Ty Segall – Three Bells

Publié par le 25 janvier 2024 dans Chroniques, Notre sélection, Toutes les chroniques

(Drag City/Modulor, 26 janvier 2024)

Passé le garage fiévreux et terriblement efficace des débuts, Ty Segall avait sorti avec Manipulator (2014) un album glam/garage/psyché flamboyant et d’une grande générosité qui en avait épaté plus d’un et demeure une étape charnière de sa discographie. Depuis, dans une quête perpétuelle (et fort louable) de renouvellement, il semble encore parfois se chercher et nous convainc assez rarement.

C’est donc davantage guidés par la curiosité que l’excitation que nous avons jeté une oreille à ce nouvel album (le jour où l’on sera guéri de ce prétendu défaut, pensez à nous prévenir d’arrêter d’écrire sur la musique). 

Une curiosité d’emblée aiguisée par l’impressionnante « The Bell » en ouverture. On y retrouve un Ty inspiré, libéré de tout carcan, comme s’il se foutait du qu’en écrira-t-on. Segall peut sembler en roue libre mais maîtrise parfaitement son sujet, virevolte, saute d’une idée à l’autre, tout en conservant son habituel sens mélodique, toujours affûté. Preuve ultime avec l’irrésistible « My Room », probablement ce qui se rapproche le plus d’une chanson pop dans ce disque, à laquelle il est difficile de ne pas devenir accro.

S’il ne nous avait pas marqué outre mesure, le précédent album acoustique, Hello,Hi, a eu le mérite de stimuler son auteur et sans doute infuser ce nouvel effort qui poursuit dans une veine introspective similaire. Mais avec une ambition tout autre.

Planté derrière sa batterie ou explorant son manche de guitare, Segall est allé puiser au fond de son esprit qu’on n’imaginait pas si tourmenté (conversant d’ailleurs avec lui-même, nous souffle-t-on dans le communiqué de presse) pour dégainer ce double album ô combien généreux, personnel et varié. À défaut de susciter une exaltation de tous les instants, Three Bells vous stimulera à maintes reprises et séduira par ses mélodies bancales, incertaines, parfois vite rangées pour mieux ressurgir.

L’album peut ainsi évoquer le très bon The Wink de Tim Presley (White Fence) passé sous les radars alors qu’il avait une personnalité dingue. Celui-ci est bien moins imparfait mais non moins singulier, à l’image de l’étonnant « Void », aux contours prog, d’abord désabusé avant de prendre une ampleur inattendue.

Le Californien passe avec un talent intact et une aisance bluffante du coq à l’âne, du jubilatoire au plus complexe (« Hi Dee Dee », « My Best Friend » précédant la nonchalante « Reflexion », ou encore « Watcher », moins exubérante que « My Room » mais transcendée par des guitares superbes et une mélancolie touchante).

Moins glam, pas nécessairement garage, convoquant un psychédélisme retors, ce nouvel album peut dérouter de prime abord mais l’auditoire fidèle du blondinet créatif ne sera pas totalement déboussolé non plus. Three Bells consacre un auteur talentueux, à l’esprit bouillonnant, qui ne s’est jamais laissé griser par sa popularité et a su rester fidèle à ses convictions, suivre ses humeurs et lubies du moment. C’est peut-être parce qu’on vieillit, comme lui, mais finalement ça a parfois du bon quand la fougue et l’insouciance cèdent place à la maturité.

Jonathan Lopez

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