) qui laissait présager un (vol. 2) qu’on n’aura jamais.
La pile diminue…
Got A Mile, Got A Mile, Got An Inch (live)
(Joyful Noise, 2016)
Dernier objet parfaitement inutile et donc absolument indispensable, ce flexi (transparent) gravé sur une seule face et sorti par Joyful Noise. On y retrouve un morceau phare de For Respect en version live, indéniablement rejoué par la reformation des années 2000. Capturé où et quand ? Je n’en sais foutrement rien, mais cette version, avec sa longue intro et ses larsens de guitare, est bien cool. Elle sert de complément idéal à…
Gang Banged With A Headache And Live
(Joyful Noise, 2016)
La sortie de cet album live sur Joyful Noise, jeune label qui se faisait alors un nom, était totalement inattendue en 2012. Il est enregistré on ne sait où, possiblement à Chicago, on ne sait quand, vraisemblablement en 2003. Ce qui est certain, c’est que Don Cab est en formation à 4, position attaque totale, avec Doyle et Ellsworth aux cordes fines, sur les ailes, et Jouver aux 4 cordes épaisses, au centre. De ses baguettes, Che oriente le jeu. La setlist ressemble d’assez près à “Don Cab rejoue tes titres préférés, rien que pour toi dans ton salon, petit veinard !“. Le son n’est certes pas parfait, mais pour ceux qui ne sont pas frileux de la feuille, voilà un document qui peut donner une bonne indication sur ce qu’avait donné la reformation de Don Cab, à savoir bien mieux que du simple réchauffé. Il existe 500 copies pour la version “bone” vinyl. Un r de plus entre les guillemets et nous voilà fin prêts à participer à ce gang bang qui satisfera les plus jeunes comme les anciens aficionados. Dont le plus vieux d’entre tous, Henry Owings, le boss de Chunklet dont je vous ai parlé un peu plus haut et qui en 2014 nous réserve une bien belle surprise en extirpant du fin fond des oubliettes les bandes qui permettent de constituer…
Five Pairs Of Crazy Pants. Wear’em: Early Caballero
(Chunklet, 2014)
Sur la photo de pochette (une capture d’écran d’une vieille VHS), c’est Guy Caballero que l’on voit, et sur le premier longue durée (beau vinyle coke bottle translucent vinyl pour les winners) c’est un Don Cab juvénile que l’on entend. Le groupe n’avait que quelques mois d’existence lorsqu’il est allé enregistrer 11 titres pour une radio universitaire, Carnegie Mellon, située dans sa ville de Pittsburgh, PA. L’équivalent d’une Peel Session, si vous voulez. Tout y est joué le couteau entre les dents, les tempos sont doublés, et les morceaux que l’on connaît de For Respect, des singles et du freebie de Chunklet volent en éclats ! Le son est loin d’être mauvais, et même si ce document est bien entendu réservé aux plus curieux, l’énergie dégagée est telle que je ne saurais vous conseiller d’y jeter un jour une oreille en streaming, puisqu’il se trouve facilement sur toutes les plateformes vouées à l’extinction progressive de toute bonne musique.
Sur le second longue durée (vinyle noir pour losers invétérés), on peut entendre le second concert ever de notre alors tout jeune trio. Si vous vous souvenez du single de chez Chunklet mentionné plus tôt, il s’agit de la même source. Le son est incroyablement bon tout au long de ces onze titres bouillonnants, et quitte à me répéter, constater qu’un groupe puisse afficher un tel niveau dès son deuxième concert est tout juste effarant. Il s’intitule Look At Them Ellie Mae Wrists Go!: Live Early Caballero et a été capturé at the Beehive, Pittsburgh, Winter 91. Épileptiques s’abstenir.
Il y a fort à parier que ces précieuses archives resteront à jamais la toute dernière référence dans la longue discographie de Don Caballero, et je vous félicite d’en être parvenu au bout.
Demain, on parlera en détail des trois pirates (cd-r) qui figurent en bas à droite sur cette photo.
Bil Nextclues, octobre 2021 –
*“Don Caballero is rock, not jazz. Don Caballero is free from solos”, pour citer la bio qui accompagnait l’album promo. Now you’ll have to scroll back up, you loser!
** j’avais songé à payer pour faire inscrire DON CAB 4 sur la plaque d’immatriculation californienne du Hummer H3 camouflage que je conduisais au moment de l’action. Celui qui avait le logo de l’Olympique de Marseille peint sur le capot et un fusil-mitrailleur à l’arrière.
*** car j’y reviendrai. D’ailleurs, j’y suis revenu.
*** et non pas injustement comme on le dit / lit trop souvent : ces groupes n’ont jamais eu l’ambition de sortir de l’ombre. Ils ont fait de la musique avant tout par plaisir personnel. On y tombe dessus, tant mieux, on n’y tombe pas dessus, tant pis. L’injustice n’a rien à voir là-dedans. Pour ce qui est des groupes injustement trop connus, par contre, ce n’est pas ce qui manque…
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