5 chansons, 5 disques par François Corbier

Publié par le 7 octobre 2017 dans 5 chansons, 5 disques, Interviews, Notre sélection, Toutes les interviews

À l’occasion de la sortie du documentaire “Des Traces Dans La Mémoire Des Masses” le 18 octobre et avant de pouvoir enfin revoir l’artiste à Paris (à la Sorbonne) le 24 du même mois, nous avons encore eu le plaisir d’échanger par téléphone avec Corbier sur 5 de ses chansons et 5 chansons d’artistes qu’il aime.

 

 

1 – Sans Ma Barbe (single, 1988)

Cette chanson est partie d’un gag. Je cherchais des idées de chansons et celle-ci est venue facilement. J’avais envie de dire des âneries et ce thème s’y prêtait assez bien. À partir du moment où je n’ai plus de barbe, le monde est différent, c’était une blague. J’étais persuadé que quand j’allais montrer cette chanson au producteur Jean-Luc Azoulay, il allait la mettre de côté car elle ne voulait rien dire et qu’il prendrait plutôt les autres. Pas du tout, c’est l’inverse qui s’est produit. Il m’a dit « celle-là est vraiment rigolote, on va l’enregistrer. » Je suis tombé des nues, j’avais écrit une chanson pour déconner et c’est celle-là qui a été gardée. Il parait que ça arrive assez régulièrement qu’une chanson écrite sans conviction soit retenue par rapport aux autres. C’est assez cocasse.

 

Il y a un nombre de jeux de mots phénoménal dans cette chanson.

J’aime bien faire des calembours, sans être un grand spécialiste. Pour cette chanson, je voulais surtout jouer sur les prépositions et les verbes, là où il devrait y avoir une préposition, j’ai mis un verbe ce qui crée un décalage un peu bizarre. C’était pas très compliqué à faire, c’était juste pour s’amuser. C’était l’idée de créer quelque chose d’assez surréaliste.

Il n’y a pas de sens profond, mais ce qui est assez rigolo, c’est qu’il m’est arrivé de me faire engueuler par des gens qui me reprochaient un sens caché dans la chanson, de dire par exemple « il n’y a plus de consensus » en voulant dire « con sans suce », ce qui était tout à fait voulu. On me disait « vous devriez avoir honte de dire ça dans une chansons pour enfants ! », mais les gens qui me disaient ça sont des gens qui n’ont aucune connaissance du folklore, qui ne savent pas que les enfantines historiques sont 9 fois sur 10 destinées à des adultes. Il y a toujours eu et il y aura toujours des chansons destinées aux adultes qui tomberont dans les oreilles des enfants, qui s’ils sont bien élevés ne comprendront pas. Si les enfants comprennent, les parents ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes.

 

J’avoue que le « Cuba sans cacao » m’a laissé perplexe pendant longtemps.

Tu veux dire que ça te faisait rire ? Ah non, tu ne comprenais pas. Et bien, tu vois.

 

Il y a du jeu de mot pour le plaisir du jeu de mot, mais certaines références sont assez poussées. 

Ça n’a pas de très grande importance. Le truc, ce n’est pas de se demander si tout le monde va comprendre, mais de faire quelque chose qui amuse l’auteur. S’il s’emmerde en s’interdisant de dire ceci ou cela, il ne fera pas une bonne chanson, mais un truc pour gagner du fric. S’il en gagne, tant mieux pour lui, sinon c’est bien fait pour sa gueule. Ce sont des questions à la con qui ne servent à rien. Il faut écrire parce qu’on a envie, ou besoin d’écrire. Le reste est accessoire.

En plus, quelqu’un qui veut vraiment comprendre peut toujours chercher dans un dictionnaire.

 

On vous a fait des reproches sur cette chanson, donc ?

Oui, mais très peu. Quelques connards sont venu me dire ça, mais pas une foule gigantesque. Juste quelques gens incultes et bavards ! (rires) Ces gens-là m’emmerdent ! Ils n’ont qu’un intérêt relativement relatif.

