Cult of Luna – The Long Road North
« Si vous avez aimé l’album et l’EP précédents, vous serez sans doute convaincus par cet opus-là aussi. » Bon, et bien, voilà mon travail accompli. Chronique suivante ! Oui, Jonathan, que me dis-tu ? Qu’une critique de disque ne peut pas tenir en une phrase et qu’il me faut revoir quelque peu mon argumentation ? Pfff… Ok, recommençons.
Cult of Luna est depuis près de deux décennies l’un des groupes majeurs du post-metal atmosphérique. D’album en album, le groupe suédois a su façonner un son immédiatement reconnaissable. Des dizaines, que dis-je, des centaines de groupes se sont engagés dans le sillon que CoL a su creuser au fil du temps et avec les deux autres mastodontes du genre, Isis et Neurosis, on peut désormais dire qu’il existe un genre « Cult of NeurIsis » dont ces trois-là sont les dépositaires. Le problème, quand on a à ce point fixé les règles esthétiques d’une communauté artistique, c’est que l’on est contraint de se demander comment ensuite gérer la suite de sa carrière. Des trois groupes que j’ai cités, celui qui a sans doute apporté la réponse la plus radicale à ce défi, c’est Isis, et cette réponse fut le split. Il est clair qu’avec Wavering Radiant (2009), le groupe était allé au bout de sa démarche et qu’il aurait été difficile de donner une suite qui soit originale à leur discographie quasi-parfaite. Le cas de Neurosis est encore différent. Le groupe se fait de plus en plus rare sur disque. Endossant le rôle de patriarche du post-metal, il semble ne plus voir les albums studio que comme l’occasion de continuer de tourner entre deux livraisons en solo ou projet parallèle. Des trois formations, donc, c’est à Cult of Luna que revient la tâche ingrate de durer et de s’efforcer de produire, année après année, une œuvre de qualité. Il y parvient, non pas en se réinventant, mais en multipliant les collaborations et en jouant à la marge avec une formule éprouvée, celle de l’alternance calme-tempête, parfois entrecoupée de passages plus planants ou atmosphériques.
Sur ce disque, Cult of Luna reprend les choses là où il les a laissées sur The Raging River, un EP assez copieux pour constituer un album pour 90 % des groupes actuels qui lui-même s’écoutait comme une coda vis-à-vis de son prédécesseur, A Dawn to Fear. Ce disque-là s’écoutait d’ailleurs comme une sorte de retour à la forme, un prolongement de l’esthétique claustrophobe et implacable des débuts du groupe, notamment le fabuleux et assez sous-estimé The Beyond. Rythmes martiaux, riffs entêtants et longues explorations guitaristico-synthétiques. Le groupe semblait y faire tout ce qu’il savait faire, mais en mieux. The Raging River continuait de me passionner, notamment, parce qu’il était plus digeste et aussi bien sûr pour sa remarquable collaboration avec le regretté Mark Lanegan. Sur The Long Road North, je continue à être impressionné par la ténacité de ce groupe, par son énergie collective, son caractère quasi-indestructible. Je ne m’ennuie pratiquement jamais et je me sens prêt à dire adieu à ma nuque tant chaque mouvement me donne envie de la balancer d’avant en arrière. Oui, mais voilà : si je sors un tant soit peu de la satisfaction purement épidermique que ce nouvel album m’apporte et que je décide de m’y pencher avec plus de recul, certaines choses commencent à me gêner aux entournures. D’abord, l’album est à ce point proche du précédent que le « Cold Burn » sur lequel il démarre me semble un décalque de « The Silent Man », l’effet de surprise en moins. Ensuite, j’avoue que certains éléments comme cette batterie quasi-tribale, ultra calibrée, finissent par me lasser. J’aimerais bien entendre le groupe tenter des choses nouvelles rythmiquement et ce n’est clairement pas pour cette fois, à part à une occasion que je mentionnerai ci-dessous. Autre objet de lassitude : les growls de Johannes Persson, toujours efficaces, ne semblent que peu évoluer d’un disque à l’autre. On est content que Fredrik Kihlberg vienne lui donner le change sur le très réussi « Into The Night », l’une des pauses respiratoires d’un disque dense et parfois un brin étouffant. Encore une fois, le salut vient également des collaborations, avec Mariam Wallentin sur « Beyond I » et avec Colin Stetson sur « Beyond II », ce dernier semblant ces dernières années une sorte d’invité obligé sur tous les disques de la galaxie « post-machinchose ». Plus intéressante encore est l’intervention des Christian Mazzalai et Laurent Brancowitz, de Phoenix, dont le batteur n’est autre que celui de CoL, ce qui permet sur le très réussi « Blood Upon Stone » de proposer la seule véritable innovation stylistique de l’album sur un passage presque yacht rock dont les Français ont le secret, ce dernier débouchant néanmoins sur un retour à la lourdeur caractéristique des Suédois.
Au-delà de ces quelques variations, on retrouve tout le savoir-faire d’un groupe content d’être arrivé à une telle plénitude de son style et qui semble clairement prendre plaisir à continuer son bonhomme de chemin et à évoluer dans la continuité. Pour résumer : si vous avez aimé l’album et l’EP précédents, vous serez sans doute convaincus par cet opus-là aussi. (Mais si sur le prochain, CoL ne propose pas une évolution notable de son esthétique, je ne sais pas ce que je vais bien pouvoir écrire dans la prochaine chronique !)
Yann Giraud