A Void – Dissociation
Quand on écoute du grunge depuis 25 ans, devient-on particulièrement exigeant envers les petits nouveaux qui évoluent dans ce style ou notre appétence pour cette musique nous rend-elle d’emblée plus réceptif ? Probablement un peu des deux. En tout cas, notre curiosité est immédiatement piquée. Groupe franco-anglais qu’on aurait volontiers imaginé de Seattle ou Los Angeles, A Void sort son second album qui ne révolutionne rien (comme 98,6 % des disques chroniqués en ces pages) et n’évite absolument pas la redite avec nombre de formations des glorieuses 90s. L’essentiel est évidemment ailleurs. Parfois, il faut savoir revenir aux bases. Trouver l’efficacité dans la simplicité. En cela, A Void remplit parfaitement son office. Camille Alexander est dotée d’un joli brin de voix. Son chant est très mélodique et elle sait pousser quelques gueulantes quand la guitare pique des accès de colère. C’est suffisamment crade, mais c’est également – surtout – très pop. Au sens noble du terme. Comprendre : cela ne rentre pas par une oreille pour mieux ressortir par l’autre, ça se fait une petite place au chaud et ne vous lâche pas de sitôt. Le duo basse-batterie ne se contente pas de jouer l’accompagnateur docile désespérément neutre mais se révèle plutôt inventif et fait groover l’ensemble. Dissociation ne manque pas de qualités, ni de titres marquants, et le prouve dès l’entame avec le redoutable « Sad Events Reoccur » scindé en deux parties. Point trop hurleur mais sérieusement accrocheur, à l’image de « Stepping on Snails » aux riff, refrain et gimmicks des plus réjouissants. Et la chanteuse de se permettre un « lalala » carrément cool. Généralement, ce genre de fantaisie vocale constitue un bon test. Soit elle sonne parfaitement ridicule, niais ou les deux, soit elle fonctionne à pleins tubes. Test passé haut la main. Et confirmation un peu plus loin avec ce « Newspapers » absolument imparable qui ose même la double pédale et le chant growlé. Bigre ! Solides, ces jeunes gens, se dit-on alors. Solides et conscients de leurs points forts, ils ont choisi des singles fort à propos et le reste de l’album pâtit quelque peu de la comparaison, à l’image d’une deuxième moitié moins palpitante, symbolisée par « Sick as a Dog » et « 5102 », gentiment lisses et par trop radio-friendly. C’est bien là le principal reproche qu’on pourrait faire à ce groupe : sa désinvolture et fraicheur confèrent à Dissociation un côté indéniablement agréable mais aussi un peu convenu, mettant en lumière un certain manque d’épaisseur. Reste que le power trio semble guidé d’intentions nobles et d’une parfaite sincérité. Et il est également capable de soigner ses sorties, à l’image du final noisy de « One of a Kind » ou celui très mélodique, solo inclus, de « Bag of Skulls ».
Dans la lignée des Mary Bell et SheWolf, voici donc un autre groupe de chez nous qui fait preuve d’un vrai talent de composition, a effectué de beaux progrès par rapport à son premier album, et séduit sans peine l’éternel grungeux que je suis. Il devra toutefois affirmer un peu plus sa personnalité s’il souhaite marquer davantage les esprits. Comme le fabuleux et inoubliable Fontanelle de Babes in Toyland – filiation évidente même si on pense surtout à Hole – qui vient de fêter ses 30 ans. On ne parlera certainement plus de Dissociation dans trois décennies, peut-être même pas dans trois ans, c’est toutefois un disque qui devrait compter dans la carrière des enthousiasmants A Void.
Jonathan Lopez