 

Et ils jugent pour l’enfant, les enfants n’ont pas été traumatisés par cette chanson.

Jamais aucune chanson destinée à des adultes n’a traumatisé un enfant, il n’y a que des adultes pour penser ça. C’est pour ça que les chansons sont de plus en plus tartes, c’est parce que les adultes sont incultes. Comme ils ne comprennent pas, ils ont peur que ça choque les moutards, qui ne sont jamais choqués. Eux reçoivent et s’en servent ou pas.

 

 

2 – R.I.K. (Carnets Mondains, 2001)

Je me suis inspiré d’une musique de Dylan, « Who Killed Davey Moore? ». Elle a été adaptée en français par Graeme Allwright. Je suis parti du même principe, c’est-à-dire que quand il y a un drame, ce n’est jamais la faute de personne. La chanson de Dylan raconte l’histoire d’un boxeur mort sous les coups de son adversaire, l’adversaire dit « c’est pas moi, je n’ai fait que mon métier », le public dit « c’est pas nous, on est juste venu voir un beau combat », l’arbitre dit « j’aurais pu arrêter le combat mais ce n’est pas de ma faute, je me serais fait huer », voilà, c’est jamais de la faute de personne. Et lors du naufrage de ce navire, j’avais envie de raconter la même chose. Et je me suis dit que tant qu’à raconter la même histoire, autant m’appuyer sur la musique de Dylan. J’ai fait ce que lui-même fait, il écrit des chansons en s’appuyant sur des vieux blues ou des classiques folk qu’il modifie harmoniquement ou qu’il simplifie dans la ligne mélodique. J’ai fait pareil, ça se ressemble, mais c’est fait exprès, pour raconter que personne n’assume la responsabilité de ce naufrage, c’est la faute des petits oiseaux !

 

Vous avez connu la version de Dylan en premier.

Je pense que c’est par Graeme Allwright que j’ai connu la chanson, avant d’entendre celle de Dylan. Comme je parle extrêmement mal anglais, il a fallu qu’on me traduise. Mais il n’y a pas tellement de miracle, souvent quand on écrit des chansons dans ce registre, c’est en s’appuyant sur les autres ! Je n’ai pas trahi le système.

 

Cette chanson découle d’un engagement écologique ou c’était plus lié à l’actualité ?

Je me sens proche des mouvements écolos, mais ce n’est pas une chanson militante. C’est une chanson pour mettre le doigt sur la lâcheté humaine. C’est ça, mon but, ce n’est pas de dire qu’il faut sauver les océans, même si ça me parait naturel. Simplement, c’est pour dire que l’Homme est un individu bizarre, ce n’est jamais de sa faute. C’est abominable, ça me choque presque plus que le pétrole déversé dans la mer, la lâcheté de ces gens qui refusent de reconnaitre qu’ils ont fait des saloperies. C’était plus le contexte.

 

 

3 – J’arrive Chez Elle (Toi, Ma Guitare Et Moi, 2003)


Vous vouliez faire une valse ?

Moi, je ne suis pas un musicien du tout. Je compose des mélodies en fonction de ce que je suis en train de raconter.  Ça peut tomber sur une valse, un blues, un rock ou un tango, ce n’est pas la musique qui me motive à écrire une chanson, c’est d’abord le texte, raconter une histoire et là-dessus des notes viennent, et je garde la musique si ça me plait.

 

À quel moment vous vous dites que celle-ci sera plus une valse ou un tango ?

En essayant plein de choses, à un moment ça me plait. Il n’y a pas de raisonnement, c’est très naturel. Quelqu’un de très doué en musicologie ne serait peut-être pas du tout d’accord avec mes choix, c’est possible, je m’en fous. J’écris des chansons pour les donner à ceux qui les veulent, si ces gens sont heureux, tant mieux, sinon tant pis. Comme disait Brassens, « si ça me plait, je les sors dare-dare, si ça me plait pas, je les remets dans ma guitare. » Il n’y a rien de plus derrière.

 

Y a-t-il une part d’autobiographie dans une chanson comme celle-là ?

