Dead Horse One – When Love Runs Dry EP

Publié par le 31 mars 2022 dans Chroniques, Notre sélection, Toutes les chroniques

(Requiem pour un Twister, 18 mars 2022)

Quel format sous-estimé que l’EP ! C’est bien simple, si vous connaissez des musiciens autour de vous, ces derniers vous auront sans doute expliqué combien de fois ils se sont fait jeter par des labels à qui ils avaient proposé de sortir un tel objet ! « On ne sait pas comment faire la promo de ce type de sortie ? », « ça ne vend pas assez en physique » sont parmi les arguments régulièrement entendus. D’ailleurs, dans la plupart des magazines qui ont pignon sur rue, on préfère les chroniquer dans des rubriques spécialisées, à l’écart des albums « normaux ».
Et c’est bien dommage car un bon EP peut parfaitement vous faire tomber amoureux d’un artiste ou d’un groupe. Parfois, même, des groupes ne font pas vraiment mieux que leurs EPs. Je donnerai deux exemples. D’abord, il y a les Kings of Leon dont le tout premier EP sorti en 2003, Holy Roller Novocaine, concentre sans doute tout ce que le groupe avait à proposer de mieux. Le reste ne sera que moins bien. Ensuite, je pense à The Fresh and Onlys, cet excellent groupe de San Francisco qui n’a sorti que de bons disques mais pas l’album parfait, et qui a sans doute réalisé son seul sans faute avec Secret Walls, un 5 titres sorti chez Sacred Bones convoquant en une poignée de chansons miraculeuses les fantômes de Lee Hazlewood et de Jeffrey Lee Pierce. Bref, quand c’est bien fait comme ça, un EP vaut bien tous les albums.

Un genre dans lequel l’EP a su bien se distinguer, c’est le shoegaze, ce mouvement éphémère du début des années 90 dont l’influence continue de s’entendre sur toute l’indie pop actuelle et même sur le metal. Ride ou Slowdive ont été de très grands pourvoyeurs d’EP et dans le cas de Slowdive, on peut même considérer l’excellente compilation Blue Day, qui compilait les premiers maxis du groupe, comme un véritable sommet. Et bien, ça tombe à pic car c’est justement un EP que nous propose aujourd’hui Dead Horse One, sans doute l’un des meilleurs représentants de la scène shoegaze française. C’est d’ailleurs un autre de leurs maxis qui m’avait fait connaître le groupe il y a maintenant une petite dizaine d’années. Un ami m’avait donné Heavenly Choir of Jet Engines, leur première offrande vinylique qui était aussi un format court et j’avais tout de suite accroché à leur musique. En trois petits morceaux, le groupe y faisait preuve de juste ce qu’il fallait de psychédélisme et de lyrisme. Depuis, le groupe d’Olivier Debard n’a pas chômé, tournant avec le Brian Jonestown Massacre ou Nothing et enregistrant avec leur idole Mark Gardener (de Ride, bien sûr). De mieux en mieux produits, leurs disques revisitent non seulement le shoegaze des origines mais s’aventurent dans ce qu’on appelle aujourd’hui le « nugaze », cette musique plus moderne qui conserve les guitares éthérées du shoegaze mais a aussi une approche plus frontale héritée du rock musclé des années 90 des Smashing Pumpkins à Quicksand en passant par la frange la plus métallique du grunge (Alice in Chains, Soundgarden). Par ailleurs, si vous assistez à un concert de Dead Horse One, vous verrez que leur sensibilité musicale est aussi plus « indie pop » que ce que leurs disques studio laissent entrevoir. Des influences comme Sparklehorse ou Elliott Smith sont en effet audibles (et visibles sur les t-shirts !).

Avec son nouvel EP When Love Runs Dry, le groupe de Valence s’est donc permis de jouer sur les contrastes et de proposer ses trois morceaux les plus lourds à ce jour, produits par l’Américain Brendan Williams, ainsi que deux bien plus lents et mélancoliques, produits à la maison. Les guitares ont un son énorme, la basse tabasse, les riffs sont assassins et la caisse de la batterie fracasse la tête. Sur « Core » et « Nevermore », on sent des influences grunge et même quelques pointes de nü metal (dans sa veine Kornienne), tandis que « Static King », bien que tout aussi menaçante, se pique aussi de mélancolie – les fans de Sparklehorse reconnaîtront le nom du home studio dans lequel le regretté Mark Linkous a enregistré la plupart de ses albums. Cette mélancolie est magnifiée par la version dépouillée qui clôt cet EP. Entre temps, « Mentally Homeless » rappelle la veine la plus calme et mélodieuse des compagnons de route Nothing. Bref, le son est gigantesque, les compos sont un sans faute et, avec cet EP, on pense que Dead Horse One a tout pour convaincre celles et ceux qui ne le savent pas déjà que le groupe n’est pas que le saint-patron de la scène shoegaze hexagonale mais bien l’un des piliers de la scène indie française.

Yann Giraud

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