Venil – My Fears Are Not Strong Enough to Save Me
Devrait-on interdire l’écoute de certains albums aux enfants en bas âge ? Nous n’irons pas jusque-là dans la bien-pensance mais on ne recommande pas spécialement de mettre entre les oreilles de votre rejeton en culottes courtes ce premier album de Venil. Testé et non approuvé (Locust Abortion Technician de Butthole Surfers ne passe pas très bien non plus, puisqu’on est dans les bons conseils aux jeunes parents). Cela dit, il serait malhonnête d’écrire que Venil nous a pris en traitre tant la pochette et le nom de l’album, My Fears Are Not Strong Enough to Save Me, sont annonciateurs d’un voyage en eaux troubles pas franchement de tout repos. Ce disque, rempli d’émotions à vif, chargé d’anxiété, de rage et mélancolie, remue quiconque s’y frotte. Petits ou grands. Sensibles et cœurs de pierre. Pour son premier effort, le trio bayonnais a fait preuve d’ambition, pensant son opus comme un ensemble homogène. Chaque mot du nom de l’album correspond au titre d’un morceau et l’ambiance, glauque à souhait d’un bout à l’autre, ne laisse aucun répit à l’auditeur, cerné par les beats fracturés suffocants, les murmures angoissants, les sonorités électroniques ricochant sur les murs. On n’hésitera pas à le qualifier d’indus haut de gamme, tant les atmosphères sont travaillées (« Not » proprement captivant) et le son remarquable (Amaury Sauvé aux manettes). L’écoute au casque est ainsi un régal, même s’il vaut mieux éviter de le faire à gare du Nord à 3h du matin, sous peine de jeter fréquemment des regards inquiets derrière votre épaule.
Navré de décevoir les amateurs de playlists, cet album s’ingurgite d’une traite, se vit comme une expérience (douloureuse) et se révèle hautement immersif. On se heurte, yeux bandés, à quantité de murs rouillés, on encaisse sans broncher les assauts nourris mais quand, enfin, le bout du tunnel est entrevu, que l’on se retrouve noyé sous les nappes de synthés, assailli par les voix qui se superposent (« To »), s’immisce alors un sentiment de légèreté, l’impression d’une délivrance… Comme si Jesu venait dire à Godflesh qu’on avait assez souffert comme ça. L’écueil de ce disque, difficilement évitable : son univers peut se révéler hermétique, l’ensemble évoquant davantage une BO (d’un film avec Christopher Lee au casting plutôt que Jean Dujardin, vous l’aurez compris) qu’un recueil de chansons. Le parti-pris radical peut constituer un obstacle mais pour ceux dont les oreilles ont été façonnées à coups de burin, ce voyage viscéral vaut clairement le détour.
Jonathan Lopez