Peut-être que tu me dis ça parce que cette chanson est à la première personne, ce qui donne l’impression qu’il s’agit de moi. En réalité, ce n’est pas moi du tout, c’est une histoire comme un réalisateur de film ou un écrivain pourrait raconter, c’est ce qui me plait dans la chanson et aussi d’ailleurs dans la littérature. J’aime raconter des histoires. Il ne faut pas du tout les prendre pour la réalité, même si on peut se laisser embarquer.

 

Il peut y avoir une part de l’auteur, aussi, même si l’histoire n’est pas vraie.

Oui, effectivement, mais dans l’absolu, c’est uniquement l’envie de raconter un personnage et d’aller le plus loin possible dans ce personnage. Et de sourire à chaque couplet parce que ce que je raconte peut sembler invraisemblable. Il y a aussi des références à d’autres chanteurs, notamment un couplet où je dis « elles avaient toutes les deux épousé des jumeaux » et « elles avaient échangé leurs maris au bistrot ». Ça, je l’ai pompé chez Graeme Allwright, encore une fois, dans une chanson où il y a une histoire un peu similaire même si je ne pourrais plus te donner la référence exacte. Mais ça ne m’est pas arrivé, je n’ai jamais eu de relation sexuelle avec une amie de ma mère (rires), je n’ai pas d’amie qui vit dans une misère telle, c’était comme ça. Peut-être aussi que j’avais été influencé par la chanson de Renaud « La Mère à Titi » où il décrit un univers un peu tristounet. Je ne sais pas.

 

 

4 – C’était Le Bon Temps (Tout Pout Être Heureux, 2006)

T’as raison, ma colombe. Cette chanson un peu plus engagée que d’autres. Elle fait référence à un état d’esprit tout à fait crétin qui occupe le monde depuis des années, voire des siècles, où il y a toujours quelqu’un pour te dire qu’avant, c’était mieux. Mais avant quoi ? Avant quoi ? J’aimerais qu’on m’explique ! Quand quelqu’un me dit, « j’aurais voulu vivre à cette époque, c’était formidable », j’ai envie de lui dire qu’à l’époque en question, il aurait sûrement entendu quelqu’un dire « c’est bien des conneries, maintenant ! Avant, c’était mieux ! » C’est toujours mieux avant, mais c’est parfaitement idiot, ça ne veut rien dire !

Si on prend la télévision : lorsque des gens me disent que ce qu’on faisait avec Dorothée, c’était formidable, qu’est-ce que c’était drôle, maintenant la télévision c’est de la merde. Quand j’entends ça, je pense à ma maman qui me disait, quand je lisais un digest des Trois Mousquetaires, que c’était idiot et que ce serait mieux de le lire dans la version intégrale, que les auteurs d’avant étaient de vrais auteurs et que ceux de maintenant sont des tâcherons. Lorsque j’amenais Le Journal de Mickey ou Pif Le Chien pour aller chez mon grand-père, il s’insurgeait que j’aurais mieux fait de lire Poil de Carotte, qui est beaucoup mieux comme littérature, et ainsi de suite. C’est toujours mieux avant !

Je me dis que les gens qui raisonnent comme ça se mettent le doigt dans l’œil. C’est valable pour la littérature, pour le cinéma, pour la musique, pour la politique… Il n’y a pas de mieux avant ! Il y a de la littérature, de la musique, de la bd, qui plaisent à ceux qui la lisent ou l’écoutent, et il y a des politiciens qui sont et resteront des politiciens. On ne peut pas aller chercher du mieux dans un monde mort, ça n’existe pas. C’est des conneries.

 

Le choix de cette musique de cirque, c’était pour évoquer un univers nostalgique ?

Je sais pas. J’ai fait mes musiques en fonction de ce qui me plaisait.

 

Désolé, c’est moi qui suis mauvais journaliste, je pose la question, j’ai déjà la réponse.

(rires)

 

C’est une collaboration avec Nicole Rieux.

