Interview – Butch McKoy

Publié par le 18 juin 2020 dans Interviews, Toutes les interviews

Il a toujours détonné dans le paysage du rock français, déjà au sein de feu I Love UFO, Butch McKoy incarnait ce chanteur hirsute, capable de vociférer en anglais sans problème sur des sons de guitares toujours plus noisy et saturés, dans la plus pure tradition sonicyouthienne. Puis, on découvrit un autre pan de son talent, dans une version d’un folk habité, teinté de romantisme noir, tout seul à la guitare face à ses anges et démons. Il revient aujourd’hui avec un nouvel album, The Sick Rose (sur toutes les bonnes plateformes depuis le 12 juin, sorti par Les Editions Miliani et Bruit Blanc). Rencontre avec un artiste différent qui a su créer sa propre voie/voix et continue à travers tous ses projets de composer de petites merveilles.

Quelles sont les origines de Butch McKoy ?
J’ai dû commencer dans ma piaule quand j’habitais chez mes grands-parents, en 1995-1996, quelque chose comme ça. Le nom, je ne sais pas exactement, on avait un délire avec des amis, on était tombé sur une BD qui ressemblait aux Freak Brothers, ça s’appelait les McKoy Brothers et ça se passait à l’époque du western si ma mémoire est bonne. Et ils étaient trois, ils faisaient des conneries et je n’ai jamais réussi à remettre la main dessus, c’était peut-être une hallucination ! Du coup, on était 3 potes, on faisait des conneries aussi, c’était un peu les frères McKoy, mais il n’y avait que moi qui faisait de la musique dedans. Et l’association avec Butch, je crois que c’est un pote qui a trouvé ça à une soirée, ça me faisait marrer, donc je l’ai gardé.

Donc rien à voir avec Pulp Fiction…
Et bien, c’est peut-être ce pote qui avait vu le film et qui avait chopé la référence dedans. Ce qui est drôle, c’est qu’il n’y a pas longtemps, j’ai pu rencontrer Maria de Medeiros qui joue la femme du personnage de Bruce Willis. On nous a présenté et elle m’a dit : “Bonjour, je dis Butch ou Boutch ?” Je me croyais dans Pulp Fiction.

D’ailleurs, comment prononce-t-on finalement, “Butch” ou “Boutch” ?
Les deux, j’ai eu la confirmation de Josh T. Pearson qui m’a dit que les deux marchaient.

Revenons à ces débuts chez tes grands-parents, avais-tu déjà cette envie de faire quelque chose en solo, plutôt folk rock ?
J’avais du mal à trouver des gens sur la même longueur d’ondes. Après plusieurs tentatives infructueuses, j’ai voulu explorer ma propre voie. Et au même moment, j’ai découvert des artistes comme Beck, Bonnie Prince Billy, et je me suis dit : “Je vais faire ça, c’est cool en fait, juste tout seul avec ma guitare.” Donc, cela fait très longtemps que j’ai commencé dans cette veine, bien avant I Love UFO. Ensuite, j’ai commencé à jouer avec Florent à la batterie (NdR : Florent Lafont, batteur d’I Love UFO), on avait créé un duo de musique expérimentale, mais aussi de la musique de film en live, pour un festival. Puis est arrivé I Love UFO, et à partir de là, tout s’est enchaîné très vite. Donc, j’ai mis en stand-by Butch…

“(Les anglo-saxons) ont une manière d’interpréter qui, tout de suite, t’attrape et te touche. Ils sont plus doués que nous pour cela. Ils ajoutent un supplément d’âme dans l’interprétation. De notre côté, on cherche peut-être trop à intellectualiser.”

Pour en revenir aux influences, tu parlais de Bonnie Prince Billy, est-ce que des gens comme Jeffrey Lee Pierce ou Nick Cave font aussi partie du lot ?
Pas vraiment pour Jeffrey Lee Pierce, mais Nick Cave, oui forcément. Sixteen Horsepower aussi, ce sont des personnes qui n’ont pas peur d’aller au plus profond de leurs émotions, ils ne cherchent pas à provoquer quelque chose, mais le vivent.

