The Damned – Damned Damned Damned (Demon)
Bien qu’étant très chauvin, je suis forcé d’avouer qu’ils sont forts, ces anglais. Certes, bon nombre de leur production artistique sur ces 30 dernières années peut prêter à la moquerie et nous décomplexer un peu, mais si on regarde ce qu’ils ont apporté à la musique depuis la seconde moitié du XXe siècle et qu’on compare à la France, on est obligé de reconnaitre que non contents de nous avoir brûlé Jeanne d’Arc, nos voisins britanniques nous donnent régulièrement des leçons de rock. Même en jouant les mauvaises langues et en disant qu’ils ont tout piqué aux américains, on doit s’incliner devant la manière dont ils savent parfois sublimer la musique de leurs cousins d’outre-atlantique pour en faire quelque chose de grand.
Au chapitre des groupes qui ont su sublimer l’exemple de leurs cousins d’outre-atlantique pour nous sortir quelque chose d’encore plus grand, en 1977, ce ne sont pas les Sex Pistols qui se placent là, comme on le croit trop souvent, encore moins les Clash, mais bel et bien les Damned. Sans trop se prendre en sérieux (la pochette de l’album nous les montre couverts de tarte à la crème), les Damned ont réingurgité la musique de leurs ainés (Les New York Dolls, Alice Cooper, Les Stooges évidemment, ou plus récemment les Ramones) et ont ajouté leur propre touche pour faire quelque chose de simple, direct, grandiose. Surtout, ils l’ont fait sans aucun espoir de célébrité ; Captain Sensible a même tenu à ajouter une photo de lui sur la pochette car, totalement couvert de crème sur la photo de devant et de dos sur celle de derrière, il tenait à ce qu’on voit sa tête sur ce qu’il pensait être le seul disque qu’il ne sortirait jamais. Le manque d’ambition permet de faire de grandes choses.
Bien que ce terme soit galvaudé, s’il est un disque que l’on peut qualifier d’efficace, c’est bien Damned Damned Damned. Si la production ne rend pas vraiment hommage aux morceaux, avec une batterie trop compressée pour qu’on y comprenne quoi que ce soit, ceux-ci sont tous de véritables tueries. Bien sûr, il y a le single “New Rose”, gros tube punk repris par le meilleur et par le pire, qui reste néanmoins l’un des meilleurs morceaux punks à ce jour, mais ce n’est que l’arbre qui cache la forêt : “Neat Neat Neat” et son intro de basse vrombissante, “So Messed Up”, “1 Of The 2”, “Fan Club” et son riff imparable, le désabusé “I Fall”, l’assassin “Stab Your Back”… Tous les morceaux mériteraient d’être cités ici. Deux titres, plus que les autres, permettent aux Damned de rendre hommage à leurs influences. “Feel The Pain” est une véritable réécriture d’Alice Cooper; du moins de ce que faisait Alice Cooper au début des années 70. Quant à “I Feel Alright”, il s’agit d’une reprise de “1970” des Stooges survoltée et chaotique, l’une des meilleures versions de ce morceau jamais enregistrée.
Les Damned sont surtout portés sur cet album par leur guitariste, Brian James, qui non content de savoir jouer et d’avoir trouvé un son de malade compose quasiment tous les morceaux, tous excellents. Le seul morceau du batteur Rat Scabies (“Stab Your Back”), est du même acabit. Captain Sensible, dont on apprendra plus tard qu’il était un guitariste frustré, fait un très bon bassiste, et Dave Vanian qui ne se prend pas encore pour un crooner, assure un chant punk parfaitement maitrisé et néanmoins assez bordélique. Si quelqu’un vous demande un jour ce qu’est le punk, faites-lui écouter Damned Damned Damned, la parfaite explication par l’exemple.
Il ne s’agit pas uniquement du meilleur album de punk que des anglais aient sorti, mais peut-être d’un des meilleurs albums de rock anglais tout court depuis les années 60. Et j’adore les Beatles, c’est dire comme j’estime ce disque.
Par la suite, malheureusement, après l’échec de leur second album, les Damned se séparent puis se reforment sans Brian James avec Captain Sensible à la guitare et s’orientent vers un post-punk gothique sans grand intérêt. James, de son côté, ne fera pas vraiment mieux avec le super groupe punk Lords of the New Church, trop 80s pour être honnête. Nos punks nous ont donc illustré l’adage de Neil Young “it’s better to burn out than to fade away” qui avait été écrit plus ou moins pour eux de toutes façons. Et quelque part, tant mieux, parce qu’avec un album de cette qualité, s’ils avaient continué sur cette lancée, tous les patriotes français chauvins auraient soufferts de honte. Donc d’un côté, les Damned sont un beau gâchis. De l’autre, heureusement qu’il y a la New Wave et le Goth Rock pour qu’on puisse continuer à se moquer des rosbifs.
BCG