Oui, c’est une amie qui était d’accord pour participer, ça s’est fait très naturellement. Il n’y a pas grand-chose à raconter là-dessus. Je n’ai pas trop de souci avec les gens qui me connaissent un peu, ça se passe très bien en général. Si j’étais copain avec des gens qui vendent beaucoup de disques actuellement, peut-être qu’ils accepteraient de venir chanter sur mon disque. C’est plus facile de le faire avec des amis qu’avec des inconnus. Surtout quand tu dis à quelqu’un qui vend 300 000 disques ou plus « allez viens, on fait un disque ensemble, on en vendra 50 », ça doit freiner un peu ! (rires)

 

Ça vous fait quoi, vous qui êtes anti-nostalgie, d’être devenu une icône nostalgique pour toute une génération ?

Ça aussi, c’est vachement bizarre, parce que j’ai fait une émission de radio il y a quelques mois, pendant l’été, sur une radio généraliste, et le type m’a demandé « qu’est-ce que vous devenez ? » C’était la première question et ça m’a foutu en colère. J’ai répondu : « je deviens ce que vous avez fait de moi, c’est-à-dire rien. Vous ne passez pas mes disques, je fais un livre, vous n’en parlez pas, et vous me demandez ce que je deviens ! » Un artiste ne vit publiquement que par les médias, si aucun média ne passe mes chansons, si on ne m’invite pas à la télévision, si on ne parle pas de mes bouquins, je ne suis publiquement rien. Là-dessus, on me dit que je suis une icône, mais je n’en sais rien. Nulle part on ne m’invite en tant qu’auteur actuel.

 

On vous invite en tant que référence à une période. 

Ça doit être ça. Mais lorsque mon agent est contacté pour que je participe à ce genre d’émission, on les prévient bien. On leur dit que je viens de faire un album, ou un livre, de ne pas me parler uniquement des anecdotes de l’époque Dorothée. Ce n’est pas que je les renie, simplement ce n’est pas mon actualité, donc je préfère parler d’autre chose. Commencer en parlant de ça, en me demandant ce que je deviens, c’est par rapport à ce qu’ils connaissent de moi, c’est-à-dire rien puisque ça fait vingt ans qu’ils ne m’invitent pas. Donc ça m’a énervé. Je reconnais que j’ai eu tort.

 

C’est vrai que vous avez fait 15 ans de télé, mais ça fait aussi 15 ans que vous êtes revenus à la chanson. 

Je ne peux pas en vouloir au public, les gens ont les références qu’on leur propose. C’est évident que si on m’invite nulle part, les gens resteront toujours attachés à ce qu’ils connaissent de moi. C’est normal. L’autre jour, quelqu’un m’a appelé et quand je lui ai dit que je faisais des disques depuis 15 ans et des bouquins, il est totalement tombé des nues. Pour lui, je ne faisais rien depuis le Club Dorothée et je vivais de mes rentes.

 

Rentes qui ne doivent pas être énormes, en plus.

(rires) c’est une façon de dire. Je ne touche rien sur les rediffusions ou quoi que ce soit. Après, je ne peux pas non plus en vouloir aux radios de ne pas m’inviter, c’est que je ne corresponds pas à quelque chose d’actuel qu’ils pourraient avoir envie de diffuser. Je comprends ça. Ce qui me gêne, ce n’est pas qu’on ne parle pas de moi ou de qui que ce soit, c’est plus l’impact que l’annonceur ou l’animateur a sur les gens à qui il s’adresse, et qui lui font confiance.

Mais pour ce qui est de la nostalgie, je ne sais pas s’il y a une échappatoire à ça. Quand j’écris dans une chanson « Capitaine, qu’est-ce qu’il faut faire/pour quitter la galère ?», il est évident que je n’ai pas la réponse. Et qu’on me ramène tout le temps à des choses qui n’existent plus. Je comprends que les gens soient nostalgiques, comme l’écrivait Jean Ferrat « nul ne guérit de son enfance », mais je cherche ce qu’il faut faire pour avancer, car c’est ça le but d’un être humain !

