Bonnie « Prince » Billy – Purple Bird

Posted by on 5 mai 2025 in Chroniques, Incontournables, Toutes les chroniques

(Domino, 31 janvier 2025)

En 2004, le toujours prolifique Will Oldham a sorti, sous le nom de Bonnie « Prince » Billy, un album de reprises de son tout premier projet musical, Palace Music, enregistré à Nashville avec des musiciens professionnels. Rarement considéré comme l’un de ses meilleurs disques – il faut dire que les versions originales sont perçues comme des chefs-d’œuvre de l’americana –, l’album se distinguait de ses précédents opus par un son ultra léché et des interprétations sans bavure, tranchant sérieusement avec le style lo-fi auquel il nous avait habitués. Le disque s’inscrivait dans une série d’albums collaboratifs destinés à brouiller les pistes sur la musique de Will Oldham. Quelque temps plus tard, le sublime album de Bonnie « Prince » Billy avec Tortoise allait s’inscrire dans cette veine, même si, forcément, collaborer avec un groupe post-rock de Chicago est plus proche des attentes du public « indie ». Il n’empêche que l’album révélait son penchant pour une musique très éclectique et parfois commerciale, avec des reprises d’Elton John, de Bruce Springsteen ou de Don Williams. Oldham a aussi repris R. Kelly sur un EP, et a été très clair en interview sur le fait qu’il considérait ce dernier comme un grand songwriter. Oldham ne pratique donc pas la reprise comme un exercice décalé, mais comme une manière de rendre hommage à l’art de la chanson et aux multiples façons de l’interpréter. Dans une longue interview donnée au guitariste Alan Licht, il révélait d’ailleurs que l’album Sings Greatest Palace Music ne devait pas, à l’origine, être chanté par lui, mais par Don Williams, en duo avec Emmylou Harris. Tout cela pour dire que si vous êtes entré dans la musique de Will Oldham par sa porte la plus « indie » – disons Days in the Wake ou I See a Darkness – et y avez vu une certaine pierre de touche d’une forme d’adhésion à une certaine idée de l’artisanat, vous n’avez peut-être pas totalement saisi qu’Oldham lui-même se fiche pas mal de ces guéguerres commercial/non commercial, indie/mainstream…

Ce qui nous amène droit vers ce Purple Bird, sorti il y a quelques semaines, et qui est l’un des rares disques de l’artiste à être produit par un véritable producteur. En l’occurrence, il s’agit de David Ferguson, qui était ingénieur du son pour Johnny Cash, qu’il rencontra en 1982 et pour lequel il officia notamment sur la série des American Recordings produite par Rick Rubin. C’est évidemment dans ce cadre que Cash enregistra « I See a Darkness », écrit par Oldham et sur lequel ce dernier intervient aux chœurs. Oldham a donc souhaité confier les clés de sa musique à ce producteur et faire un disque à nouveau enregistré avec des musiciens de Nashville, dont le joueur de mandoline et de fiddle Tim O’Brien. Le résultat est, comme on peut s’y attendre, l’un des disques les plus soignés de Bonnie « Prince » Billy depuis l’album de reprises de Palace. Mais est-ce une bonne ou une mauvaise chose ?

Avant d’aller plus loin, je dois dire que j’ai toujours considéré qu’il y avait, en gros, deux types de disques de Bonnie « Prince » Billy, si l’on fait abstraction des multiples collaborations plus ou moins atypiques du bonhomme, dont celle avec Tortoise mentionnée plus haut : des disques de folk des Appalaches, plutôt contemplatifs – je pense par exemple à The Letting Go ou, plus récemment, à Keeping Secrets Will Destroy You – et puis, il y a ceux qui sont plus « country », comme Lie Down in the Light ou Wolfroy Goes to Town. Des disques d’Indiens d’un côté, et des disques de cow-boys de l’autre. Or, plus le temps passe, et plus je réalise que ce sont vers les seconds que va ma préférence. Dans un écrin quelque peu conservateur, la voix et le sens mélodique inégalables de Will Oldham me semblent en effet trouver leur meilleure place. Ce disque ne fait pas exception. Il est tout simplement touchant du début à la fin. Il y a, au début de l’album, « London May », qui fait évidemment penser à « I See a Darkness », et la sublime ballade « Is My Living in Vain? » sur la fin, qui semble lui répondre. Il y a des morceaux plus enjoués comme « Guns Are for Cowards ». Il y a aussi un duo magnifique avec John Anderson (« Downstream »). Les instrumentations sont précises, le son plein, la voix d’Oldham bien en avant, mettant en évidence son vibrato expert et sa sensibilité exceptionnelle d’interprète. C’est tout simplement l’un de ses meilleurs disques de ces vingt dernières années. On ne tentera pas de le comparer à Viva Last Blues ou I See a Darkness, disques qui sont à ce point des classiques qu’ils sont hors catégorie dans la discographie du bonhomme, mais l’album se place assez bien au niveau de Ease Down the Road (2000), Lie Down in the Light (2008) ou Beware (2009), pour ne citer que quelques-uns de ses disques les plus aboutis. Si vous aussi, vous les comptez parmi vos préférés, ruez-vous sur ce nouvel album.

Yann Giraud

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