Il y a une certaine filiation dans ton travail, avec un folk rock anglo-saxon.
C’est surtout que je n’ai aucune culture musicale française. À part Jacques Brel, Brassens, Gainsbourg, Du ciment sous les plaines (NdR : de Noir Désir) ou Les Béruriers Noirs, je n’ai pas vraiment écouté d’autres choses. Dans la musicalité, il y a quelque chose qui ne me touche pas. J’y reviens maintenant, je commence à être attiré, petit à petit, vers la langue française. Pour l’instant, on va dire que cela reste dans “ma chambre”, mais il faut que je trouve un moyen de l’exprimer. Je pense que ce qui me manque dans le rock chanté en français et que les anglo-saxons possèdent, c’est l’interprétation ; c’est-à-dire qu’ils sont capables d’avoir des textes aussi mal ficelés que chez nous, mais par contre, ils ont une manière d’interpréter qui, tout de suite, t’attrape et te touche. Ils sont plus doués que nous pour cela. Ils ajoutent un supplément d’âme dans l’interprétation. De notre côté, on cherche peut-être trop à intellectualiser. Dans les pays anglo-saxons, il y a aussi une vraie formation musicale. J’étais tombé sur une étude, il y a une quinzaine d’années, au moment où ils ont commencé à ouvrir de grands magasins de musique, qui estimait à 33%, la population qui savait jouer d’un instrument dans les pays anglo-saxons, alors qu’en France, c’était plutôt 5%…

Il y a quelques années, tu disais qu’au niveau de ton chant en anglais, les paroles au final importaient peu, c’était plutôt la musicalité et le rendu sonore des mots qui étaient vraiment l’essentiel.
Je vois le tout comme un ensemble, j’ai du mal à détacher le texte de la musique. Et j’ai aussi du mal à avoir un avis précis sur ce que j’écris. Je me suis mis à l’écriture parce que je n’avais pas vraiment le choix. Avec le temps, j’apprécie de plus en plus d’écrire, mais cela reste un chemin plus fastidieux que la composition musicale. Si quelqu’un vient me voir pour me proposer ses textes, je serai content, ce sera une étape en moins à me soucier. D’ailleurs, sur le nouvel album, je me suis servi de quelques poèmes de William Blake. C’était l’idéal, car je pouvais me consacrer entièrement à la musique. Quand j’ai commencé Butch McKoy, je voulais que cela sonne authentique. Je devais quand même assurer un peu en portant un nom à consonance anglo-saxonne. Il y a eu toute une démarche pour arriver à bien chanter, mais à force d’écouter Bonnie Prince Billy et consorts, il s’est dessiné un chemin que j’ai arpenté pour conforter ma voix.

Tu mentionnais précédemment Josh T. Pearson, vous ne composez pas tout à fait de la même manière, mais il y a plusieurs points sur lesquels vous vous retrouvez.
Je pense qu’une collaboration serait vraiment intéressante, parce qu’il possède à la fois une vision différente de la mienne et que l’on se retrouve quand même sur des envies similaires, je crois que ce serait très fructueux.

Est-ce que tu lui en as déjà parlé ?
Vite fait, mais c’est un personnage, il est un peu perché. Donc je ne sais pas trop, peut-être que cela se fera un jour… Je joue du violoncelle maintenant, je m’y suis mis depuis 2 ans et demi, j’en joue dans la pièce Peer Gynt (Ndlr : pièce de théâtre de David Bobée), sur un passage. Je le lui ai dit, un jour que l’on s’est croisé à Petit Bain, donc peut-être qu’il pensera à moi pour son prochain album : “Ah, mais au fait ! Il doit coûter moins cher que Warren Ellis, lui !” (rires)

As-tu des envies orchestrales pour Butch ?
J’en ai mis sur le nouvel album, ce sont de petits passages, mais cela amène une couleur qu’il n’y avait pas sur les précédents. Je me suis lancé dans une série d’albums instrumentaux (NdR : deux albums sortis pour le moment) intitulée Your Land Is on Fire. Mon but était de n’utiliser qu’un seul instrument accompagné d’effets, et faire un album essentiellement avec du violoncelle.

Utilises-tu une technique de mise en boucle ?
Oui, mais des toutes petites, ce sont plus des nappes d’ambient que des phrasés rythmiques. Cependant, je me dis qu’avec l’utilisation du violoncelle, il faudra peut-être que je change mon fusil d’épaule.