 

Si vous trouvez la réponse, partagez-là !

(rires) C’est marrant, parce qu’il y a quelques temps, un mathématicien qui a eu la médaille Fields, invité chez Ruquier, a dit qu’il écoutait Renaud et Corbier. Tout le monde s’est marré en prenant ça pour une blague, et il a répondu très sérieusement d’écouter ce que je fais maintenant, que ça n’a rien à voir avec ce qu’ils connaissent. C’était extrêmement flatteur pour moi, et en même temps, ça a foutu une espèce de malaise sur le studio car personne ne comprenait de quoi il s’agissait.

 

5 – La Vague (Vieux Lion, 2015)

A écouter ici

Il y a des chansons que j’écris et que je ne chante jamais une fois enregistrées, donc je les oublie un peu. Celle-ci, je la chante de temps en temps. C’est une chanson un peu anar, il faut tout balayer, tout raser. Mais je suis un peu emmerdé, car quand je l’ai écrite, il n’y avait pas eu toute cette série d’attentats. Alors, on pourrait croire que je donne mon aval à tous ces cons qui ont massacré mes copains dans leurs journaux alors qu’ils sont en train de dessiner ou qui tuent des flics ou je ne sais quoi. Mon but, n’est pas là.

Mon but, c’était de raconter une fiction, parce que Paris pue et c’est devenu insensé, on ne peut plus y circuler, on s’y emmerde, et c’est un coup de gueule. Ce n’est que ça, une vague qui vient, qui nettoie tout et qui en profite pour nettoyer ce que je n’aime pas, les lieux consacrés, églises, mairies, et ainsi de suite. C’est une chanson anar, quoi ! Mais ce n’est pas pour ça qu’il faut raser Paris, tuer tout le monde et tout casser.

 

Je ne pense pas qu’on puisse le prendre comme un appel à la violence, encore moins religieuse !

Pour revenir un peu sur le fait qu’on ne m’invite pas en radio ou télévision, il doit y avoir une part de responsabilité pour ces chansons-là. On se dit peut-être que je suis un peu fêlé, que je vais venir et dire qu’il faut pendre les curés et que la liberté viendra quand on aura pendu le dernier homme politique avec les boyaux du dernier flic, ou un truc comme ça. Tout ça, c’est des conneries, je suis sans doute un peu anar, mais un anar non violent, qui aspire simplement à ce qu’on vive tous ensemble le mieux possible pour le temps qu’on a à passer sur Terre.

 

C’est possible, mais certains ne savent simplement pas ce que vous faites, à mon avis.

C’est vrai que ce que j’ai à dire n’intéresse pas tellement. La chanson, c’est devenu pour les médias un moyen de garder du public pour que les marques puissent vendre leurs produits. À partir de là, ce que raconte la chanson, on s’en fout complètement. Il vaut mieux même qu’il n’y ait pas d’idées, derrière, c’est pour ça qu’il y a tant de chansons d’amour. Parce que ce n’est pas la peine d’aller chercher des sujets plus importants ou plus graves, les annonceurs n’ont pas envie d’entendre ça et surtout que les gens ne se posent pas de questions.

 

Les choix de Corbier :

Barbara – La Femme d’Hector (1959)

J’aimais beaucoup Barbara, je trouvais que c’était un personnage de roman. Elle était fêlée, mais en même temps passionnante, d’une générosité incommensurable avec un désespoir très profond. Et puis, elle avait ce clin d’œil, elle aimait les gens, les faire rire. C’était un personnage.

Lorsqu’elle chantait « La Femme d’Hector », elle le faisait avec un humour, le sourire au coin des lèvres, un plaisir sensible. C’est merveilleux.

 

Barbara est connue pour sa voix, c’est étonnant qu’elle chante Brassens, l’anti-chanteur à voix.

