DIIV – Frog in Boiling Water

Publié par le 22 mai 2024 dans Chroniques, Notre sélection, Toutes les chroniques

(Fantasy, 24 mai 2024)

Le 23 septembre 2009, le commentateur politique conservateur Glenn Beck avait choqué la toile lors d’un segment de son émission sur Fox News, dans laquelle il avait tenté d’expliquer que les Américains n’allaient pas tarder à réagir à la politique de Barack Obama et que telles des grenouilles que l’on jette dans l’eau bouillante, ils allaient rebondir et se sortir du mauvais pas dans lequel l’administration démocrate tentait de les mettre. Il avait alors présenté à l’écran une grenouille qu’il avait balancée dans une casserole d’eau bouillante. Cette dernière, au lieu de rebondir, était juste morte sur le coup.

Voilà ce à quoi m’a fait penser le titre du dernier album de DIIV, le quatuor new-yorkais qui aura donc mis cinq ans à donner suite à Deceiver. Ce dernier était l’un des disques d’indie rock les plus excitants de la décennie précédente avec notamment des tubes dream pop/shoegaze comme « Blankenship » et « For the Guilty ». L’album, rappelons-le, racontait la longue descente aux enfers puis la rédemption du leader du groupe Zachary Cole Smith. C’était à peu près la même idée sur le précédent Is The Is Are de 2016 mais cette fois, Smith, le clamait haut et fort, il était bien sorti de la drogue. On attendait donc avec impatience la suite avec une musique peut-être plus lumineuse et apaisée. Ce n’est pas vraiment ce qui s’est passé, si l’on en croit les informations livrées dans le dossier de presse. Le groupe aurait eu du mal à livrer une suite à Deceiver et se serait pas mal chamaillé en studio avant d’y arriver. Les goûts et aspirations des quatre membres auraient en effet divergé et il aurait même fallu des semaines de débats pour que DIIV finisse par produire un tout cohérent. De nouveau une histoire de descente aux enfers et de rédemption, donc…

On pensait donc écouter un DIIV très différent de celui qu’on avait quitté et on s’attendait à un disque assez diversifié avec des influences très variées et pas mal d’expérimentations… eh bien, pas du tout ! Certes, Chris Coady a remplacé Sonny Diperri à la production mais la matière n’a guère bougé : guitares saturées lancinantes, slow-to-mid-tempo et voix diaphanes sont les ingrédients de ce nouvel album. Si le premier morceau « In Amber », très slowcore, nous a fait penser à du Duster, force est d’avouer qu’il reprend surtout là où « Acheron », le dernier morceau de Deceiver s’achevait. On se demande même plusieurs fois si certaines parties de guitare n’ont pas été tout simplement copiées et collées du précédent album. Alors, oui, il y a des textures qui diffèrent çà et là, mais c’est souvent juste le temps d’une intro, comme par exemple sur « Little Birds », où l’on croit entendre des claviers, mais très rapidement les codes habituels du quatuor reprennent le dessus. Répétitif, presque poisseux, l’album semble vouloir jouer plus sur la profondeur que sur une forme d’extension de son univers musical. On s’enfonce assez littéralement dans la mélancolie. C’est parfois beau mais ça ne décolle jamais vraiment. Inutile de chercher le « Blankenship » de cet album : il n’existe pas. En fait, il n’y a pas vraiment de sommet, juste un spleen patiemment distillé arpège après arpège, texture après texture, voix trainantes et harmonisées après voix trainantes et harmonisées. C’est d’ailleurs un disque plus harmonique que mélodique, et plus d’ambiance que de chansons, dont il s’agit, entre pesanteur des guitares et légèreté des textures sonores. Le propos, lui, se veut assez politique. Ça parle des horreurs du monde, des menaces qui pèsent sur lui et d’une population impuissante, presque hébétée et incapable d’agir.

Car c’est là l’autre partie de la légende sur les grenouilles et l’eau qui bout. Si celle qu’on jette dans l’eau bouillante est censée dans un geste salvateur rebondir hors de la casserole, celle qui s’est insidieusement installée au fond de l’eau froide et se complait dans la chaleur qui commence à monter va tout simplement se laisser cuire de l’intérieur. Cette grenouille, c’est un peu l’auditeur de cet album, qui s’installant confortablement dans le spleen poisseux qu’il diffuse, finirait presque par mourir d’ennui.

Yann Giraud

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