…And You Will Know Us By The Trail of Dead – X: The Godless Void and Other Stories

Publié par le 19 février 2020 dans Chroniques, Notre sélection, Toutes les chroniques

(Dine Alone, 17 janvier 2020)

Autant le dire tout de go : si j’avais écrit cette chronique il y a quelques semaines, mon avis aurait sans doute été moins enthousiaste. Il faut dire qu’…And You Will Know Us By The Trail of Dead (que l’on se limitera à désigner par « ToD » dans le reste de cet article) a, depuis plus de quinze ans, toujours eu le chic pour entretenir les malentendus à son sujet. Apparu à la fin du siècle précédent, le groupe d’Austin triompha (artistiquement) grâce à son deuxième album, Madonna, sorti chez Merge en 1999, puis Source Tags and Codes, son premier disque pour la major Interscope, auréolé d’un 10 chez Pitchfork en 2002. Mélangeant la rage post-hardcore et emo d’un At The Drive-In avec l’indie rock racé de Sonic Youth, tout en ajoutant un brin de southern gothic, la formation emmenée par Conrad Keely et Jason Reece, deux multi-instrumentistes se relayant au micro, à la guitare et à la batterie, se devait de réaliser son disque de la consécration avec Worlds Apart, sorti en 2005. Malheureusement, ce dernier représenta un premier tournant déconcertant pour le groupe. Clairement porté par la vision de Conrad Kelly, quand le prédécesseur était une œuvre plus collaborative, ce disque offrait une production plus claire, des voix en avant et de gros refrains mélodiques que n’auraient pas renié un Green Day. Ce tournant plus « commercial » (malgré quelques morceaux longs et ambitieux) ne découragea pas tous les fans, loin de là, mais provoqua l’ire de la presse musicale branchée qui se mit à taper sur le groupe qu’elle avait tant loué trois ans auparavant. So Divided, plus progressif mais restant dans la veine « emo » du précédent, mit fin à la période Interscope : le groupe, qui avait perdu les faveurs de la critique, n’avait pas conquis un public suffisamment large pour se hisser au niveau d’un Queens of the Stone Age. Depuis une grosse dizaine d’années et son retour dans le monde des indépendants, ToD a toujours semblé être un groupe convalescent, cherchant à se remettre de sa mésaventure sur Interscope en enchaînant les bons disques sans toutefois faire de l’ombre aux chefs-d’œuvre des débuts. X: The Godless Void and Other Stories, sorti six ans après IX – quelle originalité ! – allait-il enfin représenter un retour aux vertes années de Madonna et ST&C ?

La première écoute, comme je l’ai suggéré au début de cet article, suscita un sentiment de frustration. Je ne reconnais pas la voix de Conrad Keely. Il ne chante pas mal, bien au contraire, mais il n’est pas lui-même : il sonne comme un mélange de Lee Ranaldo et de Bob Mould. Ok, on a fait pire comme références, mais ce n’est pas la voix du post-adolescent habité que nous avions connue, un peu éraillée et rebelle. C’est celle d’un artiste en milieu, voire fin de carrière, qui n’a plus envie de prouver quoi que ce soit. La musique va un peu dans ce sens. Bien que toujours imprégnée d’une forme de lyrisme qui ne lui a jamais fait défaut, ToD abandonne ici ses longs morceaux à visée progressive et se contente d’écrire des chansons. La rage est encore présente, par exemple sur « Into The Godless Void » chantée par Jason Reece, mais elle semble contenue, jamais totalement affirmée. Le single « Don’t Look Down » est très efficace, mais il fait plus penser à du R.E.M. période Green et Out of Time qu’à ce que l’on attend de ToD. Ailleurs, comme sur « Children Of The Sky », le groupe sonne presque comme Oasis et on sent globalement un tropisme britannique sur des morceaux qui semblent lorgner du côté de The Verve et Spiritualized. On se demande alors si Conrad Keely et consorts ne se sont pas un peu perdus en chemin. Et puis, on écoute et on réécoute ces morceaux en finissant par mettre de côté notre anticipation de ce que devrait être un disque de ToD et en se contentant de ce qu’on a, et qui n’est pas rien : de bonnes chansons. Car Madonna et ST&C n’étaient pas basés sur le songwriting mais sur l’énergie et l’ambiance. Le fait qu’à l’époque le groupe était encore vert, parfois pas techniquement à la hauteur de ses ambitions, conférait à sa musique un charme indéniable – un aspect King Crimson joué par Nirvana.
Si on met de côté cet aspect et qu’on réalise que le groupe est aujourd’hui techniquement plus habile, tant du point de vue de l’interprétation que de la production, il faut se rendre à l’évidence : The Godless Void contient sa collection de chansons pop la plus parfaite depuis ses débuts. Rappelons tout de même que Conrad Keely va sur ses quarante-huit ans et qu’à cet âge-là, Pete Townshend et Jimmy Page étaient has been depuis bien longtemps. Soyons alors reconnaissant que ToD puisse encore étonner avec le magnifique « Gravity », chanson gigogne dont la mélodie ne s’offre qu’au détour d’un changement de cap à la toute fin, et espérons que le groupe saura ne pas s’arrêter là et nous proposer une suite de ce calibre sans que nous ayons à attendre six années de plus.

Yann Giraud

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