Parce que lui avait une voix grave un peu atone, mais ses mélodies sont extrêmement complexes et pas si simples à chanter. Je pense à « Au Bois de mon Cœur », par exemple. Il faut se sortir de la tête que les chansons de Brassens sont faciles. Évidemment, c’est plus rengaine que d’autres auteurs car il y a beaucoup de couplets, donc la mélodie revient vite, mais c’est très différent d’une chanson à l’autre.

Barbara, j’ai eu la chance de la rencontrer très peu de temps. Elle était venu sauver un petit cabaret rive gauche qui s’appelait l’Écluse, qui est devenu un bar à vin, maintenant. Comme Jacques Brel l’avait fait à l’Échelle de Jacob, à l’époque où les cabarets d’auteur se cassaient la gueule parce que le public ne suivait plus, elle était venue rendre service aux patrons car c’est là qu’elle avait eu ses premiers succès. C’est marrant car pendant une semaine, ces petits cabarets étaient archi-bourrés. Ça a fait du bien à la trésorerie. J’avais apprécié ce geste, et on s’était retrouvé au bistrot à se raconter des choses. Au bout d’un moment, peut-être une demi-heure à discuter en face d’elle, Barbara nous dit qu’elle doit y aller, elle s’en va et 5 minutes après je me rends compte que j’ai oublié ma guitare dans la loge. J’arrive à l’Écluse, je toque à la porte de la loge, Barbara ouvre, me dévisage et me dit « on se connait ? » (rires) Il faut dire qu’elle était miro comme une taupe, quand elle a ouvert la porte sans ses lunettes, elle n’a pas dû me reconnaitre. Et puis, on ne se connaissait pas vraiment.

 

Georges Brassens – Les Copains D’Abord (1964)

Avec Brassens, c’est une histoire plus complexe, je lui dois énormément. Je lui avais présenté quelques-unes de mes chansons à 17 ans, sans trop savoir l’impact qu’il avait sur la littérature et la chanson française. C’est déjà chouette qu’il nous ait reçus dans sa loge à Bobino. Ma guitare était fausse, j’arrivais pas à l’accorder, donc il m’avait prêté la sienne ! Il m’avait encouragé à continuer.

On s’est revu une ou deux fois, à l’occasion. Il m’avait croisé et il m’avait simplement dit « tu vois, je te l’avais dit. » Ce qui veut dire qu’il se souvenait de l’époque où j’étais allé le voir en loge à 17 ans, j’en avais peut-être 35. Ça m’a énormément touché, puisque je m’en souviens encore !

 

Pourquoi cette chanson ?

D’une part, parce que c’est un texte qui est extrêmement bien écrit. Il y a la référence à Castor et Pollux. Même si on ne comprend pas de quoi il s’agit, ça ne fait rien, on est emporté par l’histoire et par la musique. Les copains d’abord, c’était vachement important. À l’époque, on était tous des copains, la radio n’utilisait que ce mot-là, il y avait l’émission phare Salut Les Copains. Faire une chanson sur les copains, c’était très touchant venant de la part de quelqu’un dont on ne s’attendait pas à ce qu’il fasse ça. J’aime aussi cette musique New Orleans, ça m’évoque Sidney Bechet, Claude Luter, Maxime Saury, et ça correspond à mes 15 ans.

 

Jacques Brel – Amsterdam (1964)

Cette chanson est tout à fait étonnante, elle a été reprise par quantité de chanteurs anglo-saxons, David Bowie notamment, ce qui prouve que ce n’était pas rien. Brel a été traduit en anglais par des quantités de personnes qui l’ont généralement très bien fait, et puis il n’existe qu’un seul enregistrement de cette chanson fait sur scène, à l’Olympia. Il n’y a pas de version studio. On se rend compte en l’écoutant de l’impact, de la force qu’avait Jacques Brel sur scène, sur son public, c’était colossal.

Moi, il m’intéressait moins, parce qu’il me faisait un peu peur quand j’étais gamin, je voyais ce mec qui mettait ses couilles à l’air, c’était violent, et ça me gênait un peu. Avec le temps, je me rends compte qu’il y avait un impact magnifique, et le personnage était intéressant, il avait toujours des choses à dire sur l’Homme. J’aimais bien Jacques Brel, et j’aime cette chanson.

