White Light White Heat du Velvet Underground a 55 ans. Chronique

Publié par le 3 février 2023 dans Chroniques, Incontournables, Non classé, Toutes les chroniques

(Verve Records, 30 janvier 1968)

Étrange concordance des temps en ce début 2023. Au moment où Tom Verlaine quitte ce triste monde, John Cale sort un nouvel album (qui, selon les sources, est soit magnifique, soit horriblement chiant), White Light White Heat fête ses 55 ans. Manque plus que l’annonce de la reformation de Sonic Youth

Il y a 55 ans donc, ça sent le napalm sévère au Vietnam et fortement la weed partout ailleurs, surtout sur la côte ouest américaine, où les tenues vestimentaires douteuses sont légion. Du côté de La Grosse Pomme, on goûte assez peu l’ambiance flower power et on durcit le ton. Après avoir doucement pelé la banane et vu (VU ?), ne nous reste plus qu’à contempler le noir anthracite et voir… en y prêtant bien attention, un crâne. Il va être temps de plonger dedans.

Pendant que le hippie s’extasie sur les solos de 20 minutes de Santana, Reed et Morrison décident de la jouer sale et lancent le Summer of noise (en hiver… certes). Warhol est renvoyé à ses portraits de boîtes de soupe aux haricots, Nico à sa carrière solo, Cale ne va pas tarder à dégager à son tour.

Le début trompe quelque peu l’oreille. « White Light White Heat » est répétitif, obsédant, mais surtout mélodique et accrocheur, pas si éloigné d’un « Waiting for the Man », et non moins vicieux. La fin du morceau sert toutefois d’avertissement : on ne va pas tarder à morfler. Puis vient l’offrande. Cale, à qui on a confié le chant pour la première fois, déblatère huit minutes durant un texte écrit par Reed à l’université, à propos de Martha et Waldo, alors que la guitare s’en donne à cœur joie derrière lui, faisant fi de la basse ronflante qui, elle, répète en boucle le même motif. Trois versions pour le prix d’une. Dans l’oreille droite, la belle histoire contée par Cale (spoiler : ça finit mal, très mal), dans la gauche, la musique. Les deux simultanées formant ce morceau déconcertant.

Sur « Lady Godiva’s Operation », le chant est complètement désincarné malgré de vagues efforts mélodiques d’un Cale qui semble émerger d’une courte nuit. Ce n’est certainement pas le morceau le plus radical du disque mais il est indéniablement perché et ne cède à aucune facilité. Reed vient faire quelques apparitions vocales, semblables à des remontrances, un brin stressantes. Rien qu’un brin. Comme des électrochocs. Comme ceux qu’il a subi dans sa jeunesse et dont il est ici question.

White Light White Heat joue constamment de l’alternance entre morceaux expérimentaux, parfaits repoussoirs pour le tout-venant, et mélodies imparables (le morceau-titre qui sèche tout le monde en 2’45 et la perle « Here She Comes Now », d’ailleurs reprise au moins aussi magnifiquement par Nirvana, mais vous allez dire que je suis obsédé par les 90s).

La suite du menu n’est que légende. Six-cordes au supplice, saturation excessive, il paraît que le public raffole de longs solos techniques, en voici un à deux doigts, totalement abrasif, qui devrait les ravir. « I Heard Her Call my Name ». Es-tu bien sûr d’avoir entendu distinctement au milieu de ce vacarme ? Après les envolées vocales d’un Lou incisif, comme remonté à bloc, la guitare gémit sous la torture et nos oreilles sont tout autant malmenées. Enfin, nous ça va encore, imaginez l’effet pour les jeunes esgourdes quasi vierges en 1968 (« quasi » car Hendrix n’était pas tout à fait là pour blaguer non plus). Le clou est ensuite enfoncé démesurément sur « Sister Ray ». Ils auraient pu se contenter de cette boucle très cool, assez cradingue. Mais dès le départ, on sent que cette affaire est destinée à partir en vrille. Que la furie primitive n’attend que de prendre le dessus. Que les règles vont voler en éclat. En roue libre totale, les quatre malfaiteurs ont tout sali avec délectation. Un jam improvisé et interminable s’achevant en lente agonie avec un orgue fou qui accompagne la troupe. Une prise. Un morceau repris par la terre entière, qui devait son nom à la seringue adorée de Lou et qui le donnera à un fameux disquaire londonien. Un morceau parfait pour jouer au connard prétentieux. L’idéal étant d’affirmer avec aplomb qu’il s’agit du meilleur morceau du Velvet (ce qui est totalement vrai), le summum étant probablement de le passer en fin de DJ set (faudra que j’y pense, tiens).

Lou s’amuse à nous raconter ses histoires de drag queens, dont il se fera l’écho plus tard avec un certain tutulutube sur un album bien mieux vendu que tous les Velvet (citez-le donc comme meilleur morceau de Reed, si vous tenez à passer pour un parfait tocard). Les jeunes Thurston et Lee ont vu la lumière blanche et eu subitement un coup de chaud. Le noise rock, la no wave, le punk, ça part de là (on t’oublie pas Iggy). Il suffit de peu pour changer le monde. Six titres, un peu d’audace. Au-delà du disque, de ce morceau, c’est un message clamé fièrement, bien avant le do it yourself et le fuck you I won’t do what you tell me : do what you want. Collez-leur du 17’30 en une prise si ça vous chante. Rien à carrer de vendre trois disques, du moment que les acheteurs vous imitent derrière (et ils le firent, paraît-il).

Il est question tout du long de sexe déviant, de drogues de synthèse, de morts tragiques, de recoins douteux de l’âme où l’on préfère ne pas s’aventurer. Et cette matière hautement inflammable a d’abord été scrutée du coin de l’œil avec un dégoût certain. Ces jeunes gens fragiles de Rolling Stone ont refusé de chroniquer l’album à l’époque. Mais après tout, comment les blâmer ? Même l’ingé-son Gary Kellgren aurait alerté en vain « vous ne pouvez pas pousser autant la disto, toutes les aiguilles sont dans le rouge ». Peine perdue. C’était très précisément l’idée, Gary.

Plus tard, Lou poussera le vice plus loin encore avec Metal Machine Music, genre de truc inécoutable, idoine pour parfaire une légende (trois snobs jureront peut-être qu’il s’agit d’un immense chef-d’œuvre mais là, c’est un peu gros). On peut être rebuté par l’aspect répétitif, le jusqu’au-boutisme de WLWH. On n’est pas obligé de l’écouter tous les jours (je vis une semaine difficile) mais un petit rappel ne fait jamais de mal.

Ce n’est évidemment pas le premier album à glisser dans les pattes de votre rejeton pour lui apprendre la vie, le rock ou même le Velvet. Mais plus tard, quand il sera familiarisé à toutes ces formes transgressives, il faudra bien qu’il comprenne par où tout a commencé.

Jonathan Lopez

1 commentaire

  1. A écouter en boucle “Ocean”, en studio ou en live, et quelques soient les versions, j’en deviens peut-être vieux con (j’assume) mais de plus en plus admiratif avec l’âge de ce groupe hors norme, Maureen-what-a-beat et Lou-what-a-voice.
    Qui se plongera dans les paroles retrouvera la magie Baudelairienne transposée à la fin des 60’s et au trash new-yorkais, portée par une énergie propre à cette époque mais toujours audible 50 ans après.

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