[Cet album est] moins Lo-fi que les précédents, plus puissant, plus rythmé aussi. J’ai toujours voulu intégrer de la batterie dans Butch, c’était le bon moment”

Tu évoquais précédemment ton travail de musique pour les pièces de théâtre de David Bobée, pourrais-tu nous parler un peu plus de cette collaboration ?
C’est un autre type de travail, mais je m’y plais beaucoup. Cela fait du bien aussi de se mettre en retrait, de ne pas toujours être devant, d’être à l’écoute, juste un rouage. Et c’est aussi une sorte de palliatif à la musique de films que je veux faire et pour laquelle j’ai du mal à trouver des projets. Dans la nouvelle pièce Peer Gynt (NdR : Butch a composé aussi la musique de la pièce Lucrèce Borgia, avec Béatrice Dalle), je suis devant, tu ne peux pas me louper. Et la pièce dure 3h50, avec 20 minutes d’entracte.

3h50, c’est une sacrée performance !
Et encore, je suis moins crevé que le rôle principal qui, lui, reste 3h48 en tout, ça c’est de la vraie performance ! Pour ma part, je suis assis les ¾ du temps. Les 20 minutes d’entracte servent à se changer. On a à peine le temps, les techniciens modifient le décor, nous, on enfile de nouvelles sapes pour la scène de reprise et c’est le moment d’y retourner, pas de possibilité de sieste. Les moments où je ne suis pas sur scène – sur 3h50 – c’est peut-être… 10 minutes. Soit je joue, soit je suis dans l’ombre et je ne fais rien, sinon je fais l’acteur muet aussi sur 2 séquences. Je fais un troll ! (Rires)

C’est une nouvelle carrière qui se présente !
Exactement ! C’est surtout du mimétisme, à force de traîner avec des acteurs, tu te dis à un moment donné : “J’aimerais bien faire cela moi aussi.” David Bobée a bien apprécié, il m’a dit : “La prochaine fois, il faudrait que tu parles.” Donc peut-être qu’un jour, j’aurai un rôle au théâtre…

La musique de film c’est donc une veine que tu aimerais développer davantage.
J’ai fait celle du court métrage Une charogne de Renaud de Foville, avec Béatrice (Dalle) et Virginie (Despentes). À la base, il devait le faire avec Daniel Darc, qui est mort entre temps, donc il a mis son projet dans le tiroir. Je lui ai présenté Béatrice, ils se sont bien entendus et ils se sont dit que les rôles pensés pour des hommes, pourraient devenir ceux de femmes. Béatrice a dit oui assez rapidement, elle marche à l’affect, elle n’a même pas lu le scénario. Comme il ne connaissait pas Virginie, il fallait que ça passe par Béatrice. Virginie au bout de quelques semaines a dit : “Si tu le fais, je le fais aussi !

Revenons maintenant à l’actualité de ce nouvel album, The Sick Rose, quels en sont les secrets ?
Le titre d’abord est tiré d’un poème de William Blake, dont j’ai utilisé plusieurs poèmes tout au long de l’album. Le poème utilise les symboles de la rose et du ver, pour montrer comment une expérience intense se nourrit d’une innocence non polluée. Je trouvais que c’était un peu une métaphore de la création, s’inspirer de belles choses pour créer, mais aussi laides et terribles, tout en essayant de garder une pureté, une innocence. Cela m’a beaucoup plu comme image.

Y a-t-il une thématique ou un sentiment général qui t’a inspiré dans l’écriture ?
C’était une période un peu particulière (sur le plan privé) pendant l’écriture et la création de cet album. Donc il y a une thématique qui pourrait être une sorte de chute, un malaise, un épuisement psychique et physique. La fin d’une relation mais, au final, on se relève, on regarde à nouveau le ciel et la beauté du monde, et on avance, comme une sorte de renaissance.