Lorsque je la compare à « Amsterdam » de Guy Béart, je me dis que Brel avait quand même beaucoup plus de force et d’impact dans l’écriture.

 

D’ailleurs, la chanson de Guy Béart est tombée dans l’oubli.

Oui, on ne l’entend plus du tout. Mais c’est une bonne chanson, il faisait de bonnes chansons aussi. C’est pas une grande chanson, mais elle se tient, ce n’est pas lamentable.

 

Je m’étais toujours demandé si c’était un faux enregistrement public.

Non, non, c’est un vrai enregistrement live. Mais c’est sidérant, quand on entend le public qui se met à hurler à la fin, une espèce de libération tellement les gens devaient être oppressés en écoutant le texte, et puis il faut aussi se souvenir de la tronche de Jacques Brel, comment il était, ses grands bras maigres, ce visage émacié, c’était terrible. C’était pas du tout un chanteur de charme, c’était un rockeur !

 

Léo Ferré – Comme à Ostende (Paname, 1960)

On reste en Belgique. C’est une musique de Léo Ferré, mais c’est un texte de Caussimon. J’aime toute cette période où Ferré chantait des poètes ou des amis à lui, notamment Caussimon. Tout ce qu’il lui a donné comme texte, ce sont des choses qui m’intéressent, qui me plaisent. Cette chanson particulièrement car il y a quelque chose de terriblement poétique. Pour parler des vagues, il parle des « chevaux de la mer », c’est magnifique. Quelle belle image ! Et puis, il y a un orgue de barbarie, ça ramène à des choses de l’enfance, j’aime vraiment cette chanson.

Et puis Léo Ferré aussi était un personnage, une grande gueule, un méchant, quelque fois, et en même temps extrêmement généreux. Je me souviens d’une anecdote à l’Échelle de Jacob qu’on m’avait raconté. Un de ses copains magicien ou je ne sais plus quoi, pleurait seul dans la loge. Ferré lui demande ce qui lui arrive et le gars lui dit que sa femme est encore enceinte, c’est le quatrième. Au lieu de le réconforter, Ferré l’engueule, il lui dit « mais t’es con ! Tu sais pas sauter en marche ? T’as jamais entendu parler des préservatifs ? Mais t’es un con, tu te rends pas compte que tu fais le malheur de ta famille ? » et il l’engueule. Le mec est sidéré. Les semaines se passent et la femme accouche. Le lendemain, dans la loge, il y a un landau et tous les fringues pour un bébé, offerts par Ferré. Il y a en même temps le besoin de mettre le doigt sur la connerie, et une générosité énorme, parce que même les cons on ne peut pas les laisser dans la merde. Moi, je trouve ça extrêmement touchant, que ces deux pôles coexistent. Si tu disais à Ferré « il fait beau, c’est formidable », il te répondait « Comment ça, formidable ? Y a quoi de formidable, le monde est en train de crever ! Regarde le Viet-nam, regarde ci, regarde ça… », mais si tu lui disais « Y a encore une bombe qui a pété à tel endroit », il te disait « Oui, mais la vie c’est pas que ça, il y a aussi de belles choses… » Encore un personnage, quoi.

 

Henri Gougaud – Paris Ma Rose (À Carcassonne, 1964)

C’est un auteur de livre, de romans, qui a écrit des textes pour Jean Ferrat, Les Frères Jacques, des chanteurs de l’époque. C’est un auteur de Carcassone, très fin. Dans une chanson, il dit « une orange éclate de rire au visage d’un enfant », cette image est magnifique. « Paris, Ma Rose » rejoint ma chanson « La Vague », c’est Paris qui est moche, qui pue, qui fout le camp. À Paris, il ne circule plus de chemins verts mais des immeubles partout, des cons et des bagnoles. J’aime cette chanson pour ça, mais j’en aime beaucoup de lui. Je regrette simplement qu’il n’en écrive plus, qu’il fasse autre chose.

 

Entretien réalisé par BCG

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