Comment s’est passé l’enregistrement de ce nouvel album ?
Contrairement aux précédents, j’ai enregistré celui-là avec un binôme, le multi-instrumentiste Lionel Naudon, ex-Lab° (NdR : formidable groupe français de dub rock bruitiste). Même si on a fait cela où j’habitais avant, il a été enregistré en conditions studio, en ramenant tout le matériel dont on avait besoin et on a fait deux sessions, à un an d’intervalle quasiment. Du coup, c’est moins Lo-fi que les précédents, plus puissant, plus rythmé aussi. J’ai toujours voulu intégrer de la batterie dans Butch, c’était le bon moment et la bonne personne. Car mon sens du rythme étant plutôt arythmique on va dire, il fallait quelqu’un qui puisse me suivre. Une de mes idoles, c’est John Lee Hooker, j’ai compris plus tard pourquoi. Car il utilisait beaucoup l’arythmie et jouait rarement avec des groupes. Au moment de jouer en groupe, il ne faisait jamais vraiment de guitare rythmique. Quand je suis tout seul, je peux me permettre d’être assez aléatoire sur le rythme, en fonction de mes envies, je peux rallonger des couplets ou couper en plein milieu d’une mesure. J’ai trouvé en Lionel la personne capable de s’adapter. Cela va dans les deux sens car je m’ajuste aussi à lui et cela nourrit le résultat final.

“Les anciens ont une espèce d’image, ils s’en branlent. Passé un certain âge, les mecs pensent à autre chose, mais il y a toujours cette manière-là de vendre sous-jacente [genre on passe chez H&M avant de débuter la séance photos promo]… On ne fait pas de la musique pour être des gravures de mode !”

Comment gères-tu cela avec White Heat ?
Ce sont des heures d’improvisations, de mise en boucle de riffs jusqu’à ce que quelque chose se dessine, puis avec Julien GB (claviers/machines), on cale dessus des boîtes à rythmes, des percussions, etc. C’est assez ludique et trippant. Il m’arrive de venir avec un morceau presque tout fait, et pareil pour Julien, mais on ne se bloque pas sur une méthode. L’emploi des machines facilite pas mal la tâche, j’ai mis du temps à y venir, mais aujourd’hui je trouve cela plutôt agréable.

C’est en quelque sorte une musique vivante qui ne reste jamais figée.
Oui voilà, je m’ennuie si je dois tout le temps faire la même version qu’il y a sur l’album. Nick Cave continue de m’impressionner là-dessus. Lors de sa récente tournée au Zénith, j’ai été très agréablement surpris par son interprétation complètement libérée de certains de ses anciens morceaux, dont la durée se trouve étendue, presque incertaine.

Quels sont les projets pour White Heat ?
On a enregistré beaucoup de morceaux pour le prochain album, on a même de quoi faire 2/3 albums. Le fait d’être en duo facilite beaucoup de choses. Avec Julien, on va assez vite, on se connait bien maintenant, on est presque un vieux couple. (Rires) On est en plein tri et je pense que d’ici la fin de l’année, un album sera prêt ! En ce moment, je suis fatigué des groupes de rock plus classiques, j’ai envie de nouveauté, d’expérimentation, de renouvellement…

Parce qu’ils te paraissent beaucoup trop formatés, voire apprêtés…
Oui, du style, on est passé chez H&M avant de débuter la séance photos promo.

Plutôt les jeunes groupes de rock alors.
Les anciens ne jouent pas trop ce jeu-là.

Ou alors ils l’ont toujours joué…
Ils ont une espèce d’image, ils s’en branlent. Passé un certain âge, les mecs pensent à autre chose, mais il y a toujours cette manière-là de vendre sous-jacente… On ne fait pas de la musique pour être des gravures de mode !

Comme te sens-tu par rapport au milieu de l’industrie musicale française ?
Je pense que je suis encore bien dans l’underground. Je suis un ours, je ne sors pas, j’habite dans la Beauce, cela m’emmerde de faire des heures de caisse pour venir voir des concerts à Paname. Mais j’ai donné plus de concerts ces derniers temps, je suis sorti un peu plus et je me suis rendu compte qu’il y avait toute une génération de gens plus jeunes que moi, qui me connaissaient, me suivaient et avaient adoré I Love UFO. Finalement, il y a une petite empreinte qui est là, qui traîne, même si underground. J’ai vu que Vicarious Bliss (NdR : Andrew Gardiner, musicien électronique et accessoirement producteur d’I Love UFO) avait été interviewé par Pitchfork, et dedans, il y avait une question sur I Love UFO. Cela veut dire qu’on a laissé notre petite marque, ça fait plaisir. J’espère que je pourrai en laisser d’autres, beaucoup plus importantes ! (Rires)

Propos recueillis par Julien Savès et Ludovic Ducroo.
Remerciements à Butch McKoy, Les Editions Miliani, Matthieu Chabaud et Bruit Blanc.
Remerciements spéciaux à Marion Buannic pour son aide précieuse.

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